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Marie et Simone Alizon.

La jeunesse

Les deux sœurs naissent à Rennes (Ille-et-Vilaine). Après la première guerre mondiale, leurs parents, issus tous deux de familles paysannes pauvres, parviennent à acquérir un ancien relais de poste transformé en hôtel, au 8, contour Saint-Aubin (où siège actuellement la Direction départementale de l’Office national des Anciens combattants).

Marie Alizon, l’aînée, naît chez ses parents le 9 mai 1921. Sa mère met ensuite au monde un petit frère qui meurt d’une méningite foudroyante à l’âge de 2 ans et demi. Lors d’un accouchement difficile, vient ensuite Simone, née le 24 février 1925, qui restera de santé fragile toute son enfance. Elle est rapidement placée en nourrice dans la campagne proche de Rennes, chez un couple d’agriculteurs sans enfants, revenant chez ses parents lors des vacances scolaires. Elle s’habitue à la campagne, à la solitude et à l’indépendance.

En 1935, leurs parents font construire un autre hôtel près de la gare SNCF de Rennes, un petit établissement avec douze chambres de voyageurs et un garage où le père de famille entretient souvent leurs véhicules.

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Carte postale d’avant guerre.
Collection Mémoire Vive.

Les deux sœurs partagent la même chambre, mais leur différence d’âge leur fourni des sujets de préoccupation différents.

Après avoir obtenu son brevet élémentaire dans l’institution religieuse où elle a été scolarisée, Marie décide de ne pas poursuivre ses études et d’aider ses parents à l’hôtel, en tenant notamment la réception.

Après juin 1936, Simone, dite « Poupette », entre dans un préventorium pour enfants, puis passe deux ans dans une clinique tenue par des religieuses où elle reçoit régulièrement la visite de ses parents.

Elle revient chez elle lors de la crise européenne provisoirement conclue par les accords de Munich. Dès lors, les deux sœurs commencent à s’intéresser ensemble aux actualités.

La famille n’est pas profondément affectée par la période de mobilisation de la “drôle de guerre”. Puis l’offensive allemande rappelle la réalité de la guerre. Les réfugiés de passage trouvent refuge à l’hôtel. Après le premier bombardement de Rennes, les parents amènent leurs filles à l’écart de la grande ville, dans un village où un curé accepte de les héberger dans son presbytère. En se promenant sur une route des alentours, Manette et Poupette croisent un premier petit détachement de soldats allemands.

Le pays est investi, l’armistice est signé, fuir n’a plus de sens : leurs parents viennent rapidement les rechercher.

La résistance

En octobre 1941, un responsable du réseau “Johnny” [1] passe par l’hôtel des Alizon. Il entend la mère de famille – souvent alitée à cause de sa maladie – « se plaindre amèrement de la présence des occupants ». Or, ce réseau qui s’est d’abord donné pour mission de surveiller l’activité des bateaux de guerre allemands ayant investi la rade de Brest, doit abandonner ses points d’émission radio du Finistère à la suite d’arrestations. Le petit hôtel, situé près de la gare de Rennes, mais en retrait et où les Allemands sont honnis, pourrait devenir ce point de repli. Le responsable y envoie deux jeunes gens pour en évaluer la possibilité. Le bâtiment a plusieurs accès et la salle de café-bar justifie la circulation des personnes.

Après qu’ils s’en soient ouvert à Marie Alizon, celle-ci prend la décision d’accepter la mise à disposition de l’hôtel pour la Résistance et met aussitôt sa sœur au courant : elles sont si heureuses de pouvoir enfin se rendre utiles. Les deux jeunes “radios” s’installent dans une chambre de l’hôtel. Les membres du réseau y touvent asile lorsqu’ils transitent par Rennes, d’autres s’y “planquent” provisoirement. Comprenant la situation, leur père Alizon met en garde ses filles contre les conséquences de leurs actes ; sans s’y engager, il leur donne une sorte d’accord tacite.

Les deux sœurs reçoivent les renseignements “codés” transmis par Radio-Londres qu’elles transmettent aux “radios”. De leur côté, ceux-ci radiotélégraphient le soir vers l’Angleterre ; entre autres informations transmises par les sœurs Alizon, on peut citer un déplacement du maréchal Goering entre Metz et Saint-Florentin.

L’hôtel étant près de la gare, Madeleine Jégouzo, alias Lucienne Langlois, le fréquente également pendant la clandestinité et la Résistance, sans savoir qu’elle retrouvera les sœurs Alizon en déportation.

Presque tout de suite, Marie et un des garçons tombent amoureux.

Mais des membres du réseaux sont filés. L’étau se resserre.

L’arrestation

En février-mars 1942, plusieurs d’entre eux sont arrêtés, dont le fiancé de Marie Alizon. Bien que discrètement informée de cette arrestation par l’intermédiaire des parents du garçon, Marie ne fuit pas : comment laisser son père seul avec sa mère malade.

Le 13 mars, elle est arrêtée chez elle par des Feldgendarmes qui la remettent à la Gestapo. Elle est emprisonnée trois jours à la Tour pointue de Rennes, puis est transférée à Paris, à la section des femmes du quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé.

Cinq jours plus tard, Simone Alizon est arrêtée à son tour par des Feldgendarmes, au moment où elle quitte la maison pour aller à l’école. Âgée dix-sept ans, menue, Simone a l’air d’une gamine inoffensive : elle est pourtant le “courrier” du réseau Johnny. Elle n’a pas voulu quitter la maison pour les mêmes motifs que sa sœur.

Leurs parents ne sont pas interpellés (leur mère est mourante).

De Rennes à Romainville

Poupette suit le même trajet que sa sœur et arrive à son tour à la prison de la Santé ; elle sont chacune de leur côté, en cellules individuelles, au secret. Après quelques jours, en communiquant par les tuyauteries, elles découvrent qu’elles ne sont pas loin l’une de l’autre. Elles sont interrogées par des allemands.

En octobre, elles sont transférées au quartier allemand de la Maison d’arrêt de Fresnes [2] (Val-de-Marne), toujours isolées, toujours sans se voir et – cette fois-ci – sans aucune possibilité de contact : huit mois de solitude, d’inaction, d’ennui, de faim.

Le 10 novembre, les deux sœurs sont transférées avec deux autres détenues de leur réseau – Lina Khun, Marguerite Chavaroc – et Toussainte Oppici au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Marie Alizon y est enregistrée sous le matricule 1193, Simone sous le 1191.

Là elles ont l’autorisation d’écrire et de recevoir des lettres (deux par mois). Une semaine avant leur déportation, un courrier de leur père leur apprend que leur mère est morte le 5 juillet, pendant qu’elles étaient à la prison de la Santé.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Manette et Poupette sont dans le deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies.

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Marie Alizon y est enregistrée sous le matricule 31777, Simone sous le 31776. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (les photos d’immatriculation de “Manette” et “Poupette” ont été retrouvées).

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Marie Alizon
photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
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Simone Alizon
photographiée le même jour.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Pendant les premières semaines, les deux sœurs ne se quittent pas un instant. Manette veille sur sa petite sœur, qui a ses dix-huit ans à Birkenau, le 24 février.

Après la mort de sa mère, qui a été prise à la “course”, Hélène Brabander se joint à elles pour former un trio inséparable et solidaire.

Manette, atteinte par la dysenterie, les jambes enflées, est admise au Revier, d’où elle sort vivante un peu plus tard.

Le 15 mars, elle est choisie pour travailler au Kommando agricole de Raïsko ; elle fait à pied, matin et soir, les deux ou trois kilomètres qui séparent le camp de son lieu de travail. Les deux sœurs se retrouvent le soir dans leur Block, dormant l’une près de l’autre.

Ayant de gros ganglions à l’aine, les jambes toujours gonflées, Manette en arrive à un stade d’épuisement où elle refuse toute nourriture. Un matin, elle se présente seule au Revier. Elle y contracte une double otite, non soignée. Grâce à une complicité, Poupette parvient à lui rendre plusieurs visites, jusqu’au jour la détenue qui l’a aidée lui barre le passage pour lui faire comprendre que c’est fini.

Marie Alizon meurt à Birkenau le 3 juin 1943. Elle a eu vingt-deux ans trois semaines plus tôt.

Après la mort de Manette puis d’Hélène, Poupette est prise en charge par d’autres camarades de son convoi.

Elle intègre alors un groupe de six “31000” composé d’elle-même, de Gilberte Tamisé (la plus âgée, qui a perdu sa jeune sœur), de Charlotte Delbo, de Christiane Charua (dite Cécile), de Jeanne Serre (dite Carmen) et de sa sœur, Lucienne Thévenin (Lulu). Elle est la seule non-communiste.

Au cours du mois de mai, les six sont affectées comme jardinières au Kommando agricole de Raïsko avec un groupe de détenues polonaises. Comme elles dorment encore à Birkenau, elles font le trajet matin et soir, ce qui les amène à traverser les voies ferrées. Un jour, après avoir quitté le camp des femmes, leur marche est interrompue et elles assistent à l’arrivée d’un convoi de familles juives sur le quai de débarquement de la gare de marchandises.

Puis la Résistance parvient à les faire admettre dans les bâtiments de Raïsko, où les conditions de survie sont meilleures : douches, châlits individuels, pas de coups. Le soir du 1er juillet 1943, après y être allé travailler, elles peuvent y rester.

À partir du mois d’août, comme les “31000” survivantes qui ont été placées dans la baraque de quarantaine, elles peuvent écrire à leur famille en allemand et sont autorisées à recevoir des colis.

Les détenues politiques de Raïsko sabotent les recherches menées dans ce Kommando et “organisent” des fruits et légumes pour reconstituer leurs forces.

Au début de l’hiver, avec l’appui des Polonaises, les Françaises organisent clandestinement une représentation théâtrale du Malade Imaginaire de Molière (texte “reconstitué”, mise en scène de Charlotte Delbo, décor de Carmen, costumes de “Cécile” entre autres, Lulu interprétant Argan).

Le 7 janvier 1944, avec ses cinq compagnes, Poupette fait partie d’un petit groupe de dix détenues désignées par le commandant d’Auschwitz pour être transférées vers un autre camp. Elles sont d’abord conduites, en carriole, au Block de quarantaine de Birkenau où elles retrouvent les autres “31000”. Deux d’entre-elles, diagnostiquées fiévreuses, resteront sur place.

Conduites à la gare, les huit autres montent dans un wagon de voyageurs de troisième classe. Le commandant du camp des femmes range lui-même leurs valises restitués dans les filets à bagages. Arrivé le lendemain matin à Berlin, leur groupe et son escorte SS emprunte le métro aérien pour passer d’une gare à une autre. Une heure après le départ, elles descendent du train pour marcher jusqu’à la porte du camp de femmes de Ravensbrück.

Après la période de quarantaine, elles décident de devenir des Verfügbar – des concentrationnaires sans affectation dans un Kommando de travail – et déploient un maximum de ruses pour éviter de travailler.

Cependant, Charlotte Dudach-Delbo et Madeleine Doiret veulent éviter d’être prises dans des transports vers des Kommandos de travail extérieurs : on ne sait où ce sera, sur quel travail on tombera, on risque d’aller dans une usine de guerre qui sera bombardée, etc. Grâce à des camarades tchèques qui s’occupent de l’embauche, elle se font engager dans l’usine Siemens intégrée au camp.

Le 4 août, trente-cinq “31000” de la quarantaine de Birkenau arrivent à leur tour à Ravensbrück, la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.

Cinq jours plus tard, le 9 août 1944, après sept mois au KL Ravensbrück, Poupette se retrouve avec ses compagnes, Cécile, Gilberte Tamisée, Carmen et Lulu dans un transport pour le Kommando de Beendorf, dépendant du KL Neuengamme. L’hébergement de trois mille femmes se fait sous un immense hall en béton aménagé, mais celles-ci descendent quotidiennement travailler entre 400 et 600 mètres de profondeur dans une usine installée à l’intérieur d’une mine de sel et où sont fabriquées des pièces de moteurs de V1 (bombes volantes). Exceptées Carmen et Lulu, elles sont séparées au hasard des ateliers qui fonctionnent jour et nuit. Elles obtiennent le soutien matériel de prisonniers de guerre français affectés à la mine, mais qu’elles ne rencontrent pas. Là encore, elles sabotent la production autant que possible.

Le 10 avril 1945, les cinq amies se retrouvent pour l’évacuation du camp. Les cinq mille concentrationnaires sont escortés jusqu’à un train de marchandises. Les femmes sont entassées dans des wagons à bestiaux et les hommes jusqu’à 250 sur des plates-formes découvertes. Les anciennes d’Auschwitz montent dans un wagon un peu moins rempli. Au milieu, une surveillante et deux soldats SS divisent les déportées en deux groupes. Les cinq “31000” ont pu rester avec cinquante camarades de travail françaises. En se concertant, toutes décident d’une implacable règle d’occupation de l’espace qui leur est imparti : cinq d’entre elles s’allongent pendant une heure pour dormir ; dans le même temps, vingt autres s’assoient, emboîtées les unes dans les autres à la manière des guillemets ; les autres attendent debout, serrées les unes contre les autres, avant de prendre leur tour de repos. Elles appliquent cette rude discipline pendant les douze jours que dure l’errance du convoi, grâce à quoi aucune d’entre elles ne succombe.

Le train va lentement, toujours retardé par les bombardements, les voies coupées. de longs arrêts. Lors de ces arrêts les SS font descendre les prisonnières qui doivent creuser des trous pour enterrer les morts. Leur besogne terminée, elles s’allongent sur le ballast ; puis le train repart. Une nuit, à la faveur d’un arrêt, tous les Russes d’un wagon s’évadent. Les SS mitraillent le train puis prennent trois cents hommes et les fusillent sur place.

Les Alliés approchent. Le bruit du canon devient de plus en plus fort. Au court du trajet, elles ont même vu entrer dans la ville de Stendal les premiers blindés américains.

Après six jours d’un trajet mortel, les hommes sont conduits au petit camp de Woblelin. Emportant alors seulement les femmes, le train passe par la gare de Lübeck,

Quand enfin, après dix jours de voyage – pour parcourir 180 kilomètres – le convoi arrive à proximité du KL Neuengamme, le camp vient d’être évacué. Les derniers détenus sont partis le matin même.

Les femmes remontent dans leur train, qui s’arrête définitivement deux jours plus tard à hauteur du petit camp de Sasel, Kommando de femmes situé dans un faubourg de Hambourg – 13 km au nord-est – et dépendant du KL Neuengamme.

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Karte des Deutchen Reiches, Grossblatt 33 Hamburg-Stade.
Ausgabe 1941 (détail). Collection Mémoire Vive.

Toutes ces femmes déportées sont épuisées. Depuis l’évacuation de la mine jusqu’à l’arrivée à Sasel, elles n’ont eu qu’un morceau de sucre et un paquet de nouilles, elles ont mangé les nouilles crues : il en meurt par dizaines tous les jours.

Les SS font sortir les cadavres des wagons puis disparaissent, remplacés par des Schupos [3] ou des Feldgendarmes. Les détenues qui continuent à mourir sont enterrées dans le cimetière voisin.

Simone est dans un commando de croque-morts : elle enterre toute la journée, transporte les cadavres, creuse les trous. Elle a vingt ans.

Les Françaises restent huit jours dans ce camp. Puis leurs nouveaux gardiens leur annoncent leur libération.

Elles sont conduites de nouveau vers des wagons à bestiaux, mais le plancher de ceux-ci est abondamment couvert de paille, elles n’y montent qu’à cinquante-cinq au maximum et les portes en resteront ouvertes. Le 1er mai, le convoi traverse les ruines de Hambourg, dévastée par les bombardements alliés. Le train roule lentement et, quand le soir tombe, les Françaises chantent toute la nuit sans pouvoir trouver le sommeil. Le lendemain, vers seize heures, le train stoppe en rase campagne et certaines déportées aperçoivent des camionnettes de la Croix-Rouge. Quand les cinq “31000” sortent à leur tour de leur wagon, elles chantent La Marseillaise pour la première fois depuis leur arrivée à Birkenau. Les déportées rejoignent un autre train composé de voitures de première classe dans lesquels elles osent à peine s’assoir, n’ayant pu se laver depuis Beendorf.

Vers trois heures du matin, elles franchissent la frontière danoise à Padborg. Au petit matin, on leur distribue des cartons avec de la nourriture. Le train va jusqu’à Copenhague où elles embarquent sur un ferry pour Malmö. On les installe dans un train vide pour y attendre leur désinfection. Leurs vêtements de concentrationnaires – souillés et pleins de poux – sont brûlés.

La plupart des Françaises sont soignées en Suède pendant deux mois. La veille de partir, elles fêtent la nuit de la Saint-Jean et le soleil de minuit.

Le 23 ou 28 juin, les cinq amies sont rapatriées en avion – un DC9 équipé pour le transport de parachutistes – depuis Stockholm jusqu’à l’aérodrome de Villacoublay, proche de Versailles (Yvelines).

Conduit à l’hôtel Lutetia à Paris, leur petit groupe se disperse dans les bureaux où ont les interroge. Puis celles de la région parisienne partent avec leurs familles ou rentrent chez elles.

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L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Simone Alizon se marie avec l’un des créateurs du réseau « Johnny », Jean Le Roux. Elle conserve de grosses séquelles de la déportation.

Elle est homologuée comme sous-lieutenant dans les Forces de la France combattante. En mars 1966, elle reçoit la Légion d’honneur.

Dans le convoi parti le 24 janvier 1943, il y avait cinq jeunes filles nées en 1925. Poupette est la seule qui ait survécu. Née en février, elle était l’aînée des cinq. Les autres sont mortes avant d’avoir dix-huit ans.

Sur le monument aux morts de Kerfeunten, aujourd’hui quartier de Quimper (Finistère), le nom de Marie Alizon est inscrit à côté de ceux de Marguerite Chavaroc et de Lina Khun, sur une plaque dédiée au trente-six agents du réseau Johnny morts pour la France.

Simone Alizon est décédée le 24 juillet 2013, à 88 ans. Elle est inhumée au cimetière de l’Est de Rennes.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 25/28.
- Simone Alizon, L’exercice de vivre, éditions Stock, mars 1996.
- François Tanniou, site Les plaques commémoratives, sources de mémoire.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-10-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Le Réseau “Johnny”, reconnu Réseau “Français Libres”, fut créé fin 1940 par des Bretons dont Jean Le Roux et Jean Milon, fils du Doyen de la Faculté des Sciences de Rennes. Parmi les membres du réseau, on peut citer un autre Milon, Yves, futur membre du Comité de la Libération et futur Maire de Rennes.

[2] Fresnes et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Schupo : chargée de la sécurité publique dans les villes allemandes, la Schutzpolizei (littéralement police de protection) dépend de chaque Landespolizei. Il s’agit davantage d’agents de ville que de gendarmes, comme l’ont écrit les rescapées, peut-être à cause de l’aspect de l’uniforme.