Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

René, Julien, Masblanc naît le 5 avril 1908 à Champsanglard (Creuse – 23), fils de Jean Masblanc, 30 ans, jardinier, et de Marie-Emma Petit, 21 ans, son épouse, couturière, domiciliés au lieu-dit Lasvy. René a – au moins – deux frères, Georges Paul, né le 25 septembre 1910, et Marcel Charles, né le 12 décembre 1911.

Le 31 décembre 1933, à Bussière-Dunoise (23), René Masblanc se marie avec Lucienne Parot, née le 21 juillet 1908 à Chilleurs-au-Bois (Loiret). Ils n’auront pas d’enfant.

Au moment de son arrestation, René Masblanc est domicilié au 55, rue Claude-Terrasse à Paris 16e, à l’angle du boulevard Murat.

Il est tourneur sur métaux aux usines Renault de Boulogne-Billancourt.

Boulogne-Billancourt, place Jules-Guesde, entrée des usines Renault. Collection Mémoire Vive.

Boulogne-Billancourt, place Jules-Guesde, entrée des usines Renault. Collection Mémoire Vive.

Au cours de la période de guerre entre septembre 1939 et juin 1940, il est mobilisé dans le Génie.

Le 15 juin 1941, René Masblanc est arrêté par les services du commissariat du quartier d’Auteuil pour des « propos alarmistes » tenus dans une file d’attente au marché, avenue de Versailles. Au cours de son interrogatoire, il reconnaît avoir dit : « C’est dégoûtant, le gouvernement veut nous jeter dans la guerre : on n’avait pas à s’occuper de la Syrie, les Allemands étaient déjà dedans, tout le monde le sait. » Un gardien de la paix ramène à son épouse un filet à provisions et ses cartes d’alimentation.

Le 16 juin 1941, la 12e ou 14e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne René Masblanc à 48 heures de prison avec sursis. Mais, le procureur de la République fait appel et, le 15 septembre suivant, la Cour d’Appel de Paris le condamne à quatre jours de prison pour infraction au décret-loi du 26 septembre 1939. Il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), puis y reste interné. Le 4 novembre, il est transféré au dépôt de la Préfecture de police (au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité). Le 6 novembre, le préfet de police signe l’arrêté officialisant son internement administratif.

Le 3 janvier 1942, René Masblanc fait partie d’un groupe de 38 internés politiques (parmi eux, 16 futurs “45000”) et 12 « indésirables » (droit commun) extraits du dépôt et transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé (Vienne). Les détenus sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7h55 – arrivée 18h51).

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, René Masblanc est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, René Masblanc est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45856, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté René Masblanc.

Il meurt à Auschwitz le 28 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Le 29 avril 1946, Lucienne Masblanc remplit une fiche de renseignements, sur laquelle elle est en mesure de préciser que son mari a été déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942. Le lendemain, elle fait certifier conforme une copie de l’assignation de René Masblanc à comparaître devant la chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Paris le 15 septembre 1941, document qui ne mentionne cependant que des « propos alarmistes ».

Le 27 août suivant, René Petitjean, de Clichy, rescapé du convoi, complète et signe un formulaire à en-tête de l’Amicale d’Auschwitz (FNDIRP) par lequel il certifie que René Masblanc est décédé au camp d’Auschwitz à la date de « février 1943 ».

En octobre, Lucienne Masblanc remplit un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) de demande de régularisation de l’état civil d’un “non-rentré”. Le 22 octobre, le ministère établit officiellement l’acte de disparition de René Masblanc. Le 26 octobre, Lucienne Masblanc complète un formulaire de demande d’inscription de la mention “mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique.

Le 29 octobre, Henri Gorgue, de Romainville, autre rescapé du convoi, complète et signe à son tour un formulaire à en-tête de l’Amicale d’Auschwitz par lequel il certifie que René Masblanc est décédé à Auschwitz, mais en indiquant la date de « décembre 1942 ». Il signe une déclaration identique sur un deuxième formulaire le 21 novembre suivant.

Le 23 novembre, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de René Masblanc « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (probablement le témoignage de Henri Gorgue) et en fixant la date au 15 décembre 1942, soit au milieu du mois.

Le 21 mars 1947, Lucienne Masblanc écrit au ministre des ACVG pour solliciter que la mention “Mort pour la France” soit ajoutée à l’acte de décès de son mari, celle-ci ayant été initialement refusée au motif que « seuls peuvent y prétendre ceux qui ont appartenu soit à un centre de Résistance, soit au Parti communiste ». Elle pense que, bien que son mari n’ait appartenu officiellement ni à l’un ni à l’autre, les circonstances qui ont amené sa déportation et son décès peuvent lui donner droit à ce titre posthume. Les sentiments patriotiques de son mari ne pouvant être mis en doute, celui-ci « ne peut, en aucun cas, être assimilé aux travailleurs volontaires décédés en Allemagne, puisqu’il fut bien déporté par les autorités d’occupation en raison de ses sentiments anti-allemands ».

À l’appui des démarches administratives suivantes, elle présente une nouvelle copie de l’assignation de René Masblanc à comparaître devant Cour d’appel en septembre 1941. Le 9 février 1948, une note du “service contrôle” de la préfecture de la Seine précise que sa condamnation avait alors été motivée par « une réflexion désobligeante sur les Allemands et sur le régime de Vichy ». Le 4 mars suivant, le préfet de la Seine rend un avis favorable à l’attribution de la mention “Mort pour la France”, qui est apposée en juin sur le registre des décès de la mairie du 16e arrondissement.

En octobre 1952, Jean Masblanc, père de René, âgé de 74 ans, qui habite toujours à Champsanglard, complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre de demande d’attribution du titre de déporté résistant pour son fils. À la rubrique “circonstances”, il complète par « Propos contre l’armée d’occupation » ; à la rubrique “motif de la condamnation” par un tribunal, il indique « Démoralisation des civils ». Le 26 juin 1953, la Commission départementale de la Creuse des ACVG rend un avis défavorable à l’attribution du titre de déporté résistant ; même refus de la commission de la Seine le 6 janvier 1955. Le 9 septembre suivant, la commission nationale rend également un avis défavorable, suivie par le ministère qui prononce un rejet de la demande, estimant « non établie » la matérialité de l’acte de résistance invoqué.

Le 8 novembre 1955, la Commission nationale des déportés et internés politiques rend un avis favorable à l’attribution du titre de “déporté politique”, suivi par la décision du ministère du 22 novembre, notifiée deux semaines plus tard au demandeur : Jean Masblanc reçoit la carte n° 1108.18217 établie au nom de son fils.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 373 et 413.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
- Archives départementales de la Creuse, site internet du Conseil départemental, archives en ligne : registre des naissances des Champsanglard, années 1903-1913 (4E 58/17*), année 1908, acte n° 4 (vue 28/42), année 1910, acte n° 3 (vue 33/42), année 1911, acte n° 13 (vue 36/42).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 700-23544).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 127.
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 786 (37823/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Masblanc René (21 P 513.861), recherches et relecture de Ginette Petiot (messages 01-2019.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-01-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.