Allocution de Fernand Devaux lors de la cérémonie commémorative du 5 octobre 2002, publiée en grande partie dans le Patriote-Résistant n° 767.

JPEG - 815.1 ko
Aincourt
Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

Il y a 63 ans, le sanatorium d’Aincourt, (Seine-et-Oise) transformé en camp d’in­ternement, accueillait 300 hommes : militants communistes, membres du Comité Central du P.C.F et jeunes communistes, députés, conseillers généraux, maires, dirigeants de fédérations syndicales, départementales et locales, responsables d’organisation d’Anciens Combattants dont des grands mutilés de 1914. Près de deux cents “45000” y ont séjourné.

Quand il s’agit d’Aincourt et des militants communistes arrêtés en 1940-1941, on a l’habitude de s’en remettre au décret de novembre 1939, instituant l’internement administratif pour ceux suspectés d’activités communistes. Cela sert souvent à faire l’impasse sur l’action résistante des communistes de 1940. Il est vrai que les 560 parlementaires qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 avaient aussi approuvé en 1939 l’interdiction du PCF, la déchéance de ses élus ainsi que le décret du ministre socialiste Sérol instituant la peine de mort pour activités communistes. Il y a continuité effective dans ce sens. Mais, la France de la défaite de l’occupation, de la trahison de Pétain et de sa politique de collaboration est-elle la même ?

N’est-ce pas dans ce temps de désarroi du peuple français que, le 18 juin, de Londres, le général de Gaulle va lancer son appel à le rejoindre pour continuer la guerre ; que le 10 juillet Maurice Thorez et Jacques Duclos, au nom du PCF, appellent le peuple de France à lutter contre le régime de Vichy et reconquérir l’indépendance nationale.

D’autres, comme le socialiste Lebas, maire de Roubaix, et le général Delestraint, appellent ceux qui les entourent à trouver les chemins qui mèneront à la lutte libératrice. Ce sont les premiers balbutiements de la Résistance.

Des français vont rejoindre Londres. En France, des réseaux de renseignements vont prendre contact avec l’armée anglaise. Les communistes s’organisent et par tracts ils s’adressent à la population, dénonçant la politique de collaboration de Pétain.

Juillet/août/septembre, de nombreux distributeurs de tracts sont arrêtés. L’occupant et Vichy s’inquiètent du développement de ce courant, encore faible il est vrai, mais qui est une véritable menace pour la politique de collaboration.

Ainsi, le 30 septembre 1940, le chef parisien du Sipo (Police de sécurité du Reich) envoie le télégramme suivant à Berlin : « Tous les chefs communistes actifs, connus et fonctionnaires dont on peut attendre que, directement ou indirectement, ils puissent rédiger et distribuer des tracts ou puissent être actifs d’une autre façon, doivent être arrêtés et transférés dans un camp. Le projet a été discuté avec l’ambassadeur Abetz qui a donné son accord à condition que les arrestations, le transfert dans le camp, la surveillance, le ravitaillement soient effectués par les autorités françaises. » Le 3 octobre, le chef de la gestapo Muller lui répond : « après entretien avec le Führer, l’ober Muller ne s’oppose pas aux propositions de la police parisienne sur les mesures à prendre, mais il faut s’assurer : 1. qu’on épargne nos indicateurs, 2. que les listes des arrêtés soient obtenues, 3. que le matériel soit examiné et que tout ceci soit très discret. Il faut nous informer du succès. »

Les nazis vont donc tenter de ne pas apparaître dans la répression. C’est Vichy qui s’en charge. Pétain va utiliser le décret de septembre 1939 qu’il a aggravé le 2 septembre 1940.

L’ouverture d’Aincourt

Ainsi, le 5 octobre 1940 s’ouvre Aincourt. Les 19 et 20 octobre, les préfets de Seine et de Seine-et-Oise publient un arrêté qui stipule que « toute découverte de tracts sur le territoire d’une commune entraînera l’internement immédiat d’un ou plusieurs militants communistes résidant sur son territoire. »

Fin décembre 1940, dans un bâtiment prévu pour 150 malades, le nombre d’internés dépasse les 600, alors que 100 ont déjà été transférés vers Châteaubriant le 4 décembre.

Le camp est dirigé par le commissaire Andrey. La discipline y est sévère : pas de journaux, pas de livre, pas de visite, censure du courrier, fouille des colis, perquisitions dans les chambres. Les chambres étant insuffisantes et surchargées, la salle des fêtes est transformée en dortoir ainsi que le réfectoire qui accueille les jeunes de 17 à 25 ans. Les couloirs deviennent réfectoires. Des internés participent à certains travaux : cuisine, buanderie, fabrication de charbon de bois. Les autres restent dans leur chambre ou dortoir, l’espace extérieur est très limité et pas toujours autorisé. Les activités sont réduites aux jeux intérieurs : cartes, échecs, ping-pong et plus tard volley-ball. Il n’y a pas de lieu où les internés puissent se rencontrer, s’instruire.

Dès l’ouverture du camp, le PCF a créé une organisation clandestine qui se perpétue malgré les transferts de détenus. Son rôle est de maintenir les contacts avec l’extérieur, d’informer (un journal est édité), de veiller au moral des internés et de faire face aux pressions exercées par le commissaire Andrey pour saper le moral et obtenir des ralliements à Pétain. L’absence de visite des familles pèse de plus en plus lourd sur le moral. Alors, vers le mois de mars 1941, l’organisation clandestine décide de harceler le commissaire par lettres et demandes d’audience. En avril, devant les promesses jamais tenues, la grève de ceux qui participent aux corvées est décidée. À l’heure du rassemblement quotidien, la cour reste vide. Le commissaire Andrey ameute les gendarmes qui prennent position avec les fusils-mitrailleurs en batterie. Il entre dans le bâtiment, pensant intimider les internés. Rien n’y fait. Dans l’après-midi, alors que nous sommes toujours encerclés par les gendarmes, il fait arrêter 54 camarades et les enferme dans un autre bâtiment, sans lit ni couverture, au pain sec et à l’eau.

Lorsque le lendemain nous apprenons le traitement infligé à nos camarades, la décision est prise : au repas, nous irons chercher notre morceau de pain et rentrerons dans nos chambres et dortoirs, en signe de solidarité avec nos camarades – qui seront transférés à Poissy puis à Châteaubriant.

En juin, tout le monde a droit aux visites. Les plus anciens internés voient leur famille pour la première fois depuis 8 mois. Il faut dire que, pendant cette période, les mères, les épouses d’internés ont manifesté dans les rues de Paris pour le droit aux visites et la libération des leurs.

Aincourt – premier camp d’internement – est aussi un centre de tri. Le commissaire Andrey établit ses listes de meneurs qui sont alors utilisées pour les fusillades et déportations. • Le 4 décembre 1940 = 100 détenus sont transférés à Châteaubriant. • Le 6 avril 1941 = 54 sont transférés à Châteaubriant. • Le 27 juin = 85 sont transférés à Compiègne. • Le 6 septembre = 150 sont transférés à Rouillé. • Le 6 février 1942 = 26 sont transférés à Compiègne. Trois transferts vers Voves en février, avril et mai 1942 marquent la fermeture du camp des hommes.

JPEG - 1.8 Mo
Souvenir en bois façonné par Gaston Bocquillon (45261) lors de son internement à Aincourt, dans la main de Huguette Henry, sa fille.

Que sont-ils devenus ?

Nombreux sont ceux qui s’évadent de ces différents camps pour reprendre le combat. Mais 18 détenus d’Aincourt, parmi lesquels Cardette, Grandel, Granet, Michels, Poulmarch, Timbaud, Ténine, Verkuisse, font partie des 27 fusillés du 22 octobre 1941 à Châteaubriant. Bréant, Dejardin, François, Grimbaum, Huart, Jurquet, Martin, Pentier, Vezland sont fusillés en mars et avril 1942 à Rouillé.

Environ 200 font partie du 1er convoi d’otages politiques, parti le 6 juillet 1942 pour Auschwitz-Birkenau, dont 90 % ne reverront pas la France. Et combien à BuchenwaId, Orianenburg, Mathausen et autres camps… L’histoire de Châteaubriant, Compiègne, Rouillé, Voves est intimement liée à celle d’Aincourt, tant le nombre d’internés de ce camp s’y retrouve et y laisse une forte empreinte.

À peine le camp des hommes est-il fermé, qu’arrivent, le 12 mai 1942, 60 femmes résistantes du camp de Châteaubriant. Elles ont été les témoins de cette journée du 22 octobre 1941 où furent fusillés 27 patriotes. Le 29 mai, arrive un convoi de 150 résistantes venant de la caserne des Tourelles à Paris, ainsi que des femmes juives accompagnées de leurs enfants. Elles entrent dans le camp en chantant La Marseillaise. Six d’entre elles sont arrêtées et condamnées par le tribunal spécial à 10 ans de prison. Elles sont déportées.

Odette Nilès, internée à Châteaubriant puis Aincourt, raconte qui sont ces femmes : “des jeunes filles, des femmes, arrêtées par la police de Vichy, certaines depuis 1940, avaient déjà connu les prisons de Fresnes et de la Petite Roquette. Dès le début de l’occupation, elles avaient manifesté pour l’indépendance de la France. Elles réclamaient du pain pour leur famille, leurs enfants. Ces françaises, attachées à libérer leur pays du régime établi par Pétain au service des nazis ont contribué à forger la résistance.”

Elle poursuit : “À notre arrivée, le 12 mai, nous sommes accueillies par un contingent de gardiennes, venant de la prison de Rennes, de véritables gardes-chiourmes se vantant de nous mater, en faisant respecter un règlement draconien : interdiction de parler fort, réveil à 7 heures, extinction des feux à 20 heures, obligation de plier ses couvertures dès le réveil, courrier peu nombreux et censuré. Il faut s’organiser, s’occuper. Nous voulons montrer que rien ne peut atteindre notre moral. Des cours sont organisés par des enseignantes, selon leur compétence et chacune d’entre nous fait partager ses connaissances. Puis un jour, les occupants sont venus chercher les femmes juives. Nous vivons une véritable tragédie en assistant à cette séparation des enfants et de leurs mamans. Nous avons gardé peu de temps ces petits qui sont partis pour une destination inconnue, emmenés par la Croix-Rouge. Nous ne connaissons pas quel sort leur a été réservé. Peut-être, ont-ils rejoint Drancy, ce camp de sinistre mémoire, pour finir dans les fours crématoires comme les enfants d’Izieu et de Voiron.”

Le 15 septembre 1942, le camp est évacué – direction Gaillon, puis Monts, puis Méri­gnac (ou certaines seront sous la coupe de Papon), puis Poitiers et Auschwitz pour Hélène Mabille, Madame Levy et Thérèse Chassaing.

Papon, condamné pour complicité de crime contre l’humanité, après 50 ans de protection, est aujourd’hui libre sur injonction de la Cour européenne de justice auquel les magistrats français ont osé répondre favorablement, en raison d’un état de santé soi-disant incompatible avec la prison… “Il faut être humain et lui permettre de mourir en famille”…

Ceux que Papon a livré aux nazis sont morts en famille dans les chambres à gaz d’Aus­chwitz-Birkenau. C’est une injure aux victimes, à leurs familles, à la France résistante, à la République.

N’est-ce pas un acte de banalisation des crimes nazis et de leurs complices, un encouragement aux falsificateurs et négationnistes de l’histoire ?

Fernand DEVAUX