Ernest Pignet, photographie de studio. Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Ernest Pignet, photographie de studio.
Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Ernest, René, Pignet naît le 16 décembre 1897 à Bezenet (Allier), fils de François Pignet, ouvrier mineur, 31 ans, et de Léonie Rignal, 29 ans, cabaretière, son épouse, domiciliés au quartier des Gillettes. À sa naissance, Ernest a un frère aîné, Camille François, né le 1er mars 1894 à Commercy. Après Ernest, Jeanne naît le 16 décembre 1899 à Bezenet. Mais la production de houille de la cité minière est alors déclinante…
En octobre 1900, le père emmène sa famille dans le Pas-de-Calais (62), d’abord dans la cité minière de Liévin. En août 1901, ils habitent cité de la Fosse n° 5 à Grenay, au nord de Liévin. Églantine Léonie naît le 27 novembre 1901. En mai 1902, ils sont à Noyelles-Godault (62), où naît Raymond, le 14 novembre 1904. En 1906, en plus des enfants, le foyer familial – alors rue des Marais – héberge également Jeanne Lafleurière, mère de Léonie, âgée de 67 ans, et deux frères de François : Jean-Louis et… François. Les trois hommes de la maison sont “houilleurs” (mineurs de charbon) à la Compagnie des mines de Dourges (la fosse n° 4 est située sur la commune).À une date restant à préciser, la famille s’installe dans la cité minière de Carvin (62). Ernest Pignet, qui habite chez ses parents, commence à travailler comme mécanicien ajusteur.Le 14 septembre 1914, son frère Camille, jusque-là employé de commerce, est mobilisé comme soldat de 2e classe au 162e régiment d’infanterie.À partir du mois suivant, l’offensive allemande en Artois place un quart du territoire du Pas-de-Calais en zone occupée. À l’arrière du front, Carvin devient une ville de garnison (occupation le 8 octobre, installation d’une Kommandantur le 28 novembre), où des civils français sont restés sous autorité militaire allemande jusqu’en octobre 1918.Le 24 avril 1915, lors d’une contre-offensive allemande dans le secteur de La Harazée (Argonne), le fantassin Camille Pignet est porté disparu : fait prisonnier, il est par la suite interné à l’hôtel Windsor de Charneix en Suisse [1]. Malade, il sera rapatrié en France le 27 septembre 1918.

« Resté en pays envahi, non recensé en temps utile par suite d’un cas de force majeure », Ernest Pignet est classé “bon pour le service armé” à la mi-mai 1919 par la commission de réforme de Saint-Pol-sur-Ternoise. Le 22 mai, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 2e groupe d’aviation qu’il rejoint deux jours plus tard. Mais son service militaire (« campagne contre l’Allemagne, à l’intérieur ») est écourté : dès le 16 septembre 1919, il est envoyé en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire au 64 rue de Lille à Carvin.

À une date restant à préciser, Ernest Pignet obtient le permis de conduire automobile.

Le 2 octobre 1920, à Carvin, il épouse Flora Célina Mercier, née le 2 juillet 1897 dans cette ville, et habitant la maison voisine (n° 63) avec sa mère, veuve ; les témoins sont Camille Pignet, alors mécanicien, et Marcel Tomeno, maréchal-ferrant.

Fin mai 1921, Ernest et Flora Pignet sont installés au 23, rue du Marais, dans le quartier des Corons à Wingles, 9 km à l’ouest de Carvin et 9 km au nord de Lens (62) ; Ernest est alors ajusteur. Resté à Carvin avec sa famille, son père, François, est devenu artisan mécanicien pour cycles.

Le 18 mai 1922, Ernest et Flora Pignet ont un fils, René, François, né à Carvin. En janvier 1923, ils habitent au 107, rue Basse (?), dans cette ville. Le 10 août 1926, Ernest et Flora ont une fille, Marie-Louise, mais celle-ci décède prématurément l’année suivante, le 7 octobre 1927, chez ses parents, au 6, rue Séraphin-Cordier (Ernest se déclare alors “houilleur”).

Quelques semaines plus tard, le 27 novembre, François Pignet, père d’Ernest, décède à l’âge de 61 ans à son domicile au 5, rue de Lille à Carvin ; déclaration faite à l’état civil par son fils Raymond, alors forgeron.

Fin septembre 1929, Ernest, Flora, et René Pignet habitent au 63, rue Danjou à Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts-de-Seine). En 1931, Ernest s’y déclare comme coiffeur.

Flora et Ernest Pignet. Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Flora et Ernest Pignet.
Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Fin février 1932, ils habitent au 2, place Carnot à Beaune (Côte-d’Or). Au printemps 1936, Ernest s’y déclare comme artisan coiffeur (patron).

Le salon de coiffure de Beaune. Ernest et René Pignet, date inconnue. Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Le salon de coiffure de la place Carnot, à Beaune.
Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Le 18 janvier 1936, l’armée fait passer Ernest Pignet dans la réserve de la subdivision de Dijon.

Le 24 septembre 1938, lors de la crise des Sudètes, et jusqu’à la signature des accords de Munich (30 septembre), il est rappelé à l’activité militaire pendant quelques jours à la suite d’une mobilisation partielle de 700 000 réservistes, comme son neveu, Marcel Tomeno. Flora Pignet écrit à sa sœur, Marthe/Marie Tomeno, née Mercier. « Beaune le 29 septembre, (…) avec tout ce qui se passe en ce moment, nous vivons dans un vrai cauchemar, espérons qu’aujourd’hui la situation changera (…) Est-il possible que, pour la volonté d’un homme, on puisse recommencer ce carnage ? Aussi, j’ai bien prévenu Solange [une autre sœur] qu’il ne fallait surtout pas qu’elle reste chez nous [à Carvin] ; elle sait ce que nous avons souffert pendant quatre ans. Ici, mon mari est mobilisé depuis samedi [24] et notre voiture réquisitionnée, mais cela n’est rien si tout est évité. Je suis seule avec René. (…) J’ai écrit à Marcel pour voir s’il était toujours à Langres. Je n’ai pas eu de réponse, il attend peut-être de m’envoyer un mot au moment de partir. Ma chère Marthe, faites surtout de bonnes prières pour lui, car le pauvre petit est un des premiers à monter au front. »

Ernest et René Pignet, date inconnue. Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

Ernest et René Pignet, date inconnue.
Collection Françoise Tomeno, droits réservés.

À une date restant à préciser, Ernest Pignet s’installe avec sa famille au 1, rue Lamarck à Albert (Somme), à l’étage du salon de coiffure où il exerce dorénavant son métier. Plus tard, son fils René commence à y travailler.

Le salon de coiffure des Pignet à Albert, dans son aspect de 2007. © Françoise Tomeno

À gauche, le salon de coiffure des Pignet à Albert, dans son aspect de 2007.
© Françoise Tomeno

En juin 1940, Marcel Tomeno, neveu d’Ernest, (fils de Marie Tomeno, née Mercier, sœur de son épouse Flora), lieutenant, est fait prisonnier et envoyé au Kriegsgeft.-Offizierlager II-B en Allemagne (“Offlag II-D II-B”).

Le 20 mai 1942, à la suite d’une dénonciation, Ernest Pignet est arrêté dans son salon de coiffure par des Feldgendarmes d’Albert, en même temps que son fils et son épouse, laquelle sera relâchée un peu plus tard ; leur maison est perquisitionnée.

Après la guerre, trois motifs différents – mais non contradictoires – ont été avancés pour expliquer cette arrestation.

Le premier serait une expression trop publique de leurs sentiments anti-allemand. En 1943, le maire d’Albert déclarera : « très bavard ; la population n’a pas été très surprise de son arrestation ». Cet argument sera repris par le préfet de la Somme en juillet 1952.

D’après la mémoire familiale, la dénonciation pourrait résulter d’un conflit sur un “coup de pêche” après qu’ils aient jeté une grenade dans un étang.

Albert, le grand étang près du vélodrome. Carte postale. Collection mémoire Vive.

Albert, le grand étang près du vélodrome.
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Ernest et René Pignet seraient alors arrêtés par l’armée d’occupation parce que suspectés de détention d’armes. Cette deuxième explication sera partiellement reprise par le préfet en 1952 : « Monsieur René Pignet aurait détenu chez lui des grenades » et s’en serait débarrassé avant la perquisition du 20 mai 1942.

Enfin, après-guerre (1949-1950), quatre témoignages au moins indiquent qu’ils auraient aidé des prisonniers de guerre à s’évader, notamment du camp d’Amiens (Frontstalag 204), en les hébergeant, puis en les adressant à une cousine habitant Moulins, sur la ligne de démarcation, dans la perspective de leur passage en zone libre (l’année 1941 est citée). Selon Marcel Tomeno, Jean Fletcher, était impliqué « dans la même affaire », sans préciser laquelle.

Albert. L’hôtel de ville et le groupe scolaire dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Albert. L’hôtel de ville et le groupe scolaire dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Les trois hommes restent enfermés à la prison de l’Hôtel de Ville d’Albert jusqu’au 22 mai à 9 heures, date à laquelle ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils sont dans la même chambrée, avec également Georges Hanse, de Beauvais (45653 – rescapé). Ernest Pignet est enregistré sous le matricule n° 5819 et René sous le n° 5820.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Avant la fin juin 1942, Ernest Pignet et son fils sont sélectionnés parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Depuis le train, René Pignet jette un message transmis à sa mère.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Ernest Pignet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45988, selon les listes reconstituées (… un chiffre avant son fils). Sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Ernest Pignet et son fils René sont dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Selon Marius Sanzi (rescapé), Ernest Pignet est chef du chantier où celui-ci travaille.
Ernest Pignet meurt à Birkenau. L’acte de décès établi pour l’état-civil en France après guerre indique la date du 15 décembre 1942. Toutefois, celle-ci n’est confirmée par aucun survivant (André Faudry, Henri Peiffer, Georges Hanse, Marius Zanzi). Leurs témoignages – non convergents – situent sa mort entre fin août 1942 et le début 1943. Selon André Faudry, étant malade du typhus, Ernest Pignet est enfermé au Block 7, une prétendue infirmerie où personne n’est soigné et où sont rassemblés ceux qui seront gazés ; selon Marius Sanzi, il a effectivement été gazé.
Ce qui est certain, c’est que les disparitions respectives d’Ernest et René Pignet surviennent avant la mi-mars 1943, puisqu’ils ne font pas partie des 17 survivants de Birkenau qui réintègrent le camp principal à cette date.
Flora Pignet a reçu les deux cartes formulaires envoyées le 16 juillet 1942 par l’administration allemande du camp de Compiègne-Royallieu. Le 6 avril 1943, sur les conseils de son neveu Marcel, prisonnier de guerre, elle en appelle au Maréchal Pétain : « Je n’ai pas compris leur arrestation, mon mari et mon fils n’ayant jamais fait de politique. » Le 1er mai suivant, le secrétariat du Maréchal répond : « les Autorités supérieures allemandes se réservent le droit d’accorder aux prisonniers toute autorisation de correspondre avec leur famille. »
Ernest Pignet est déclaré “Mort pour la France” (10-6-1946).
Malgré la demande d’attribution du titre de “déporté résistant”, remplie le 12 octobre 1951 par Marcel Tomeno au nom de Madame Flora Pignet, en s’appuyant notamment sur un certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) comme “résistant isolé”, Ernest Pignet est seulement homologué comme “Déporté politique” (carte n° 110109768).La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (14-12-1997).

Notes :

[1] https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2014-1-page-57.htm

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 379 et 417.
- Notice biographique envoyée par Cl. Cardon-Hamet à Françoise Tomeno (30-01-2006), citant : M. Aubert, adjoint au Maire Délégué, mairie d’Albert (80) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national) – Acte de décès. M. Lallou, ADIRP d’Amiens (lettre du 26 mars 1991).
- Divers services départementaux d’archives, sites internet, archives en ligne.
- Courriels de Françoise Tomeno, sa petite-nièce (01-2006, 05-2008, 02-2021, 03-2021) : photos familiales, courriers, documents numérisés, notes aux Archives des conflits contemporains, Caen.
- André Faudry, lettre du 12 juin 1945.
- Henri Peiffer, lettre du 3 juillet 1945.
- Georges Hanse, lettre du 4 mars 1946.
- Marius Zanzi, lettre du 12 mars 1946.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 22-03-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.