Le collège André Doucet-Jean Perrin de Nanterre (André Doucet était un 45000 de Nanterre), a remporté le premier prix en catégorie vidéo du Concours national de la Résistance et de la Déportation ainsi qu’un prix spécial décerné par le CSA. Nos amis, Danick Florentin et Gilbert Lazaroo, membres de Mémoire Vive, ont conduit ce projet avec leurs élèves. Ils nous en présentent la genèse.

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de g à d, les lauréates accompagnées de Francine Christophe, Danick Florentin et Gilbert Lazaroo

Vous êtes enseignant à Nanterre, vous travaillez dans un quartier excentré, votre établissement se trouve au cœur de deux cités agrémentées de quelques rues pavillonnaires. Il accueille cette année-là (rentrée 2008) un collège du centre ville qui déménage de ses murs pour deux années expiatoires en zone sensible. Vous faites partie d’une équipe d’enseignants qui depuis des lustres ont l’habitude de se retrousser les manches et savent qu’ils vont vivre des moments épiques dans cette juxtaposition de milieux les plus divers et parfois les plus antagonistes. Vous avez l’habitude de concrétiser vos convictions en construisant chaque année un projet autour du thème de la Résistance et de la Déportation et cette année-là, pour montrer que l’école républicaine peut proposer un projet fédérateur aux élèves de deux établissements, de deux quartiers différents, vous vous lancez dans la création d’un atelier mémoire dans lequel se fondront la classe de 3ème dont vous avez la responsabilité et des élèves volontaires d’autres classes. Evidemment vous êtes un pédagogue à deux têtes, l’une en Lettres, l’autre en Histoire-Géographie puisque vous travaillez en transversalité selon l’expression didactiquement consacrée par l’Education Nationale (autrement dit, en tant que professeur d’Histoire, vous travaillez en binôme avec votre collègue de Lettres). Pour vous simplifier la tâche, vous vous engagez dans la préparation du concours national de la Résistance et de la Déportation, dans un voyage au camp du Strüthof et au Parlement européen et enfin à participer à la cérémonie du 8 mai 2009 au monument aux morts de Nanterre.

La ville où vous travaillez a toujours soutenu les projets de mémoire. Vous participez au collectif mémoire de Nanterre sous la férule de Vincent Pascucci qui coordonne de main de maître les associations de l’ANACR, de la FNDIRP, de l’AFMD du 92 et de Mémoire Vive des convois 45000 et 31000. Le temps de parole donné aux jeunes de Nanterre par la mairie exprime ce soutien si précieux des associations. Dans ce contexte où l’espace public et l’espace scolaire se rejoignent, vous recevez le sujet du concours : « Les enfants et les adolescents dans l’univers concentrationnaire nazi » et dès le début du mois d’octobre, vous attelez 45 élèves à la tâche. Cet élan ne vous empêche pas de vous poser des questions : le groupe n’est-il pas trop nombreux ? (une classe de 3ème de 25 élèves captifs et un atelier mémoire où 25 élèves de 5ème, 4ème et 3ème viennent volontairement s’inscrire avec une grande confiance). Vous vous dites alors que ce travail dans la ville a profité et que l’on sait qu’au collège André Doucet, chaque année, un projet emmène un groupe classe sur différents lieux emblématiques de la Résistance et de la Déportation. Ce furent les années précédentes : les Glières (avant sa récupération par le chef de l’Etat), le Vercors, le camp du Strüthof, Drancy, Auschwitz. Disons-le, c’est une véritable politique de la Ville de Nanterre que de soutenir les projets scolaires de ce type et cela depuis 20 ans en ce qui concerne le collège André Doucet.

Vous avertissez le groupe d’élèves qu’il faudra travailler une heure par semaine et même certains mercredis après-midi pour des tournages. Parce que vous êtes un pédagogue à deux têtes, vous explorez aussi bien la littérature que l’histoire et peu à peu vous installez les élèves dans un contexte pour captiver leur attention, les attirer dans une relation à l’Histoire afin qu’ils puissent entamer de façon autonome leurs recherches. Vous savez qu’il y aura des laisser pour compte car à part la classe de 3ème que vous suivez, les autres écourtent leur temps de pause puisque l’atelier a lieu de 13 h à 14 h. De plus la plupart n’a aucune notion de cette période de l’Histoire. Vous donnez aux plus curieux une liste de lectures, de témoignages, des dossiers édités par le musée de la Résistance nationale, par la FMD, par l’ANACR ou la FNDIRP pour le concours des années précédentes. Tout cela dure un mois et force vous est de constater que le travail fourni par les élèves n’est pas à la mesure des ambitions du projet. Vous savez que la période des premiers tournages va prendre beaucoup de temps, qu’il faudra construire un scénario et que ce travail s’ajoutera aux tâches habituellement dévolues à un élève de collège puisque les exigences de vos collègues ne sont pas moindres que les vôtres.

Baste ! Vous épurez votre partie, vous ne revendiquez plus la vanité de vos réussites antérieures à ce concours (au niveau départemental) et vous subissez l’humilité qui vous envahit devant le calendrier que vous ne pouvez déjà plus tenir à la mi-novembre. Vous aviez réparti les tâches de recherche à plusieurs groupes et vous vous apercevez que les résultats ne portent que sur des généralités et qu’il faut élaguer la pratique du copier-coller érigée en système rédactionnel par vos élèves. Vous vous donnez alors pour objectif l’élaboration d’un plan de narration très simple et … vous vous retrouvez en décembre avec l’espoir fou d’atteindre peut-être votre objectif.

Les frimas de l’hiver s’accompagnent d’une pression supplémentaire : il vous faut construire une exposition pour la fin janvier 2009 avec le collectif mémoire de Nanterre sur le thème des « Enfants et adolescents dans le système concentrationnaire nazi » et des « Jeunes dans la Résistance ». De plus il s’agit d’organiser une conférence débat en présence de Raymond Aubrac. Heureusement vous pouvez compter sur vos amis de Nanterre et notamment sur ceux de Mémoire Vive (Fernand Devaux, Yvette et Lucien Ducastel, Jean Daniel, Jean Matheron) pour être au plus près des élèves. Ainsi vous rendez-vous compte que la sphère amicale doublée de convictions communes est non seulement un soutien efficace mais un encouragement qui n’a pas de prix. Dans le même temps les nuages s’amoncellent sur le voyage pour le camp du Strüthof et la visite du Parlement européen : les subventions demandées n’arrivent pas et les arrhes à verser n’attendent pas.

D’autre part il n’est pas d’exposition de mémoire sans la présence de jeunes, vous pensez qu’il est nécessaire d’impliquer votre atelier mémoire à l’organisation de cette exposition et vous distribuez aux élèves des poèmes de Résistance et de Déportation à réciter le jour de l’inauguration de l’exposition. Vous vous attendez aux réticences habituelles et (miracle !) 12 élèves se proposent spontanément pour dire ces poèmes. Vous vous émerveillez alors de l’engagement de gamins que vous avez embarqués dans ce projet si lourd et sur un thème qui aurait pu être si difficile à supporter selon l’angle abordé. Vous découvrez en fait que tout votre groupe attend d’aller encore plus loin et surtout qu’il espère rencontrer des témoins. Vous avez expliqué aux élèves le rôle des témoignages dans les documents vidéo de l’association Mémoire Vive des convois des 45000 et des 31000. Vous choisissez avec les élèves les séquences les plus marquantes.

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Les lauréates

En janvier vous cherchez à suivre un plan simple : historique des témoignages et point de vue d’élèves en conclusion. Mais sur le cahier de bord que vous tenez, vous vous apercevez que d’autres idées fourmillent, issues de temps d’échange avec les élèves où tout se croise dans un grand désordre : vous aviez prévu une heure d’atelier par semaine et dès décembre vous vous apercevez que vous avez plus que doublé votre temps de travail hebdomadaire. Vient la rencontre avec Isabelle Choko, emprisonnée dans le ghetto de Lodz puis déportée à 16 ans avec sa mère à Auschwitz et à Bergen Belsen. Pouviez-vous vous attendre à cette force de transmission de la mémoire qui vous laisse vous et vos élèves pantois sur votre siège ? Le soir-même, l’inauguration de l’exposition a lieu et douze élèves remarquablement tranquilles et investies attendent le moment de réciter leurs poèmes ; ce furent douze voix qui ont égrené l’angoisse et l’espoir, douze élèves qui se sont mises à l’unisson du témoignage lumineux de Francine Christophe qui fut déportée à Bergen Belsen à l’âge de 8 ans. Un frisson alors vous étreint devant l’élan et la conviction qui habitent vos élèves. Qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous peut-être réussi ? Vous ne le savez pas encore et cette salutaire incertitude vous portera jusqu’à l’aboutissement de ce projet. Lors de l’inauguration de l’exposition, vous auriez aimé que la terre entière fût là pour voir et comprendre la force qu’expriment ces enfants.

Il vous faut aller jusqu’au bout des idées amoncelées, vous mettez en scène les jeux d’enfants construits en atelier pour animer l’histoire du film ; vous les réunissez un mercredi après-midi, ils jouent leur partition de « un, deux, trois, soleil » sur le thème du poème de Martin Niemöller « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste … ». Cet après-midi là, le film était complètement lancé, surtout avec le tournage de la séquence suivante des enfants jouant aux cavaliers dans le parc à jeux « interdits aux enfants juifs ». Les voir dénoncer cette idéologie immonde, les voir refuser cette sordide collaboration du gouvernement de Vichy qui alla au-delà des desiderata du pouvoir nazi, vous fait comprendre qu’ils ont franchi un cap et le projet de lui-même se développe.

Tout vous paraît facile et vous n’êtes pas à la fin de vos surprises car une élève, Lucinja, va vous donner la conclusion. Vous oeuvrez désormais de concert avec vos élèves, vous avancez allegro vivace, chaque groupe sait désormais où se placer au niveau de la chronologie et du contexte des événements. La tâche n’est pas mince, il faut trouver des illustrations pour chaque commentaire, les filmer, les insérer.

Il y eut deux ou trois événements marquants : ces poèmes où se sont révélés vos élèves, ces rencontres avec Isabelle Choko, Francine Christophe et Marie-Claire Wilkowski sur les traces de son père à Drancy. Puis il y eut ces révélations inattendues alors que vous tourniez avec vos élèves la séquence sur les droits de l’enfant aujourd’hui : en effet Zohra demande de tout son cœur que des enfants israéliens et palestiniens puissent un jour jouer ensemble.

Mais c’est surtout Lucinja qui a toujours montré jusqu’alors une grande implication dans le travail en même temps qu’une grande retenue qui sous l’œil de votre caméra et d’une voix timide vous raconte sa fuite du Sri-Lanka : enfant ballottée sur une petite barque fuyant avec sa famille un pays en guerre. Elle raconte les bombardements, le naufrage de la barque, ses blessures. Et malgré tout cela, cette enfant témoigne de son espoir de paix et de sa soif d’apprendre. Cette jeunesse s’est reconnue dans les valeurs républicaines jusqu’à participer activement à l’un de ses rites fondamentaux : la commémoration. Le 8 mai 2009 à Nanterre, vous ne vous attendiez pas à cela, ils étaient trente à vous attendre pour défiler dans la ville, un bleuet à la main pour célébrer la reddition de l’Allemagne nazie. Ils ont lu le discours de l’ONAC au monument de la ville, ils ont dit leur propre message écrit pour le mémorial de Silgosheim lors de leur voyage au Strüthof, ils ont récité « Liberté » de Paul Eluard devant la stèle dédiée à la Déportation. Vous avez su alors (que ce film ait remporté ou non le 1er prix national du concours) que le mot « fin » le concluant, ouvre une multitude d’espérances.

Danick Florentin et Gilbert Lazaroo

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Les lauréates et leurs professeurs avec Marie-Jo Chombart de Lauwe