Yvonne, Rosalie, Cavé, née Richard le 17 mars 1896 à Montrouge (Hauts-de-Seine), domiciliée à Paris 15e, morte au sous-camp de femmes de Birkenau le 26 février 1943.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Yvonne, Rosalie, Richard naît le 17 mars 1896 à Montrouge (Seine / Hauts-de-Seine), fille de François Pierre Richard, 44 ans, champignonniste, et d’Ernestine Désirée Frouel, 34 ans, couturière, son épouse, domiciliés 119 route de Châtillon ; une famille comptant déjà quatre enfants : Jules, 15 ans, Augustine, 14 ans, Ernest, 12 ans, et Marie, 7 ans.Le 21 novembre 1908, leur père – âgé de 56 ans –  décède au foyer familial, alors au 81 avenue Verdier à Montrouge.
Yvonne quitte l’école communale de Montrouge à treize ans, sans avoir son certificat d’études, et apprend le métier de cartonnière.
Le 24 janvier 1920 à Paris 15e, elle épouse Henri, Émile, Cavé, né le 19 octobre 1885 à Paris 11e, lui aussi ouvrier cartonnier ; veuf de son premier mariage, il a une fille, Jeanne, âgée de 7 ans et demi. Les nouveaux mariés habitent alors au 231 rue de Vaugirard, à Paris 15e, près de la rue des Volontaires, dans un immeuble où Madame Richard, la mère d’Yvonne, est concierge.
À partir du 7 décembre 1937, Henri Cavé est employé par la maison Dreyspring, 31 rue du Faubourg-Saint-Martin (Paris 11e).
Arrêtés pour leur opinion antiallemande et anti-collaborationniste
Pendant l’occupation, Yvonne et son mari ne cachent pas leur antipathie pour les Allemands et, plusieurs fois, des commerçants disent à Madame Richard que sa fille « devrait faire attention ».
Un jour de septembre 1942, Yvonne – qui a repris le poste de concierge de sa mère – croise dans le corridor de l’immeuble un jeune homme qu’elle a connu gamin, appartenant aux Chantiers de jeunesse. « Vous n’avez pas honte de porter ce costume ? Les Allemands ne seront pas toujours là… » – « Vous, je vous la ferai fermer, votre gueule », dit le jeune homme.Quelques jours plus tard, ils subissent une perquisition de la Gestapo. Le papier destiné à leur métier de cartonnier ne peut-il servir pour les tracts ? Puis les policiers allument le poste de radio. L’aiguille est encore posée sur Londres : les Cavé étaient à l’écoute quand on avait frappé à la porte. « Ainsi, vous écoutez Londres ? » Enfin, les policiers repartent.
Une semaine plus tard, le 26  ou 29 septembre, les Cavé sont convoqués à la Gestapo, rue des Saussaies (Paris 8e), et ils s’y rendent. Ils ne reviendront pas.Le lendemain, une sœur d’Yvonne (Augustine ou Marie ?) va rue des Saussaies s’enquérir, elle n’obtient que sarcasme des gestapistes.Dès le 29 septembre, Henri et Yvonne Cavé sont transférés au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, en même temps que sept autres futures “31000” ; lui y étant enregistré sous le numéro matricule n° 820 et elle sous le n° 821. Lucienne Lebreton, concierge elle aussi dénoncée par un locataire, est enregistrée sous le matricule 822. Marie Dubois, une tenancière de café, également dénoncée et arrêtée par la police allemande, est enregistrée sous le n° 825.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

En octobre, sœur d’Yvonne reçoit une carte rose avec la phrase tout imprimée, en français et en anglais : « Je suis au fort de Romainville. Je vais bien. Affectueusement. » Seule la signature est manuscrite. Puis, plus de nouvelles…

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées.
Photo Mémoire Vive.

Le 30 octobre, Henri Cavé est transféré au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le 22 janvier 1943, Yvonne Cavé fait partie des cent premières femmes otages internées au Fort de Romainville qui sont transférées en camions au camp de Royallieu (leurs fiches individuelles du Fort indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : transférée à Compiègne le 22.1). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police).

Le 23 janvier, en fin de journée, Henri Cavé est parmi plus de 1450 détenus détenus hommes du camp qui sont conduits à pied sous escorte à la gare de Compiègne, jusqu’à un quai de marchandises où il sont entassés dans des wagons à bestiaux.

Les deux-cent-trente femmes otages passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, elles sont conduites à leur tour à la gare et montent dans les quatre derniers wagons du convoi.

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes – dont Henri Cavé – sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [1], près d’Orianenburg.

Les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Yvonne Cavé y est enregistrée sous le matricule 31691. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Yvonne Cavé n’a pas été retrouvée).

Auschwitz-I. Le Block 26, consacré à l’enregistrement des détenus et comportant le service photographique. © Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le Block 26, consacré à l’enregistrement des détenus et comportant le service photographique. © Mémoire Vive.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
© Mémoire Vive.

Yvonne Cavé meurt à Birkenau le 26 février 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Charlotte Delbo témoigne : « On lui avait volé ses chaussures pendant la nuit. Le matin, elle a dû aller nu-pied à l’appel – quatre heures debout dans la neige – et au travail. Ses jambes ont enflé à vue d’œil, dans la journée. Elle est morte en trois jours, au Revier [2], de néphrite aiguë. »

En mars 1943, sa sœur est appelée à la Gestapo, rue des Saussaies. Un interprète lui dit : « Votre sœur est morte d’une crise cardiaque. »

Leur mère, Ernestine Frouel, veuve Richard, qui habitait toujours au 231 rue de Vaugirard, décède le 25 avril 1944 à l’hôpital Necker, âgée de 82 ans.

La mort de Henri Cavé

Au KL Sachsenhausen, après la période de quarantaine, Henri Cavé (matricule 57865) a été affecté au Kommando Heinkel où l’on fabrique des pièces d’avions. Le 18 avril 1944, il est blessé dans le bombardement de l’usine par l’aviation alliée. Des plaies ouvertes aux deux jambes, il est renvoyé au Revier du camp principal (Sachso), où un de ses camarades le voit pour la dernière fois le 15 juillet 1944. Henri Cavé succombe le 14 février 1945.

En 2022, il n’y a pas de plaque commémorative sur l’immeuble du 231 rue de Vaugirard…

Notes :

[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[2] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 65-66.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne, : registre des naissances du 11e arrondissement, année 1885 (V4E 6501), acte n° 4974.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet de police (1 W 1838-98384).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 159 (11091/1943).
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, Éditions Tirésias, Paris 2004, I.74, page 604.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 9-10-2022)

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