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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Anne, Marie Riffaud naît le 12 octobre 1898 à Jusix (Lot-et-Garonne – 47), où ses parents sont agriculteurs.

Elle va à l’école à Jusix, puis à Bourdelles (Gironde – 33).

À une date restant à préciser, Marie épouse Roland Richon, né le 15 août 1889 à Tonneins (47), forgeron dans une compagnie de chemin de fer. Elle travaille chez elle, faisant des tricots. Ils ont – au moins – un fils. Au moment de leur arrestation, ils sont domiciliés au 20, rue de Colmar, à Bègles, dans la banlieue de Bordeaux (33). Roland Richon est alors déclaré comme serrurier, après avoir travaillé à l’entretien aux ateliers SNCF de la Dombe, à Bordeaux (en a-t-il été révoqué ?).

Leur fils s’engage dans la résistance armée dès le début de l’occupation : en 1942, il est commandant des Francs-tireurs et partisans (FTP).

Anne et son mari collectent du ravitaillement pour les internés du camp français de Mérignac, près de Bordeaux.

Selon Charlotte Delbo, pendant l’été 1942, ils donnent refuge dans leur cave à un instituteur obligé de se cacher (s’agit-il de Pierre Giret après son évasion ?).

Le 25 mai 1942, Pierre Giret, anciennement instituteur à Argelos (Landes), désigné comme responsable à la propagande communiste clandestine sur Bordeaux, est arrêté par la brigade du commissaire Poinsot lors d’un rendez-vous devant le Parc des sports de la ville. Son épouse est également arrêtée. Interrogé les 26 et 28 mai, Pierre Giret livre rapidement des informations permettant d’arrêter quelques personnes. Le 30 mai, il échappe aux trois inspecteurs qui l’ont conduit à son domicile et son épouse s’évade d’un hôpital le 12 juin. Dans leur cavale, ils se font héberger par plusieurs familles de militants. Mais le couple est repris le 27 juillet. Pour se racheter de son évasion, Pierre Giret complète spontanément ses premières déclarations sur l’organisation communiste clandestine (son épouse, de son côté, livrant ce qu’elle sait), puis il se met totalement au service de la police française et de la Gestapo de Bordeaux (KDS) comme indicateur et agent provocateur, notamment dans les Landes. Le 30 juillet, Raymond et Félicienne Bierge sont arrêtés ; lui sur son lieu de travail, elle à son domicile qui est perquisitionné. Le même jour ou un peu plus tard, Raymond et Paula Rabeaux sont également arrêtés.

Le 29 août 1942, Marie et Roland Richon sont arrêtés chez eux. On ne sait rien des circonstances de cette arrestation. Un jour d’été, leur neveu, combattant FTP, vient pour les voir et trouve la maison vide. Des tickets d’alimentation, quelques vieilles pommes de terre et du pain très rassis, sont restés sur la table. Il interroge les voisins : ceux-ci n’ont pas vu les Richon depuis environ une semaine.

Par la suite, Marie Richon est emprisonnée au fort du Hâ, à Bordeaux.

Le 14 octobre 1942, elle est parmi les soixante-dix hommes et femmes – dont trente-trois futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Anne, Marie, Richon y est enregistrée sous le matricule n° 965. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).

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Au fort de Romainville
Marie Richon.
Collection numérique Mémoire Vive.
Droits réservés.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Marie Richon fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise. Marie Richon y est peut-être enregistrée sous le matricule 31741, selon la correspondance établie avec le registre d’écrou de Romainville).

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil. La photo d’immatriculation de Marie Richon n’a pas été retrouvée.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Au bout de quelques semaines, Marie Richon a les pieds et les jambes enflés, l’œdème atteint jusqu’aux hanches et ses cuisses suintent. Fernande Laurent lui entortille des bouts de couverture autour des jambes, mais les chiffons sont trempés en quelques heures et il faut les ôter. « Tu vois mes jambes ? Je suis fichue. C’est la fin », dit-elle un jour à Gilberte Tamisé (selon l’expérience des déportés, beaucoup meurent dans les trois jours après que l’œdème soit apparut). Marie Richon ne peut plus tenir sur ses jambes. Après l’appel, Gilberte Tamisé (31715, rescapée) et Germaine Renaudin (31716, rescapée) la soutiennent jusqu’à l’entrée du Revier, l’« hôpital » du camp. Là, on la fait attendre, assise sur la cheminée (le Revier est chauffé : une cheminée de briques traverse la baraque à hauteur de banc en partant du foyer situé à une extrémité du bâtiment). Marie reste assise sur cette cheminée jusqu’au soir. Quand on lui donne enfin une place sur un châlit pour se coucher, elle est brûlée et succombe quelques heures plus tard (témoignage de Marie-Elisa Cohen).

Marie Richon meurt à Birkenau peu avant le 21 mars 1943 (selon le témoignage des rescapées, l’acte de décès du camp n’a pas été retrouvé).

Le 2 octobre 1943, Roland Richon est fusillé au Mont-Valérien (Suresnes – 92) – après un an d’internement au fort de Romainville – parmi cinquante otages [2] dont René Damous, Gustave Normand, Attilio Pica (?) et Jean Sabail, autres époux de “31000”. Sur le mur de la pièce (la chapelle ?) où ils sont enfermés dans l’attente de leur exécution, Roland Richon écrit : « Vive la France. Nous serons vengés. » Aujourd’hui, son corps est inhumé dans le carré militaire du cimetière parisien de Saint-Ouen (Hauts-de-seine – 92)

Leur neveu, celui qui avait découvert la maison vide en juillet 1942, combattant FTP, est tué dans le maquis des Landes.

Sorti vivant de la guerre, le fils de Marie Richon apprend la mort de sa mère au retour des rescapées.

Dans son livre, Charlotte Delbo raconte (en 1965 ?) : « Dans un village, à soixante-dix kilomètres de Bordeaux, vit encore la mère d’Anne Richon. Elle a quatre-vingt-six ans. Dans la maison d’en face habite la sœur d’Anne, mère du jeune homme tué au combat. Toutes deux vivent dans le souvenir d’Anne. C’était une famille très unie. »

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Bègles donne le nom de Marie et Roland Richon à une rue de la commune.

Anne, Marie, Richon est déclarée morte en déportation (JORF du 14-12-1997, page 18099).

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 249-250.
- René Terrisse, À la botte de l’Occupant. Itinéraires de cinq collaborateurs, Bordeaux, éditions Aubéron, 1998, chap. II, pp. 37-39.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Serge Klarsfeld et Léon Tsevery, Les 1007 fusillés au Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs, Association des fils et filles des déportés juifs de France, 1995, pages 58 et 87.
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 250 à 253.
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de R à W (cote 0110LM0109).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 3-04-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] La fusillade du 2 octobre 1943 : Depuis un an, les autorités d’occupation semblent avoir renoncé aux exécutions massives d’otages, remplacées par la déportation. Mais, le 28 septembre 1943, Julius Ritter, président du service de la main-d’œuvre en France et représentant direct de Fritz Sauckel – nommé par Hitler « plénipotentiaire au recrutement et à l’emploi de la main-d’œuve » – est abattu rue Pétrarque à Paris par l’équipe spéciale des FTP-MOI de Marcel Rayman, dont le chef militaire est Missak Manouchian. En représailles, 50 otages choisis parmi les Sühnepersonen encore internées au fort de Romainville sont fusillés le 2 octobre 1943 au mont Valérien. Vingt s’y trouvaient depuis plus d’un an, arrivés entre août et octobre 1942 en vue des exécutions massives de cette période. Ainsi, Gustave Normand, enregistré au fort le 24 août 1942 avec près d’une soixante de camarades otages qu’il a vu partir vers la fusillade ou la déportation.