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Pierre, André, Cyprien, Bernard, Roux naît le 27 décembre 1921 à Dadonville (572 habitants dispersés en 12 hameaux en mai 1941), près de Pithiviers (Loiret – 45), fils de Charles Roux, 33 ans, et d’Albertine Montigny, 31 ans, son épouse, tous deux riches cultivateurs « honorablement connus » domiciliés au hameau de Bourgneuf. Toutefois, Charles Roux, libre penseur, athée, ne cache pas « ses préférences politiques de gauche ».

Pierre a une sœur, Charlotte, née en 1915, et un frère, Raymond, né en 1919.

En 1936, les deux frères travaillent comme ouvriers agricoles dans la ferme de leur père.

Pierre est très proche de Charlotte, malgré leur six ans de différence. Durant l’été 1936, dans l’enthousiasme des congés payés, ils se rendent en tandem en Bretagne, puis visiteront ensuite bien des régions de France, logeant en auberges de jeunesse.En avril 1938, âgé de 16 ans, Pierre Roux quitte sa famille pour aller travailler comme garçon boulanger à Saint-Maur-des-Fossés (Seine / Val-de-Marne), demeurant alors au 11, rue du Bois-Guinée. Dans cette commune de banlieue, il adhère aux Jeunesses communistes. André Faudry, qui sera déporté avec lui, y est secrétaire de cellule. Pierre Roux restera en contact avec un nommé Auguste et sa famille.

Garçon volontaire et sportif, Pierre Roux effectue souvent en fin de semaine l’aller-retour entre la région parisienne et Dadonville.

Après avoir brièvement travaillé à Manchecourt (45), Pierre Roux rejoint Paris pour travailler chez une boulangère du 112, rue Saint-Dominique, en remplacement d’un ouvrier mobilisé. Celui-ci étant rentré en octobre 1940, Pierre Roux revient dans sa famille, à Bourgneuf, où il se trouve sans travail.

« Pierrot » est célibataire, mais il a pour amie de cœur Simone A., qui vit encore chez ses propres parents.

Début 1941, dans sa chambre, à l’insu de ses parents, Pierre Roux fabrique des tracts avec de la pâte à polycopier (saisie lors d’une perquisition opérée après son arrestation).

Le 29 mars 1941, depuis une fenêtre de leur cantonnement de Pithiviers, des militaires allemands aperçoivent un jeune homme déposant des papiers dans les voitures arrêtées sur la voie publique. Pierre Roux est arrêté par la Feldgendarmerie en même temps que Gilbert B., 18 ans, qui l’accompagne.

Le 12 avril, tous deux sont traduits devant le tribunal militaire de la Feldkommandantur 549 à Orléans, qui condamne Pierre Roux à trois mois de détention, purgés dans le secteur allemand (ou “politique” ?) de la Maison d’arrêt de la ville, où le régime est moins restrictif en matière de visites et de réception de colis. Acquitté par les juges allemands, son camarade est mis à la disposition du préfet… qui le fait interner administrativement en application du décret loi du 18 novembre 1939. Celui-ci reste détenu quelques semaines dans la même prison avant d’être libéré.

Le 2 mai, inquiet qu’une cellule communiste ait pu se constituer à Bourgneuf, un officier d’administration militaire (Kriegsverwaltung) de la Feldkommandantur demande au préfet du Loiret d’entreprendre immédiatement des recherches et d’appliquer, en accord avec lui, « les mesures de défense nécessaires ». Le 7 mai, le préfet rassure le militaire allemand en lui répondant qu’il résulte de l’enquête effectuée qu’aucune cellule communiste de fonctionne alors à Dadonville : « Roux, en effet, était un isolé, en rapport seulement avec des organisations parisiennes. »

Pierre Roux est libérable le 11 juillet, à l’expiration de sa peine : mais, dès le 26 juin, le préfet du Loiret prend un arrêté ordonnant son internement administratif. Il reste détenu sous ce statut à la Maison d’arrêt d’Orléans.

Le 26 septembre, Pierre Roux est conduit par des gendarmes au centre d’internement administratif (CIA) de Rouillé, près de Poitiers (Vienne), où il est affecté à la baraque n° 8. Il retrouve un camarade connu à Saint-Maur-des-Fossés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 26 décembre 1941, il “fête” ses vingt ans dans ce camp.

« À Rouillé, Roux y est, bel et bien » © Collection de Pierrette Jean, sa nièce.

« À Rouillé, Roux y est, bel et bien » (betterave et carottes) © Collection de Pierrette Jean, sa nièce.

À une date restant à préciser, afin d’établir une liste d’« expiation » (Sühneliste) [1], la Feldkommandantur d’Orléans complète une fiche-formulaire de « Jeune communiste » au nom de Pierre Roux, le désignant comme membre des jeunesses communistes de Saint-Maur-des-Fossés. Dès lors, le jeune homme est considéré comme otage pouvant être exécuté à titre de représailles.

En avril 1942, remis aux autorités allemandes à la demande de celles-ci, Pierre Roux est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Roux est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Henri Gaget, de Dadonville, jette depuis son wagon un message qui parviendra à sa famille et dans lequel il mentionne la présence de Pierre Roux. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Pierre Roux est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46257 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Pierre Roux est dans la moitié des membres du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, tandis que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Le 1er novembre 1942, il est inscrit dans la chambrée (Stube) n°3 du Revier de Birkenau (Block n° 8 – en brique – du secteur BIb) – où se trouvent également Marcel Colin, Germa, Faugeron, Lenglet, Nonnet, Nouvian, Paupy, Sansoulet et Vinsous. Le 3 novembre, Pierre Roux reçoit six gouttes (« Trpf », Tropfen) d’anisine.

Le 18 janvier 1943, alors qu’il se trouve toujours dans la même chambrée, cette fois-ci avec Roger Dejameau, de Niort, il reçoit un autre médicament (« Kaestase 3 st » ?).

Pierre Roux meurt à Birkenau le 21 janvier 1943, d’après les registres du camp. La cause mentionnée pour son décès (probablement mensongère) est « Bronchopneumonie ».

Le 28 juin 1946, Charles Roux, son père, remplit un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ». Le 12 octobre, après examen d’un dossier, le ministère des ACVG “décide” la disparition de son fils.

Le 8 octobre 1947, le tribunal civil de première instance de Pithiviers établit par jugement déclaratif le décès de Pierre Roux en Allemagne, mais « Fixe au jour du jugement la date de décès ». Cet acte est transcrit sur les registres de Dadonville le 6 novembre.

Le 1er décembre 1947, le maire de Dadonville rédige un certificat selon lequel seuls André Faudry, de Saint-Maur-des-Fossés – ville où il a pu le connaître quand il y travaillait – et Grimbert [?], rue des Carmes à Orléans, « peuvent certifier » avoir vu Pierre Roux à Auschwitz. Mais de tels certificats ne semblent pas avoir été produits, peut-être parce que l’acte de décès est déjà établi.

Le 26 novembre 1947, Charles Roux complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Le 22 janvier 1948, la commission départementale de contrôle des déportés politiques rend un avis favorable, sous la signature de Louis Breton [2] et avec apposition du tampon de la section du Loiret de la Fédération nationale des internés et déportés résistants (FNDIRP). Le 15 mars suivant, le ministère des ACVG demande au maire de Dadonville d’inscrire la mention “Mort pour la France” dans l’acte de décès de Pierre Roux, ce qui est fait cinq jours plus tard.

Le 5 juillet 1949, le général commandant la 1re région militaire établit un certificat d’appartenance de Pierre Roux aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI).

Le 6 décembre suivant, Charles Roux complète et signe, en qualité d’ascendant, un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son fils à titre posthume. Le 21 mars 1956, la commission départementale de contrôle des déportés résistants rend un avis défavorable à cette demande, au motif que le certificat d’appartenance FFI a été établi sans attestation d’un chef habilité, et que l’enquête a fait « ressortir que l’intéressé a été arrêté pour distribution de tracts communistes ». Le 22 octobre, suivant cet avis – répercuté par la commission nationale – le ministère des ACVG décide de refuser à Pierre Roux le titre de déporté résistant et de lui attribuer celui de déporté politique. Le 6 novembre, la carte n° 1110.21990 est envoyée à son père.

Le 15 septembre, la commune de Dadonville organise une cérémonie commémorative pour les quatre jeunes du village disparus dans les camps de concentration : Henri Gaget, Cécile Painchault, née Gaget, Pierre Roux et André Robillard. Simultanément, une plaque commémorative est apposée sur le domicile respectif de chacun. Plus tard (?), une place de Dadonville sera dénommée place des Déportés.

© Photo Dany Percheron.

© Photo Dany Percheron.

De la même manière, leurs noms sont inscrits sur le monument aux morts de Dadonville.

Les noms de ces jeunes gens sont également inscrits sur la stèle aux Déportés de la ville de Pithiviers ; Cécile y étant désignée par son nom de jeune fille.

Notes :

[1] Les listes d’otages (Geisellisten) étaient établies par les Feldkommandant au niveau de chaque département, afin de proposer au commandant de leur région militaire ceux qui leur paraissaient devoir être fusillés après un attentat. Ces listes devaient être constamment tenues à jour, du fait des nouvelles arrestations, des exécutions, des libérations et des transferts de prisonniers d’un lieu d’incarcération à l’autre. À la suite de l’avis du 14 décembre 1941, les Feldkommandant eurent également à désigner des otages en vue de leur déportation. Le 6 mars 1942, le mot Geisel fut abandonné au profit de Sühneperson (personne devant être choisie en cas de représailles) : le mot Sühne, possédant une connotation morale, signifie littéralement “expiation”, “réparation”, et est généralement traduit par “représailles” s’agissant de la politique des otages.

[2] Louis Breton, né le 15 avril 1914 à Orléans, est arrêté le 16 octobre 1941, condamné deux semaines plus tard à cinq ans de travaux forcés par la Cour spéciale de justice d’Orléans, transféré successivement dans les Maisons centrales de Fresnes, Fontevraud et Blois, déporté dans le transport de 1218 hommes parti de Compiègne le 22 mars 1944, et arrivé trois jours plus tard au KL Mauthausen (comptant 640 décédés et disparus en déportation, soit 52,5 %). Premier convoi de l’année 1944 vers ce camp, il répond alors certainement à un besoin de main-d’œuvre accru des usines dépendant du complexe de Mauthausen pour soutenir l’effort de guerre allemand. Enregistré sous le matricule n° 59645, Louis Breton est ensuite affecté au Kommando souterrain de Loibl Pass, tunnel routier entre l’Autriche et la Slovénie, où il est libéré le 7 mai 1945 par les partisans de Tito. Rapatrié le 21 juin suivant à l’hôtel Lutétia, à Paris, il obtient après-guerre la carte de Déporté résistant, la Croix de guerre, la Médaille militaire et est fait chevalier de la Légion d’honneur. Il devient secrétaire de la Commission départementale de contrôle des déportés politiques, probablement au titre de la Fédération nationale des internés et déportés patriotes (FNDIRP) du Loiret. À ce titre, il rédige et signe des attestations en faveur de disparus ou de survivants. Il décède en mai 2001, âgé de 87 ans (source : Guillaume Quesnée, convoi I.191, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, tome 3, pages 268-269 et 276 ; site Loiret 39-45, le forum du département du Loiret pendant la Seconde Guerre mondiale).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 365 et 419.
- Dany Percheron : transcription des lettres de Pierre Roux, conservées par Pierrette Jean, sa nièce (fille de Charlotte Roux), 72 pages ; relecture et compléments (messages 03-2020).
- Archives départementales du Loiret, Centre des archives modernes et contemporaines, Orléans : Internements administratifs, listes, dossiers individuels et collectifs, correspondance, 1940-1945 (138 W-25856).
- Acte de décès du camp (3129/1943) et registre de délivrance de médicaments de l’infirmerie de Birkenau, Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (Archiwum Państwowego Muzeum Auschwitz-Birkenau – APMAB), Oświęcim, Pologne ; Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1031.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 553-773).
- Site Mémorial GenWeb, 45-Dadonville, relevé de Éric Louis, informations de Claude Richard (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-03-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.