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Auschwitz, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Yolande Gili, née Pica naît le 7 mars 1922 à Fontoy (Moselle – 57), fille d’Attilio Pica, né le 24 mars 1886 à Nuccerra (peut-être Nocera Umbra), et de son épouse Celesta, née le 4 juin 1895 à Gualdo-Tadino, en Ombrie ; des émigrés italiens qui s’étaient fixés en Lorraine après la guerre de 1914-1918, comme de nombreux autres venus pour y travailler dans les mines de fer et les usines métallurgiques. Avant-guerre, Attilio Pica est ouvrier à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle – 55).

Yolande a au moins deux sœurs dont une plus jeune, Aurore, née le 2 mai 1923.

En 1939, quand la guerre éclate, la population de cette région frontière, appelée à devenir théâtre des opérations, est évacuée vers la Gironde et la Dordogne. Toute la famille Pica s’installe à Vayres, sur la Dordogne, près de Libourne (Gironde – 33).

Yolande se marie avec un Lorrain, Armand Gili, né le 30 novembre 1909 à Stabio (Suisse), graveur sur verre (chef-comptable ?), secrétaire de l’Union locale CGT et de la section communiste de Lunéville et/ou de Longwy, animateur du comité d’aide à l’Espagne républicaine. Dans le Réveil Ouvrier, journal de la CGT, daté du 30 septembre 1939 – quelques jours avant son évacuation en Dordogne – Armand Gili, écrit : « Hitler, c’est la guerre !… L’ennemi n° 1, le régime nazi… sur ce point, pas une faille dans l’unité des pensées et des volontés. Qui en doute commet une grave injustice. Qui en doute commet un crime contre l’union du peuple français. » Considère-t-il que c’est l’action de la bourgeoisie qui est un crime contre l’union du peuple français par la répression anti-communiste qu’elle développe ? Condamne-t-il son parti qui a approuvé le pacte germano-soviétique ? Ce qui est sûr, c’est qu’il est resté anti-hitlérien, anti-fasciste et n’est pas devenu anti-soviétique.

Armand Gili est très actif dans l’organisation clandestine du Parti communiste. Le 22 novembre 1940, à Saint-Pardon-de-Vayres, avec son beau-père, Attilio Pica, il tire un premier tract appelant au regroupement des communistes et des patriotes lorrains et girondins qui est distribué dans la région.

Au début de 1941, quand Yolande met au monde leur bébé, Armand Gili ne voit son fils que rarement, lors de visites furtives : il a plongé dans l’action clandestine. Yolande fait les liaisons dont il la charge, recueille des renseignements.

La jeune sœur de Yolande, Aurore, portant sur son visage l’innocence apparente de ses dix-neuf ans, se fait embaucher dans les cuisines des Allemands de Vayres sur ordre de la résistance. Tout en y subtilisant du ravitaillement pour les combattants, elle cherche à savoir où se trouve le dépôt d’armes de l’occupant. Après des mois d’observation, elle apprend que les armes sont en fait entreposées à Bordeaux. Elle demande sa mutation (« La ville serait plus gaie pour elle, si jeune ; dans cette campagne, elle s’ennuie »).

À Bordeaux, elle est employée dans les bureaux. Elle s’y procure des laissez-passer tamponnés à l’avance qui permettent à des résistants de passer de zone nord en zone sud, obtient enfin les renseignements sur le dépôt. Les Francs-tireurs et partisans (FTP) – par un coup de main dont on ne peut connaître les détails aujourd’hui car aucun n’est plus là pour les donner – réussissent à enlever les armes et à les cacher. Elles ne le resteront pas longtemps : un traître a indiqué la cachette à la police.

Pierre Giret, militant clandestin désigné comme responsable à la propagande sur Bordeaux, est arrêté le 25 mai 1942 par la brigade du commissaire Poinsot lors d’un rendez-vous devant le Parc des sports de la ville. Son épouse est également arrêtée. Interrogé les 26 et 28 mai, Pierre Giret livre rapidement des informations permettant d’arrêter quelques personnes. Le 30 mai, il échappe aux trois inspecteurs qui l’ont conduit à son domicile et son épouse s’évade d’un hôpital le 12 juin. Dans leur cavale, ils se font héberger par plusieurs familles de militants.

Mais le couple est repris le 27 juillet. Pour se racheter de son évasion, Pierre Giret complète spontanément ses premières déclarations sur l’organisation communiste clandestine (son épouse livrant ce qu’elle sait), puis se met totalement au service de la police française et de la Gestapo de Bordeaux (KDS) comme indicateur et agent provocateur.

Le 17 août, Pierre Giret lâche au commissaire Poinsot : « Un détail qui me revient également au sujet d’Armand [Gili, dont il a déjà parlé dans une déclaration précédente], c’est que sa femme travaillait comme femme de ménage chez les Allemands à Bordeaux. Je l’ai rencontrée trois fois le matin à 7 h20, à l’arrivée d’un train desservi par la gare de la Bastide. Je crois que, par la suite, sa sœur dénommée Aurore a pris son emploi. »

Le 30 août 1942, Aurore et Yolande sont arrêtées à Vayres. Leur père et leur mère aussi. Le bébé de Yolande, âgé de dix-huit mois, est déposé chez la voisine par les policiers.

L’une est emprisonnées au fort du Hâ, à Bordeaux, l’autre à la caserne Boudet, rue de Pessac, qui dispose d’une prison militaire utilisée comme annexe du Fort du Hâ.

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Bordeaux. La rue du Palais-de-Justice et le Fort du Hâ.
Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.
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Carte postale, avant 1917. Collection Mémoire Vive.

Pourchassé, Armand Gili rejoint Lyon et y devient responsable au sein des Francs tireurs et partisans (FTP) sous le pseudonyme d’Alex

Le 16 octobre, les deux sœurs sont parmi les soixante-dix hommes et femmes – dont trente-trois futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Aurore Pica y est enregistrée sous le matricule n° 967 et Yolande Gili sous le n° 969. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).

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L’enceinte du camp allemand était complétée d’un mirador
surplombant la porte depuis l’intérieur de l’enceinte.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Aurore Pica et Yolande Gili font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à pied à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et ceux-ci sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été rangées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Aurore Pica et Yolande Gili sont enregistrées à la suite l’une de l’autre : Aurore Pica sous le matricule 31742, sa sœur Yolande sous le matricule 31743. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (les photos d’immatriculation d’Aurore et de Yolande ont été retrouvées).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées quelques compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Aurore Pica, 19 ans…

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Auschwitz, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Déshydratée, les lèvres crevassées, Aurore Pica se traîne vers les marais aussi longtemps qu’elle le peut. Ne tenant plus sur ses jambes, elle est admise au Revier, l’« hôpital » du camp.

Aurore Pica meurt à Birkenau le 28 avril 1943, selon l’acte de décès du camp.

Le 26 octobre 1943 Attilio Pica est fusillé au Mont-Valérien, avec Roland Richon et Jean Sabail, après avoir été interné pendant un an au Fort de Romainville (à vérifier…) [2].

Le 3 août, Yolande Gili est parmi les survivantes – exceptées celles du Kommando de Raïsko – placées en quarantaine, dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes.

Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.

Au même moment, les détenus politiques français d’Auschwitz et Birkenau obtiennent le droit d’écrire, malgré leur enregistrement au camp sous le statut “NN”.

En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche » (Ch. Delbo). Des fenêtres de cet atelier, elles voient l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.

Après le débarquement allié en France, un niveau front s’est créé que le courrier ne franchit plus.

Le 2 août 1944, Yolande Gili fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent le 4 ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando).

Elle y retrouve sa mère, Céleste Pica déportée le 3 février 1944 dans le convoi des “27000” (matr. 27247). Mère et fille n’osent se parler, ni même se regarder : la mère doit apprendre à la fille la disparition de son père ; Yolande doit dire qu’Aurore est morte à Birkenau.

Le 2 mars 1945, Yolande Gili est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen où elle arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.

En les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre-elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).

Le 22 avril 1945, Yolande fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique.

Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville. Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.

Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville.
Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.

De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Yolange retourne à Bordeaux et y retrouve son fils que les voisins ont gardé pendant les trois ans. Puis elle part dans la région de Lyon rechercher la tombe de son mari, Armand Gili, capitaine FFI [3] fusillé le 8 juin 1944 à Le Maibel lors des combats pour la libération de Lyon (Légion d’honneur décernée le 21 mars 1947).

Céleste Pica, la mère, revient de Ravensbrück (et jusqu’à sa mort en 1967) vit près de sa fille aînée, demeurée à Longwy (54), la seule de la famille qui ait été épargnée.

Après son retour, Yolande se remarie avec Monsieur Lacoste. Elle n’a pas d’autre enfant. Elle ne travaille pas. Pendant plusieurs années, elle est très malade, souvent alitée. Sans aide, elle ne peut faire les travaux du ménage. Elle vit à la campagne, à 25 kilomètres de Bordeaux et ne sort pas. Parfois elle projette d’aller en ville, tel jour. Le jour arrive, elle n’a plus le courage de partir, ni de faire quoi que ce soit. Elle reste chez elle, seule toute la journée ; elle attend son mari qui rentre le soir vers 20 heures. Ou bien elle va passer un moment chez sa voisine. Son mari est très gentil, sa maison agréable. Lorsqu’on lui rend visite, on sent qu’elle n’a pas le désir de vivre autrement.

(quelle est sa situation en 2010 ?)

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 127-129.
- Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, pages 146, 361, 373.
- René Terrisse, À la botte de l’Occupant. Itinéraires de cinq collaborateurs, Bordeaux, éditions Aubéron, 1998, chap. II, pp. 37-39.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204 et pages 104, 114.
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, page 253.
- Serge Klarsfeld, Les 1007 fusillés au Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs, Association des fils et filles des déportés juifs de France, 1995.
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945 : PICA Celeste, I.175. Transport de 959 femmes parti de Compiègne le 31 janvier 1944 et arrivé au KL Ravensbrück le 3 février 1944 (matr. 27247), connu dans la mémoire des déportés comme le « convoi des 27000 », en référence à la série matriculaire qui lui est affectée à l’arrivée au camp ; parmi elles figure Geneviève de Gaulle-Anthonioz ; GILI Dante, I.191. Transport parti de Compiègne le 22 mars 1944, et arrivé au KL Mauthausen le 25 mars 1944.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) : PICA Aurore, tome 2, page 926 (18678/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification le 14-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les Lilas. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Attilio Pica, qu’une source mentionne arrêté le 1er octobre 1942 à Vayres par la Gestapo puis interné au fort du Hâ, serait fusillé le 2 octobre 1943 au Mont-Valérien. Mais peut-être s’agit-il d’une confusion avec un homonyme, Ottilio ou Ottilo Pica, instituteur, né le 5 mai 1887, membre du réseau gaulliste Alliance, fusillé le 2 (ou le 26) octobre 1943 parmi cinquante otages en représailles de l’exécution par la Résistance de Julius Ritter, président allemand du service de la main-d’œuvre en France…

[3] FFI : Forces françaises de l’intérieur