Il quitte probablement son poste le 8 juin 1918, ou ne le rejoint pas à cette date (« interruption de service »). Le 9 juillet 1918, il est affecté au 21e R.I. par mesure disciplinaire (alors qu’il devait passer au 19e R.I.). Le 15 juillet, le Conseil de guerre de la 121e division d’infanterie le condamne à trois mois de prison pour désertion à l’intérieur en temps de guerre, circonstances atténuantes admises. Le 15 juillet, Lucien Godard est écroué à la prison militaire de Rouen pour y accomplir sa peine (laquelle sera amnistiée par la loi du 3 janvier 1925). Le 15 septembre 1918, il est affecté au 129e régiment d’infanterie. Le 3 janvier 1919, il passe à la 24e section de Commis et Ouvriers militaires d’Administration (COA).

- La cité ouvrant au 18 rue Brillat-Savarin.
© Photo Mémoire Vive.
Le 8 mai 1938, avec d’autres habitants, il récupère dans une resserre les meubles d’une locataire, veuve de guerre et mère de famille, qui vient d’être expulsée et la réinstalle dans son logement, malgré l’opposition d’un brigadier et deux gardiens de la paix appelés par la concierge. Dix jours plus tard, au cours d’une réunion de Parti organisée au 103, rue Bobillot, il proteste violemment contre l’expulsion de la veuve et les poursuites engagées contre les responsables de l’amicale.
En mai 1939, l’armée le classe dans « l’affectation spéciale au titre du tableau 3 » aux Laboratoires LMT – un autre site de la même entreprise – au 46, avenue de Breteuil à Paris 7e.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Il est possible que Lucien laisse tomber un message à hauteur de Bar-le-Duc.
Ayant passé la nouvelle frontière, le convoi s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… et enfin la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Lucien Godard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45610, selon les listes reconstituées et par comparaison de la photo retrouvée du détenu portant ce matricule avec celle transmise par sa famille pour les recherches.
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Godard.
1 – Les témoignages retenus se réfèrent tous deux à un passage par la prison de Brieg, près du tribunal de Breslau, en Basse-Silésie (aujourd’hui en Pologne, sous le nom de Břeg), destinée aux détenus “NN” jugés dans le Reich. Non seulement cela ne correspond à aucun trajet en détention d’un autre “45000” d’Auschwitz, mais un tel parcours est incohérent.
2 – Lucien Godard n’a jamais donné de ses nouvelles à ses enfants, qui ne sauront pas où il se trouve, alors que les politiques français d’Auschwitz-Birkenau ont obtenu l’autorisation d’écrire à partir de l’été 1943.
3- L’administration SS du camp d’Auschwitz-Birkenau a établi pour Lucien Godard un acte de décès inscrit dans ses registres (Sterbebücher) à la date du 17 septembre 1942. Il est vrai que ce document ne constitue pas en soi une preuve absolue, car on connaît plusieurs cas où la résistance interne dans les “hôpitaux” et les services administratifs de ce camp a pu, en prenant de grands risques, émettre de fausses déclarations de décès afin, paradoxalement, de sauver la vie de certains détenus en danger.
4 – La preuve quasi certaine de la disparition de Lucien Godard à Auschwitz tient dans le fait que son nom ne figure pas dans les listes retrouvées de départ et d’arrivée des 31 détenus – dont 29 matricules allant de 45653 à 46264 – transférés, du 28 au 31 août 1944, vers le KL Flossenbürg, où il est censé avoir trouvé la mort. Guillaume Quesnée nous rappelant par ailleurs que c’est à la fin 1944 que la mesure concernant les détenus ”NN” passés, ou devant passer, devant des tribunaux du Reich n’est plus appliquée et que ceux-ci sont extraits des prisons pour être transférés dans les KL Gross Rosen, Flossenbürg ou Sachsenhausen.

Liste de transport au départ du KL Auschwitz et liste d’enregistrement au KL Flossenbürg avec de nouveaux n° matricules.
© Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim (Pologne).
La confusion provient très probablement de ce que Pontet et Vermeulen ont chacun côtoyé, dans l’enceinte de la prison de Brieg, un détenu portant le même patronyme : Godard Jacques, né le 2 août 1910 à Louviers (27), déporté dans le transport «NN» de 29 hommes parti le 28 août 1942 de Paris, gare de l’Est, et arrivé au Sonderlager Hinzert le 29 août 1942, passé ensuite par les prisons de Wittlich, Wohlau, Breslau, Brieg, puis transféré au KL Flossenbürg où il est mort le 10 avril 1945 (réf. Mémorial FMD, I.50., tome 1, pages 477-478). On constate que la date de décès des deux Godard est la même. Le prénom diffère, mais ces détenus se désignaient-ils plutôt par leurs prénoms ? Et quelle mémoire en était restée ? Par ailleurs, aucun des deux témoins de Brieg ne fait allusion au passage par Auschwitz de “leur” Godard, pourtant notable en raison du matricule tatoué.
Le nom de Lucien Godard n’a pas été inscrit sur le monument dédié aux 67 ouvriers de la Snecma « Morts pour que vive la France », alors installé à l’intérieur de l’usine du boulevard Kellerman, puis déplacé dans la nouvelle usine de Corbeil (Essonne) après le déménagement de celle-ci en 1968, et où sont portés les noms de quatre autres “45000” : Henri Bockel, Roger Desmonts, Maurice Fontès et Ernest Rossignol. Au bas du monument est inscrit, à juste titre : « Et à la mémoire de tous ceux dont les noms n’ont pas trouvé place sur cette plaque »…
Lucien Godard est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 24-10-1993).
Notes :
[1] Les HBM du 16-24, rue Brillat-Savarin, inaugurés en 1924, ont été dessinés par les architectes André Arfvidson, Joseph Bassompierre et Paul de Rutte.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 372 et 406.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Extrait de son acte de naissance avec mention du décès (Mairie du 18e).
Serge Boucheny et Dominique Guyot, Gnome et Rhône 39-45, parcours de 67 salariés, Association d’Histoire Sociale CGT de la SNECMA, Paris 2018, pages 4, 9, 12, 15, 28, 29.
Archives de Paris, site internet, archives en ligne ; registre des naissances du 18e arrondissement à la date du 3-04-1895 (V4E 10317), acte n° 1483 (vue 8/31).
Archives de Paris : registres des matricules du recrutement militaire, classe 1915, 3e bureau de la Seine, volume 2001-2500 (D4R1 1864), Godard Lucien Joseph, n° 2324.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1260-65381).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 357 (31145/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 28-08-2018)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.