Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Abram (Avroum ?) Miklichansky naît le 5 mai 1910 à Novorossiisk, ville portuaire sur la Mer Noire (Russie), fils de Pierre (James) Miklichansky et de Sepie Kititze (Cipil Katz). La famille quitte l’URSS en 1921.

En 1931, Abram dit Albert Miklichansky vit avec ses parents au 42, rue de Chanzy (Paris 13e) et travaille comme tapissier.

Le 5 mars 1931 à la mairie du 13e arrondissement, il se marie avec Rosalie (Rose) Chariton, née le 20 novembre 1910 à Paris 5e, employée de bureau, vivant avec sa mère, veuve, au 19, rue Oudry. Ils auront deux enfants : Danièle, née le 28 mai 1934, et Jacques, né le 20 mai 1936.

Abram dit Albert Miklichansky est naturalisé français le 15 mars 1933.

Au moment de l’arrestation du père de famille, celle-ci est domiciliée dans un logement au 48 bis, rue de la Gare de Reuilly à Paris 12e.

Albert (Abram) Miklichansky, dit Mickly, travaille comme ouvrier tapissier chez un maître-tapissier du Faubourg Saint-Antoine qui sera lui-même déporté.

Adhérent du Parti communiste depuis 1933 (ou 1935, selon les Renseignements généraux de la préfecture de police), trésorier adjoint de la cellule 1929 de la 12e section de Paris-Ville, il est aussi un syndicaliste actif de la CGT, trésorier du Syndicat des tapissiers et délégué au Conseil national. Il participe aux manifestations du Front populaire en 1936 ; notamment au mouvement de revendication des tapissiers en décembre de cette année. Rose, son épouse, partage « ses opinions révolutionnaires ».

Le 20 février 1941, l’inspecteur général de la direction générale de la Sûreté nationale écrit au préfet de police pour lui faire parvenir deux dénonciations anonymes concernant des individus, dont un nommé « Nicky », qui manifesteraient une activité communiste, en lui demandant de lui faire parvenir tous renseignements les concernant (il s’avère que l’autre homme désigné, de Saint-Ouen, est décédé depuis le 27 novembre 1940…).

Selon l’enquête menée par les Renseignements généraux de la préfecture de police sur Albert (Abram) Miklichansky, « il apparaît certain qu’il continue à militer clandestinement en faveur de l’ex-parti communiste. C’est l’avis de plusieurs personnes de son entourage qui n’hésitent pas à déclarer qu’il demeure le chef des milieux révolutionnaires de son quartier ; ce qui semble confirmer en tous points les informations anonymes communiquées. »

Les 1er et 18 mars, les perquisitions effectuées à son domicile n’amènent la découverte d’aucun document ayant trait à son activité clandestine présumée. De même que « plusieurs surveillances exercées à son égard et à des heures variées » ne permettant pas aux policiers de constater sa participation à la propagande du PC clandestin.

Le 15 juillet suivant, à 22 h 45, dans la rue du Sergent-Bauchat (Paris 12e), un gardien de la paix de l’équipe cycliste du commissariat du 12e arrondissement remarque deux individus suspects s’attardant devant chaque immeuble. Après s’être dissimulé afin de les surveiller, il a la certitude qu’ils tracent des inscriptions à la craie sur les murs. À sa vue, les deux militants prennent la fuite. Le policier parvient à appréhender Abram Miklichansky tandis que son partenaire ne peut être rejoint. Interrogé, Abram Miklichansky déclare ne pas connaître celui-ci, mais admet dans un premier temps avoir dessiné des croix de Lorraine et des « V » (un rapport mentionne également des faucilles et marteaux) ; il est trouvé porteur de trois bâtons de craie de différentes couleurs. Mis à la disposition du chef de poste, il est relaxé à 23 h 35 après vérification de son domicile. Un rapport est fourni au commissaire du quartier Picpus et une copie est transmise à l’état-major de la police municipale et à la direction des Renseignements généraux.

Le 17 juillet, après réception du rapport reçu neuf jours plus tôt, l’inspecteur général de la direction générale de la Sûreté nationale écrit au préfet de police pour lui demander quelle mesure celui-ci a « cru devoir prendre à l’égard de l’intéressé, dangereux militant communiste ».

Le 19 juillet, Albert (Abram) Miklichansky est arrêté, probablement par les Renseignements généraux qui procéderaient à un nouvel interrogatoire au cours duquel il nierait avoir dessiné et reproduit des inscriptions sur les murs, alléguant qu’il se sert couramment de craie dans son métier. Puis il est mis à la disposition du procureur de la République pour propagande en faveur d’une nation ennemie en exécution et prescriptions du décret-loi du 20 janvier 1940 et écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 18 septembre suivant, la 17e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à deux mois d’emprisonnement pour infraction aux décrets des 1er septembre 1939 et 20-01-1940. Il a déjà purgé cette peine en détention préventive…

Mais, il n’est pas libéré : dès le lendemain, 19 septembre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture de police (au sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).

Le 9 octobre 1941, il fait partie des 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.
Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, Albert Miklichansky est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager). Là, Albert Miklichansky (n° 3541) est affecté au camp des politiques (bâtiment A8).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle
Sa famille reçoit une petite note d’un camarade qui semble être resté au camp : « Il est parti ce matin 8 juillet [sic]. Il a bon moral ».

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert (Abram) Miklichansky est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45881, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) : Albert Miklichansky se déclare sans religion (« glaubenslos »), mais l’acte de décès du camp le désigne comme Juif. Selon le témoignage de Roger Abada, les SS lui font porter l’étoile jaune. Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Miklichansky est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. En effet, Fernand Devaux, ramené vers ce sous-camp, apportera son témoigne sur les circonstance de sa mort.

Albert (Abram) Miklichansky meurt à Auschwitz le 23 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui mentionne pour cause mensongère de sa mort une « faiblesse cardiaque et circulatoire » (Herz- und Kreislaufschwäche). F. Devaux relatera : « abattu par un SS, parce qu’il s’était rebiffé ».

Après son propre retour des camps, Roger Abada écrit à la famille (ou signe une attestation de disparition…) en évoquant le typhus.Albert (Abram) Miklichansky est homologué par la Résistance intérieure française au titre de son action au sein du Front national [1] à compter du 1er juillet 1941, avec le grade d’adjudant.

Il est homologué comme “Déporté politique” en 1963.

Sa veuve, Rosalie, décède le 27 septembre 1979.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN””, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018)).

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 66, 371 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
- Danièle Miklichansky, sa fille (courrier 09-2013).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 13e arrondissement, registre des mariages, année 1931 (13M 294), acte n° 282 (vue 17/31).
- Danièle Miklichansky, sa fille (courrier 09-2013).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 747-27237).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 812.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : acte de décès à Auschwitz (24628/1942), son prénom est orthographié « Abram ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.