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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Charles Rouyer naît le 22 juillet 1907 à Clichy-la-Garenne [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), chez ses parents, Oscar Rouyer, 25 ans, et Joséphine Alleno, 24 ans, blanchisseurs, domiciliés au 17, rue des Cailloux. Ceux-ci se marient le 10 août suivant.

Le 20 septembre 1920, âgé de 13 ans, Charles Rouyer entre comme ouvrier typographe à l’imprimerie Paul Dupont à Clichy.

Membre du Syndicat du Livre parisien CGT, il adhère au Parti communiste en 1925 et deviendra secrétaire de cellule, adjoint du secrétaire de rayon.

En 1927, il est appelé à accomplir son service militaire. Au retour, il retrouve son emploi, qu’il conservera jusqu’au 13 novembre 1936.

Pendant un temps, il habite au 14, rue du Square, à Gennevilliers [1] (92).

En 1928, il est à l’origine de la création de la section boxe anglaise du Club sportif ouvrier de la Banlieue Ouest, dont le siège social est au café Fahet, 93 rue de l’Arbre-Sec, à Gennevilliers, entraînant les frères Calmel, dont Louis qui sera fusillé au Mont-Valérien en octobre 1943.

Le 22 juin 1929, à Gennevilliers, Charles Rouyer épouse Anne Marie André, née à Lorient (Morbihan).

Il est élu conseiller municipal communiste de Gennevilliers dès 1932 sur la liste de Jean Grandel, et réélu en mai 1935, dernier de la liste. Il siège à toutes les séances du conseil municipal, jusqu’à celle du 23 juin 1936.

Pendant la guerre d’Espagne, séparé de son épouse et vivant seul, Charles Rouyer s’engage dans les Brigades internationales pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Arrivé le 14 novembre 1936, il est affecté cinq jours plus tard au bataillon Henri Barbusse de la 14e brigade. Le 4 février 1937, nommé lieutenant, il rejoint à la 13e brigade, 10e bataillon, 2e compagnie. Le 26 mars suivant, il est muté à la 11e comme adjoint au lieutenant de compagnie. Enfin, le 6 juin, il intègre le 15e bataillon de la 14e brigade. Après avoir participé aux combats pour la défense de Madrid, à ceux de Motril, à la bataille de Brunete, et aux batailles pour la défense de Saragosse, il rentre « en permission » en France le 15 janvier 1938, pour « raisons de famille ».

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Insigne de l’Association
des volontaires pour
l’Espagne républicaine, ayant
appartenu à Christophe Le Meur.
Produit entre la mi-1938 et la mi-1939.
Coll. André Le Breton.

Le lundi 24, il est à Gennevilliers. Il est accueilli par un article élogieux qui paraît en page une de l’hebdomadaire local Le Travailleur de la banlieue ouest. Le club sportif et la section communiste le saluent fraternellement : « Militant honnête et dévoué, notre camarade écouta la voix de sa conscience. La grande cause prolétarienne l’appelait au-delà des Pyrénées. […] là-bas, sa conduite modeste et héroïque le fit remarquer. Il collabora avec notre camarade Grandel durant la campagne qu’il fit dans l’armée héroïque. […] Nous avons pensé souvent à toi pendant les durs combats auxquels tu participais ». Robert Paul, auteur de l’article conclue ainsi : « Nous te saluons, Charles Rouyer Sport Rouge ».

Mais il semble qu‘il revienne désabusé et l’exprime publiquement sitôt après son retour. Selon un témoignage, il aurait déclaré « Le Parti communiste est le boucher des volontaires », genre de réflexions qui entraîne sa mise à l‘écart des travaux de la municipalité de Gennevilliers : il assiste au conseil municipal du 8 mars 1938, puis il est noté absent ou excusé jusqu’à celui du 4 octobre, ensuite absent. Le 9 septembre, l’hebdomadaire communiste local La Voix populaire publie en page trois une « Mise en garde. La Section communiste de Gennevilliers prévient toute la population que le nommé Rouyer Charles, conseiller municipal de Gennevilliers, est exclu de notre Parti pour son action anti-communiste ». Le 7 octobre, Marcel Gitton, secrétaire national du PC, écrit aux services des cadres à Albacete en Espagne : « Nous serions heureux de savoir qu’elle était son activité en Espagne, car il vient d’être exclu du Parti par la Section de Gennevilliers ». L’appréciation qui revient est celle-ci : « Fait du travail fractionnel, critique ouvertement et sans raison les décisions du commandement politique et militaire ».

Charles Rouyer ne rejoindrait pas alors d’autre organisation politique, tout en étant abonné au bulletin de l’organisation Solidarité Internationale Antifasciste (SIA), fondée en Espagne en mai 1937 par la Confédération internationale du Travail (CNT), anarchiste, hebdomadaire édité par la section française à partir du 10 novembre 1938 et interdit par le gouvernement en avril 1939 ; Henri Jeanson en fut un des rédacteurs.

En 1938, Charles Rouyer est domicilié au 24 rue de l’Arbre-Sec à Gennevilliers (actuellement, rue Paul-Vaillant-Couturier). Par la suite, il emménage au 16, rue Martre, dans la même commune.

Le 5 mars 1938, il entre comme clicheur à l’imprimerie Sapel, sise au 98, rue Réaumur à Paris 2e. Le 3 janvier 1939, il passe à l’Imprimerie de la Presse, au 16, rue du Croissant, dans le même arrondissement.

Le 15 juillet 1939, il emménage au 16, rue d’Alsace à Clichy, « 1er étage, porte n° 2 »).

Le 9 février 1940, avec d’autres élus, il est déchu de son mandat électoral à Gennevilliers « pour appartenance au Parti communiste », n’ayant probablement pas officialisé son désaveu.

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Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 17 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.

Le 16 mars suivant, à Gennevilliers, Charles Rouyer se marie avec Odette Mock, née le 6 juillet 1920 à Dôle (Jura). Ils ont un fils, né vers août 1941.

Mobilisé le 14 mai, au début de l’offensive allemande, Charles Rouyer est renvoyé dans ses foyers le 6 août suivant.

Début 1941, il serait inscrit au fonds de chômage de sa commune. Puis il retrouve son emploi de clicheur à l‘Imprimerie de la Presse, qui imprime alors le quotidien du matin La France au travail, journal collaborationniste “de gauche” lancé dès le 30 juin par Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne, pour gagner les milieux ouvriers à la collaboration, et qui deviendra La France Socialiste en novembre 1941. Rien n’indique que Charles Rouyer en partage le point du vue éditorial ; il n’en est pas un employé direct, sa première embauche à l’imprimerie datant d’avant guerre.

En janvier 1941, Charles Rouyer fait l’objet d’une notice biographique établie par les Renseignements généraux indiquant qu’il ne « s’occupe plus de politique » depuis 1938.

Le 24 décembre 1941, peu après 6 heures du matin, dans le cadre d’une vague d’arrestations organisées par la police française contre 33 anciens membres des brigades internationales (dont Jean Cazorla, Maurice Fontès…), Charles Rouyer est arrêté à son domicile par des agents du commissariat de Clichy. Il est conduit à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier, Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris. Deux jours plus tard, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Une note des RG justifie : « À la suite des attentats commis sur les membres de l’armée d’occupation, les enquêtes effectuées ont déterminé que ces actes étaient l’œuvre d’anciens légionnaires ayant combattu dans les rangs des Brigades internationales. Par mesure de sécurité, plusieurs de ces anciens légionnaires, parmi lesquels Rouyer Charles, ont été internés par application du décret du 18 novembre 1939 ».

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La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée d’occupation, elle servit surtout,
au début, à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 21 janvier 1942, Odette Rouyer écrit au préfet de police pour solliciter la libération de son mari : « … j’ai un enfant de six mois et, comme soutien, je n’avais que mon mari. Et on me l’enlève en m’allouant une somme de douze francs par jours. Comment voulez-vous que je puisse élever mon enfant et me nourrir avec cela ? » Deux jours plus tard, le cabinet du préfet transmet ce courrier aux RG pour enquête et avis. Ceux-ci répondent : « Jusqu’à nouvel ordre, sa libération ne peut être envisagée. » Le 11 février, la préfecture demande au commissaire de police de la circonscription de Clichy de « faire connaître à l’intéressée que sa demande ne peut être favorablement accueillie, dans les circonstances actuelles. »  Quatre jours plus tard, sans doute convoquée au commissariat, Odette Rouyer reçoit communication de ce courrier.

Il est probable qu’elle cherche alors des intercesseurs influents. Le 21 février, le secrétaire général de La France Socialiste écrit au préfet de police pour solliciter une mesure de grâce en faveur de ce “protégé” du journal, sachant qu’il donnait entièrement satisfaction à son employeur, Monsieur Delion, selon lequel Rouyer n’a, à aucun moment, déployé la moindre activité politique.

Le 14 mars, Odette Rouyer écrit de nouveau au préfet de police pour solliciter la libération de son mari. De son côté, le 20 mars, le secrétaire général de La France Socialiste relance aussi le préfet, citant les termes de son premier courrier.

Début avril 1942, son fils de neuf mois décède. Le 8 avril 1942, des inspecteurs viennent chercher «  l’interné administratif Charles Rouyer (…) qui est autorisé à assister aux obsèques de son enfant. Il sera réintégré à la caserne des Tourelles sitôt après cette cérémonie. »

Le 20 avril, le secrétaire général de La France Socialiste relance encore le préfet de police. Le directeur de cabinet propose une prise de rendez-vous.

Le 5 mai, Charles Rouyer fait partie des 24 internés des Tourelles, pour la plupart anciens Brigadistes, que viennent « prendre des gendarmes allemands » afin de les escorter à la gare de l’Est d’où ils sont conduits en train au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 27 mai, informé de ce transfert à Compiègne, le secrétaire général de La France Socialiste relance une dernière fois le préfet à la demande de son patron, Georges Daudet.

Entre fin avril et fin juin 1942, Charles Rouyer est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Charles Rouyer est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 46082, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Charles Rouyer.

On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz [2], probablement avant la mi-mars 1943.

En 1944, son épouse quitte leur domicile de la rue d’Alsace à Clichy.

Charles Rouyer est homologué comme “Déporté politique”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-01-1999).

Son nom est inscrit sur la plaque commémorative dédiée aux Conseillers municipaux morts pour la France (hall de la Mairie de Gennevilliers).

Notes :

[1] Clichy-la-Garenne et Gennevilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documentsadministratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Charles Rouyer, c’est la fin août 1942 qui a été retenue pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 354, 382 et 419.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central) – Archives de Gennevilliers (lettre à Madame Cadoret, Maire-adjointe de Gennevilliers, du 2 septembre 1945, liste des déportés, noms de rues).
- Archives communales de Clichy : acte de naissance.
- Archives départementales des Hauts-de-Seine (AD 92), site internet du conseil général, archives en ligne, registre des naissances de Clichy, année 1907 (E NUM CLI N1907), acte n° 506 (vue 86/163).
- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 40, p. 430.
- Daniel Grason, notice biographique, site du Maitron en ligne.
- Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre ; microfilms du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), acquisition BDIC/AVER-ACER, bobines cotes Mfm 880/1 (545.6.1014), 880/47 (542.2.112), 880/48 (545.2.290).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris) site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande”, « Journalier des détenus administratifs de la caserne des Tourelles » (BA 1837) ; cartons “Parti communiste” (BA 2447, chemise “1941, perquisitions particuliers”) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 335-24106).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-05-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.