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Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Eugène Prout naît le 23 janvier 1901 à Pont-Audemer (Eure – 27), fils “naturel” d’Albertine Joséphine Prout, 37 ans, journalière, célibataire, domiciliée rue de la Madeleine, chez sa propre mère, Alexandrine Moussy, veuve Prout, 69 ans.

Le 4 avril 1913, sa mère, décède à l’hospice civil de Pont-Audemer, âgée de 50 ans. Avec sa grand-mère Alexandrine, Eugène Proust est alors recueilli par un oncle Louis Prou (?), fermier au hameau de Tilly, sur la commune d’Épreville-en-Lieuvin (27) ; c’est probablement pour celui-ci qu’il commence à travailler comme ouvrier agricole.

Sa grand-mère y décède le 25 mars 1921, âgée de 89 ans.

Le 5 avril 1921, appelé au service armé, Eugène Proust est incorporé comme soldat de 2e classe au 39e régiment d’infanterie, arrivant “au corps” quatre jours plus tard. Le 27 octobre, il passe au 415e R.I., rejoignant l’Armée du Levant. Le 9 novembre 1922, probablement rapatrié en France, il passe au 39e R.I. Il est renvoyé dans ses foyers le 24 avril 1923, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Début mars 1927, il habite rue des Manufactures à Bernay (27). À la fin de ce mois, il habite au 30 rue Martainville à Rouen-Nord (Seine-Inférieure /Seine-Maritime [1] – 76). En mars 1929, il est domicilié au 22 rue du Bac à Rouen-Nord.

Le 5 août 1929 à Rouen (au lycée Corneille, salle provisoire des mariages), Eugène Prout se marie avec Marie Philomène Perricot, 26 ans, ouvrière d’usine. Leur fille Jacqueline naît le 15 septembre 1929 à l’Hospice général de Rouen. Marie Perricot a déjà une enfant, Madeleine Dupré, née le 12 octobre 1924 (“en ville”), qui sera considérée comme sa propre fille par Eugène.

Début décembre suivant, la famille vit en “garni” (hôtel meublé), au 106 rue Malpalu, à Rouen, 3e canton.

En septembre 1931, Eugène Prout déclare habiter  au 7 rue de la Pomme d’Or à Rouen. En janvier 1933, il est domicilié au 41 rue Aristide Briand au Houlme (76).

De la fin octobre 1934 jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au est domicilié au 10, rue de l’Amitié à Rouen.

Eugène Prout est ouvrier du Textile, puis du Bâtiment.Communiste, il est membre de la cellule Lecourt. Il appartient à la Commission exécutive, puis au Bureau de l’UL-CGT, et enfin à la commission exécutive de l’Union départementale CGT (selon le Maitron). En 1939, il est permanent syndical (du Bâtiment ?) pour Rouen et sa région, selon le témoignage de sa fille, Jacqueline.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, il rejoint le centre de mobilisation d’Infanterie n° 32 le 11 septembre 1939, puis est affecté à la 7e compagnie du 33e régiment de Travailleurs. Il est renvoyé dans ses foyers le 1er octobre suivant, placé en “affectation réservé”. Mais il est de nouveau rappelé à l’activité le 6 janvier 1940, puis affecté au dépôt d’Infanterie n° 32. Il arrive au corps le le 12 janvier, affecté à la 25e compagnie. Le 31 janvier, il passe à la 20e compagnie. Le 23 mars, il est affecté à l’École militaire préparatoire des Andélys, où il arrive le lendemain. Il « disparaît » à Niort (Deux-Sèvres) le 26 juin 1940 (considéré comme “déserteur” ?).

Eugène Prout trouve (ou reprend) un emploi dans l’entreprise de travaux de démolition Devaux, comme manœuvre employé au déblaiement.

Le 7 octobre 1940, dans le cadre de mesures policières visant à réduire la propagande communiste clandestine (délégation du préfet daté du 30 septembre), le commissaire de police adjoint Lucien P. et l’inspecteur Alphonse M. effectuent une perquisition au domicile d’Eugène Prout, en son absence et celle de son épouse, mais en présence de Madeleine (15 ans). « Dans la poche extérieure droite d’un veston rayé gris accroché à la porte qui fait communiquer la cuisine et la chambre à coucher des époux Prout et dans cette chambre, découvrons un paquet de 15 tracts ronéotypés intitulés La Vie Ouvrière, édition régionale n° 3, 21 septembre 1940, enveloppé dans un papier jaune. Dans la même chambre (…), découvrons derrière une photo de famille accrochée au mur représentant un homme, une femme et deux enfants : 1° L’Humanité, édition régionale du Parti communiste français n° 11, 14 août 1940, ronéotypé. – 2° La Vie Ouvrière, édition régionale n° 2, 17 septembre 1940, ronéotypée. – 3° Pour le procès de Riom, Les traitres démasqués, tracts ronéotypés. – 4° Ceux de 1914-18 à ceux de 1939-40, tract ronéotypé. – 5° Peuple de France, tract imprimé. » Madeleine refuse de signer le procès-verbal.

Les deux policiers se rendent ensuite sur le chantier de démolition « de la République » (?) où Eugène Prout travaille.

Conduit au commissariat central de Rouen, il y est interrogé par le commissaire adjoint. Il reconnaît la possession des tracts destinés à leur diffusion, mais élude une grande partie des questions. Il reconnait cependant avoir détenu une feuille de souscription « Pour la liberté et l’indépendance de la France, pour son relèvement économique, pour la justice sociale ». Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est mis à la disposition du procureur de la République.

Le 26 novembre suivant, le Tribunal correctionnel de Rouen condamne Charles Godot et Eugène Prout à un an d’emprisonnement et à 100 francs d’amende pour « reconstitution d’organisation dissoute », en même temps que Louis Creignou, René Godebin, Louis Levillain et Vitorio Loranzo. Paul Lemarchand, docker, alors en fuite, est condamné à 18 mois de prison par défaut. Le Ministère public fait appel (?).

Eugène Prout purge sa peine à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen.

Rouen, la prison Bonne-Nouvelle. Carte postale des années 1900.

Rouen, la prison Bonne-Nouvelle. Carte postale des années 1900.

À l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré.

Le 11 octobre 1941, mis à disposition des autorités d’occupation à leur demande, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager). Le 8 décembre 1941, il figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Feldkommandantur de Rouen.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Prout est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46020.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Eugène Prout est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I. Il est assigné au Block 7.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 19 septembre 1942, René Demerseman assiste à son assassinat : « Il avait les jambes enflées, incapable de travailler. Tué à coups de bâton derrière la nuque ».

Une attestation du Front national [3] établit son appartenance à la Résistance.

Sa veuve, Marie Philomène, décède à Rouen le 13 novembre 1964.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs du Reich ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 418.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Seine-Maritime réalisée en 2000 à Rouen, citant : Questionnaire rempli par Jacqueline Vigor, sa fille (1987/90), qui communique également des attestations (Front national, Jugement du Tribunal), et des documents(lettre de la prison de Rouen, lettre jetée du train) – Liste établie par la CGT – Listes du Musée d’Auschwitz (V n° 31935 – S n° 281) – Document allemand du SD, feuillet 55 – Fiches d’otages, Centre de documentation juive contemporaine, Paris.
- Archives départementales d’Eure, archives en ligne : état civil de Pont-Audemer, registre des naissances de l’année 1901, acte n°16 (8 Mi 5448), vue 378/732).
- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 39, p. 24.
- Site du Maitron en ligne, notice de Jean-Jacques Doré (28-09-2020)..
- Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946 (51 w 427) ; dossiers individuels Lh-Q (51 w 519) ; recherches conduites avec Catherine Voranger.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-56.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 968 (31935/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-08-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.