Renée Michaud. Coll. Denise Chaigneaud, née Triguel. Droits réservés.

Renée Michaud.
Coll. Denise Chaigneaud, née Triguel. Droits réservés.

Renée, Louise, Marcelle, Michaud naît le 24 janvier 1920 à La Rochelle (Charente-Inférieure / Charente-Maritime), chez son père, Marcel, 38 ans, domicilié au 12 de la rue de la Madeleine, quartier Lafond. Sa mère n’est pas dénommée sur l’acte de naissance.
Le 5 mai 1931, ayant perdu son père (un militant communiste), le tribunal civil de La Rochelle la déclare pupille de la Nation. Elle demeure alors au 120, rue de Soissons, toujours à La Rochelle.
À son adolescence, aux côtés de son amie Denise Triguel, elle milite à l’Union des Jeunes Filles de France, fondée en décembre 1936, sous l’égide de Danielle Casanova et qui organisera notamment des actions humanitaires vis-à-vis des républicains espagnols à l’issue de la guerre civile. « Grande, rieuse, décidée », selon Charlotte Delbo, Renée Michaud est secrétaire du foyer UJFF de La Rochelle.
Elle a pour compagnon André Sautel, né le 8 juin 1907, secrétaire du parti communiste en Charente-Maritime : ils projettent de se marier.

En mars 1940, à la suite d’une distribution de tracts à La Rochelle, le commissaire de police convoque André Sautel, sans l’appréhender immédiatement : « Il me faut demain la machine sur laquelle ont été tirés ces tracts, sinon je vous arrête ». Au lieu d’aller quérir la ronéo, André Sautel entre dans la clandestinité, Renée Michaux avec lui. Mais ils sont connus et repérables en tant que couple : la direction clandestine du Parti communiste leur demande de poursuivre leurs activités dans des réseaux différents.

En 1941, sous le pseudonyme de “Marcelle”, elle organise les groupes locaux du Front National [1] en Gironde et assure les liaisons entre le Sud-Ouest et Paris, transportant tracts, renseignements et ordres. Habitant dans maints endroits, sous divers noms, elle organise imprimeries et dépôts de matériels.

Vers le mois d’août 1941, elle loue un logement au 3 rue du Buisson-Saint-Louis à Paris 10e – escalier “C”, dernier étage – en présentant une fausse carte d’identité au nom de « Louise Marcelle Beaucey ».

Elle est alors probablement agent de liaison basée à Paris. L’appartement qu’elle loue peut occasionnellement servir de planque pour d’autres clandestins.

Le 5 janvier 1942, la direction des Renseignements généraux de la préfecture de police apprend la présence à Paris d’André Pican, instituteur révoqué de Seine-Maritime faisant l’objet d’un avis de recherche émis par le parquet de Rouen, récemment désigné comme adjoint de Félix Cadras, responsable national à l’organisation du Parti communiste clandestin, afin de remplacer Jean Catelas (arrêté le 14 mai 1941 puis guillotiné). Des inspecteurs de la brigade spéciale sont lancés sur la piste du Haut-Normand, mettant à profit leurs surveillances et filatures.

André Pican, peu avant son arrestation. © Archives de la Préfecture de Police, Paris/Le-Pré-Saint-Gervais.

André Pican, peu avant son arrestation.
© Archives de la Préfecture de Police,
Paris/Le-Pré-Saint-Gervais.

Le 21 janvier 1942, à partir de 11 h 40, le cadre clandestin est suivi au sortir d’un domicile non précisé dans le 20e arrondissement ; le rapport officiel de police ultérieur indique qu’il a seulement été repéré lors d’un rendez-vous à midi dans un café de la porte d’Orléans, mais c’est sans doute afin de protéger un indicateur. En début d’après-midi, André Pican continue à être “filé” quand il se rend, avec son “contact”, au 3 rue du Buisson-Saint-Louis. Puis il rejoint Renée Michaud au café “Brunet”, devant la bouche du métro Botzaris, avant de l’accompagner jusqu’à la gare Saint-Lazare, où elle va prendre un train. Les inspecteurs qui l’ont repérée la surnomment alors « femme Brunet St-Lazare ». À la nuit tombée, André Pican rejoint sa planque du moment, au 34 rue Letort (Paris 18e).

Il semble que Renée Michaud rentre de province le 29 janvier. Ce jour-là, à 11 h 30, elle retrouve André Pican au métro Belleville. Ensemble, ils se rendent au 3 rue du Buisson-Saint-Louis. Ils y cohabitent pendant les jours suivants, allant parfois ensemble en journée dans des cinémas voisins, peut-être pour y trouver un peu de chauffage…

Paris. La gare Saint-Lazare dans l’immédiat après-guerre. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Paris. La gare Saint-Lazare dans l’immédiat après-guerre.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 31 janvier, à la gare Saint-Lazare, Renée Michaud prend un train pour Évreux (Eure) ; elle sera de retour avant le 11 février (à préciser…).

Début février, une opération de police distincte – amenant l’arrestation d’une cinquantaine de militants et la découverte de nombreux dépôts de matériel de propagande – semble inquiéter les cadres clandestins vivants à Paris, selon des indices relevés par les inspecteurs des brigades spéciales.

Le 14 février, vers 20 heures, quatre des inspecteurs chargés de surveiller André Pican constatent que celui-ci se rend en métro à la gare Montparnasse avec Renée Michaud en portant trois valises lourdement chargées (…de linge). Au guichet “grandes lignes”, « Louise Beaucey » change un billet de 5000 francs afin de prendre un billet d’aller simple pour Le Mans (Sarthe) dans le train du lendemain matin (8 h 40). Puis, toujours en utilisant la fausse identité de Renée Michaud, Pican et elle enregistrent les trois valises afin que celles-ci soient expédiées à la gare du Mans. Après quoi, ils regagnent leur domicile.

Considérant que ces préparatifs de départ pour la province pourraient s’étendre à l’ensemble des militants surveillés, les policiers déclenchent dès le lendemain à l’aube leur coup de filet sur toutes les personnes “logées”.

Le 15 février 1942,tôt le matin, Renée Michaud est appréhendée à 300 mètres de sa planque en se rendant seule à la gare. Elle est trouvée porteuse de tracts, dont certains en allemand destinés aux soldats de la Wehrmacht. André Pican sera arrêté plus tard dans la journée en sortant de l’immeuble.

Renée Michaud est détenue quelques jours dans les locaux des Renseignements généraux à la préfecture de police, sur l’île de la Cité, puis elle est conduite au dépôt, sous le Palais de Justice.

Photo anthropométrique prise le 16 février 1942 par le service de l’identité judiciaire. © Archives de la Préfecture de Police (APPo), Paris/Le-Pré-Saint-Gervais.

Photo anthropométrique prise le 16 février 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APPo), Paris/Le-Pré-Saint-Gervais.

Le 19 février, elle est conduite au dépôt, sous le Palais de Justice, en même tant que Germaine Pican, née Morigot, épouse d’André, arrêtée au domicile parisien d’un couple de militants où elle venait d’arriver, dans la perspective de retrouver son mari.

Le 23 mars 1942, Renée Michaud est transférée à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, où elle est mise au secret.

Le 24 août 1942, elle est remise à l’armée d’occupation au conduite, avec trente-trois autres futures “31000”, au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Renée Michaud y est enregistrée sous le matricule n° 677.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (« transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne – sur la commune de Margny – et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Renée Michaud y est enregistrée sous le matricule 31676. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Renée Michaud a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).

Auschwitz, le 3 février 1943 Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz, le 3 février 1943
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Quand elle est atteinte à son tour par la dysenterie, Renée Michaux refuse d’abord d’aller au Revier [3]. Matin et soir, sur le chemin du Kommando des marais, elle ne peut marcher qu’en s’appuyant sur le bras des autres qui la portent presque. Elle s’évanouit à l’appel. Quand elle se résigne finalement, ses camarades a soutiennent jusqu’à la porte de l’infirmerie.

Renée Michaux meurt au camp de femmes de Birkenau vers le 15 avril 1943 (l’acte de décès du camp n’a pas été retrouvé). Elle a 23 ans.

Début octobre 1942, André Sautel a créé le premier groupe FTP à La Rochelle, pour s’installer ensuite au Mans (Sarthe) sous le pseudonyme de Jean-Marie Mercier. Arrêté à la gare le 6 février 1943, torturé, il est mort le jour même. Selon Charlotte Delbo, il se serait pendu dans sa cellule à l’aide d’une corde qu’il avait confectionnée en déchirant une jambe de son pantalon. Il avait trente-cinq ans.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

[3] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

Sources :
- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition de 1995) page 202.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers de la brigade spéciale anticommuniste des renseignements généraux, “Affaire Pican, Cadras, Politzer” (GB 129) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 204-131635) ; dossier du cabinet du préfet (1 W 678-21598).
- AFMD-DT17, copies de documents d’état civil transmis à Jean Menant, de Choisy-le-Roy (08-2015).
- Francoise Oueslati,  fille de Denise Chaigneaud , née Triguel : message du 4-10-2020, avec portrait civil.

MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 17-10-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).