Pierre Raunier. © Collection Pierre…

Pierre Raunier.
© Collection Pierre…

Pierre, Joseph, Raunier naît le 7 novembre 1920 à Pouru-Saint-Remy (Ardennes), fils de Joseph Raunier, 22 ans, natif de l’Hérault, employé de chemin de fer, et de Louise Metens, 25 ans, son épouse.

Aîné de la fratrie, Pierre a une sœur, Solange, née en 1922 à Pouru, un frère, Jules, né le 16 octobre 1923, et une deuxième sœur, Fernande, née en 1923, tous deux à Floing (08).
À l’automne 1928, la famille déménage pour la proche banlieue parisienne. En 1932, les Raunier sont domiciliés au 173, route stratégique (aujourd’hui rue Marcel-Hartmann) à Ivry-sur-Seine [1] (Seine / Val-de-Marne), dans un appartement de la cité HBM récemment construite par la Société anonyme des Logements Économiques pour Familles Nombreuses. En 1936, Guy Gratiot est logé avec sa famille dans un appartement voisin.
Célibataire, Pierre Raunier habite chez ses parents.
Sous l’occupation, il est mécanicien automobile, avec son frère, au garage Citroën situé au 63, route de Choisy (avenue de Verdun aujourd’hui), en face du grand cimetière parisien d’Ivry.
En juin 1941, sollicité par un camarade pour « faire du camping », Pierre adhère à la cellule clandestine des Jeunesses communistes (“JC”) du fort d’Ivry qui se réunit tous les jeudis vers 21 h 30 sur les glacis de l’établissement militaire. Le groupe est victime d’une dénonciation (« … à la suite de renseignements confidentiels »).
Le 3 septembre 1941, Pierre Raunier est arrêté par le commissaire de police de la circonscription d’Ivry avec dix camarades, dont Guy Gratiot et Raymond Blais, qui seront déportés avec lui. Son frère Jules est arrêté le lendemain. Le 6 septembre, les onze jeunes gens sont inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (dissolution et interdiction des organisations communistes) et conduits au dépôt de la préfecture de police (sous le Palais de Justice, sur l’île de la Cité) à la disposition du procureur de la République.Rapidement écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (?), Pierre Raunier bénéficie d’une ordonnance de non-lieu le 15 novembre. Le lendemain, il est amené à la préfecture de police puis remis en liberté après admonestation, comme ses autres camarades : ils doivent signer un document par lequel ils prennent l’engagement d’honneur de ne se livrer à l’avenir à aucune activité communiste. Néanmoins, la police le désigne comme un communiste « fervent ».Le 20 novembre, le sous-directeur du cabinet du préfet de police – conformément à des instructions ministérielles reçues quinze jours auparavant – transmet à l’état-major d’administration militaire du commandant allemand de la Seine les notices concernant un certain nombre d’individus arrêtés pour activité communiste puis remis en liberté, dont celle de Pierre Raunier.Le 1er décembre 1941, la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris acquitte le jeune homme et le rend à ses parents, sous le régime de la liberté surveillée.

En janvier 1942, la famille déménage pour un petit pavillon au 3, rue Jean-Dormoy, toujours à Ivry, à proximité de la gare de triage et de ses ateliers.

Le 28 avril, Pierre Raunier est arrêté à son domicile – « par deux Français » (! ?) – lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Un mois après son arrestation, Pierre Raunier envoie une carte depuis Compiègne dans laquelle il demande des vêtements chauds pour aller travailler dans un camp. Quand son père vient les lui apporter, il est déjà parti.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Pierre Raunier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46034 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Pierre Raunier est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal, auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp : en effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital d’Auschwitz-I [2].

On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz ; très certainement avant la mi-mars 1943 [3].

(aucun des quatorze “45000” ivryens n’est revenu).

Pierre Raunier est homologué dans la Résistance intérieure française (RIF) au titre du Front national [4] avec le grade fictif d’adjudant.

Notes :

[1] Ivry-sur-Seine : Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les “31000” et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. » Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Le doute sur la date de décès inscrite au Journal Officiel : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois – voire le jour (et le lieu !) du départ comme pour Pierre Raunier. La parution au J.O. rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts. L’arrêté du 2 décembre 1996 ajoute la mention “Mort en déportation” et corrige la date du 6 juillet par « décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz », afin de prendre en compte la certitude de son départ.

[4] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et ayant changé d’intitulé en 2018).

Sources :

- Archives municipales d’Ivry-sur-Seine : dossier individuel rassemblé par Michèle Rault, conservatrice, à partir de différentes sources, dont un témoignage (?) de sa sœur, Solange Toueix.
- Musée de la Résistance Nationale, Champigny-sur-Marne (94) : fiche de police de Guy Gratiot au commissariat d’Ivry-sur-Seine.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 165-25003).
- Ivry, fidèle à la Classe Ouvrière et à la France, supplément au Travailleur d’Ivry n° 1319, édité à l’occasion du 25e anniversaire de la victoire « des peuples contre l’hitlérisme » (1970), photo page 95.
- Pierre (patronyme à confirmer) : message rectificatif et portrait photographique (02-2022).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 388 et 418.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-03-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.