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Photographie anthropométrique prise le 16 septembre 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris. 

Yvonne, Renée, Lucie, Gallois naît le 25 avril 1921 à Sorel-Moussel [1], petit village sur les bords de l’Eure, 13 km au Nord de Dreux (Eure-et-Loir), fille de Raphaël Gallois, 24 ans, alors ouvrier de scierie à Ézy(-sur-Eure), journalier agricole (qui habitera au 2 rue Marquis, à Dreux) et de Germaine Mabilotte, son épouse, 18 ans, alors journalière, domiciliés au lieu dit la Boissière, avec ou auprès de la famille de Joseph et Augustine Mabilotte. Yvonne est l’aînée. En 1923, naissent ses deux frères jumeaux, Roland et Roger. En 1926, leur père est bûcheron. En 1927, naît leur frère Bernard. En 1931, leur père est ouvrier dans une papeterie.

Yvonne va à l’école communale à Sorel-Moussel, puis à Muzy, limitrophe de Dreux, au nord-ouest, où la famille déménage ensuite. Yvonne y passe son certificat d’études, puis commence à gagner sa vie.

Lors du recensement de population de 1936, la mère d’Yvonne est enregistrée sous son nom de jeune fille comme femme de service à la clinique Laennec (sanatorium) de Dreux. Si elle y loge, s’agit-il d’une séparation ?

En 1942, Yvonne Gallois est cuisinière à Paris, dans le 20e arrondissement ; une place où elle n’est pas logée, où la nourriture est si chiche que sa mère lui envoie du ravitaillement. Elle habite au 335, rue des Pyrénées.

Au cours de cette année, elle se met en ménage avec Marc, Marcel Lainé, 17 ans (né le 25 janvier 1925 à Garnay, 28), venu de Dreux en juillet et, en dernier lieu, ajusteur chez Schneider Hispano à Houilles (Seine-et-Oise / Yvelines). Très rapidement, le jeune homme adhère au Parti communiste clandestin, puis intègre un groupe de combat des francs-tireurs et partisans (FTP).

Marc Lainé se voit d’abord confier pour mission le repérage de lieux où des actions armées sont envisagées contre des Allemands ou d’ex-membres du Parti communiste considérés comme des traîtres. Le 1er août 1942, il est simple surveillant lors de la manifestation de ménagères organisée rue Daguerre (Paris 14e) pour protester contre la vie chère et les difficultés d’approvisionnement. Le 27 août, il est de nouveau en surveillance à la sortie des usines Citroën, place Balard (Paris 15e), lors d’une tentative de distribution de tracts avec prise de parole ; inconnu, il échappe à l’arrestation.

Comme Marc Lainé donne satisfaction à l’organisation, il quitte son emploi début septembre, devient permanent sous le pseudonyme d’« Hervieux », rémunéré mensuellement deux mille francs. Le 2 septembre, il jette une grenade défensive à l’intérieur du bureau de placement pour le travail en Allemagne du 8 rue de la Procession (Paris 10e). Le 4 septembre, il assure une mission de protection lors d’une distribution de tracts à la sortie des usines Gnome et Rhône boulevard Kellermann (Paris 13e), y prenant brièvement la parole.

Marc Lainé fait ensuite équipe avec Gaston Père pour l’exécution d’un contremaître de la SNCF chargé de la protection des voies, considéré comme un traître, d’autres devant cette fois-ci assurer la protection. Le 12 septembre 1942 vers 6 h 50 du matin, Joseph Bertho quitte son domicile rue Tolbiac. À la hauteur du no 11, quand un coup de feu claque, qui le manque, l’homme se couche à terre. Le coup suivant ne part pas, l’arme s’étant enrayée : le groupe prend la fuite. Un employé d’octroi ayant assisté à la scène s’élance à bicyclette et parvient à rattraper Gaston Père. Mais Marc Lainé, qui assure la protection, tire deux coups de feu en direction du “cycliste”, le touchant à la colonne vertébrale. Celui-ci mourra à l’hôpital de la Salpêtrière le 5 octobre.

Puis leur groupe reçoit pour mission de “récolter des fonds”. Le 15 septembre, à 11 h 30, avenue Jean-Jaurès à La Courneuve (Seine / Seine-Saint-Denis), devant l’usine de la Grande Biscuiterie parisienne, ils interceptent un encaisseur de la société Matra dont la sacoche contient six cent mille francs. Afin de le neutraliser, Marc Lainé lui tire dessus, le blessant à la cuisse droite. Un gardien de la paix se lance à la poursuite de Marc Lainé et Gaston Père, qui se réfugient d’abord dans un débit de boissons au 255 avenue Jean-Jaurès à Aubervilliers (92) d’où ils tirent sur leur poursuivant, le blessant légèrement au bras droit. Profitant de ce répit, ils fuient par la cour de l’établissement, escaladent deux murs et se réfugient au dernier étage d’un immeuble voisin, au 251 de la même avenue. Mais le policier blessé a réussi à alerter des gardiens de la paix motocyclistes qui parviennent à capturer les deux hommes, pourtant armés chacun d’un pistolet automatique. La sacoche dérobée est retrouvée dans les WC du débit de boissons.

D’abord conduits au poste de police de la circonscription d’Aubervilliers, puis interrogés sans ménagement – l’un d’eux ayant tiré sur un policier – dans les locaux de la brigade spéciale anticommuniste (BS 2) des renseignements généraux de la préfecture de police, les deux hommes admettent leur participation à plusieurs actions armées.

Yvonne Gallois est arrêtée chez elle par des inspecteurs de la préfecture de police.

Le 17 septembre, lors des interrogatoires, elle et Marc Lainé sont détenus dans la salle 340 de la BS 2 (Gaston Père est dans la 346 et Jean Bonnet dans la 343). Marc Lainé est inculpé d’assassinat et de tentative…

Yvonne est ensuite écrouée au dépôt (sous le Palais de Justice, île de la Cité). Le quotidien collaborationniste Paris-Soir relate les évènements comme un fait divers criminel. La jeune femme écrit à sa mère : « Ce n’est pas une affaire comme les autres. Je t’expliquerai. »

À une date restant à préciser, les inculpés sont mis à la disposition des autorités allemandes, à la demande de celles-ci, dûment informées.

Le 13 octobre, le tribunal militaire du Gross Paris siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e) condamne à mort, pour activité de francs-tireurs et aide à l’ennemi, Marc Lainé, Gaston Père, les frères Jean et Maurice Cadet, et Eugène Dion. Le même jour, Yvonne Gallois est mise à la disposition des autorités allemandes.

Le 24 novembre 1942, peu après midi, les cinq condamnés sont fusillés dans la clairière du fort du Mont-Valérien, à Suresnes.

Le 18 décembre, la mère d’Yvonne écrit au préfet de police pour solliciter l’autorisation de rendre visite à sa fille (« consignée politique 3 quai de l’Horloge à Paris »), voire que celui-ci prononce sa libération, puisqu’« elle n’y était pour rien dans l’affaire ». Le 11 février 1943, le préfet de police écrira au préfet d’Eure-et-Loir pour lui demander de faire connaître à la mère d’Yvonne – si toutefois il le juge utile – qu’il lui est impossible de lui accorder satisfaction…

Le 23 janvier 1943, Yvonne Gallois est transférée (seule) depuis le dépôt au camp de police allemand de Royallieu à Compiègne ; ses camarades de déportation ne font sa connaissance qu’à ce moment-là. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

TransportAquarelle

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Yvonne Gallois y est enregistrée sous le matricule n° 31849. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’Yvonne Gallois a été retrouvée).

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, elles sont assignées au Block 26, entassées à mille avec des détenus polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
© Mémoire Vive.

Yvonne Gallois meurt à Birkenau le 25 mai 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du complexe concentrationnaire (Sterbebücher), qui indique « septicémie par phlegmon » pour cause – crédible mais pas forcément véridique – de sa mort. Elle a 22 ans.

Aucune rescapée n’a pu témoigner sur les conditions de sa disparition (elles ne l’ont pas connue préalablement en détention…).
Charlotte Delbo commente : « Après la guerre, le ministère des anciens combattants a informé sa famille qu’elle était morte à Auschwitz le 25 mai 1943. C’est peu vraisemblable, car si elle avait vécu au milieu de nous à Birkenau du 27 janvier au 25 mai 1943, nous aurions eu le temps de la connaître et quelqu’un se serait souvenu d’elle ». Pour expliquer son absence du groupe, on ne peut pas exclure une admission précoce au Revier, puis un séjour prolongé jusqu’à son décès, ou son affectation dans un Kommando distinct…

En 1954, sa mère, qui s’est remariée (Hurel ?) et habite dans l’école Paul Bert de Dreux, dépose un dossier de demande d’attribution du titre de déportée politique au nom de sa fille.

Notes :

[1] Sorel-Moussel : Firmin Didot (1764-1836), membre le plus célèbre d’une dynastie d’imprimeurs, éditeurs et typographes, créateur d’une forme de caractères portant son nom, y avait installé une importante imprimerie (aujourd’hui Espace Didot).

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 121.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel d’Yvonne Gallois au cabinet du préfet (1 W 649-28936) ; dossier individuel de Marc Lainé aux Renseignements généraux (77 W 416-170945).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 331 (20997/1943).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : documents d’Auschwitz, liste de 13 décédés nés en France, extrait du Sterbebuch 1943, acte n° 20997/1943 (26 P 821)..

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-04-2022)

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