Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Gabriel, Albert, Lemaire naît le 29 août 1902 à Amfreville-la-Mivoie ou Amfreville-la-Mi-Voie (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), au sud de Rouen, en face de Sotteville sur la rive droite de la Seine, chez ses parents, Alexandre Lemaire, 55 ans, journalier, et Émilie Héron, 38 ans, journalière, son épouse, domiciliés « section de la Mivoie ». Gabriel a – au moins – six frères et sœurs plus âgés, tous nés à Amfreville : Désiré Augustin, né le 15 octobre 1885, Alice, née le 16 août 1889, René, né le 14 juillet 1893, Olympe Florentine, née le 8 août 1896, Ernest, né le 24 juillet 1899, et Lucie, née le 24 mars 1901.

Amfreville-la-Mivoie après guerre, en bord de Seine. À l’horizon : Rouen. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Amfreville-la-Mivoie après guerre, en bord de Seine (vue partielle). À l’horizon : Rouen.
Carte postale, coll. Mémoire Vive.

À une date restant à préciser, Gabriel Lemaire se marie avec Lucienne Bénard, née le 21 novembre 1903 à Saint-Étienne-de-Rouvray (76). Ils n’auront pas d’enfant.

Il est domicilié au 11, rue du Passage à Amfreville-la-Mivoie.

En mai 1926, Gabriel Lemaire entre aux Chemins de fer de l’État, comme manœuvre à l’essai, à Saint-Pierre-de-Vouvray (76).

En janvier 1937, il devient ouvrier serrurier aux ateliers Buddicom de Sotteville-lès-Rouen (76) ; n° d’agent SNCF : 42952.

Adhérent de la CGT, et militant du Parti communiste, il est secrétaire de la cellule d’Amfreville. En mars 1938, à l’occasion d’une élection complémentaire, il est élu conseiller municipal sur la liste du PCF.

Amfreville-la-Mivoie, la mairie. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Amfreville-la-Mivoie, la mairie. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Après la déclaration de guerre, Gabriel Lemaire est mobilisé comme affecté spécial sur son poste de travail, aux ateliers de Sotteville. Il est en relation avec un autre conseiller municipal communiste, Raymond Dubui, qui est mobilisé à la cartoucherie de Rugles (Eure).

Le 24 septembre 1939, le service de la Sûreté du ministère de l’intérieur envoie à tous les préfets de France un télégramme officiel leur enjoignant : « si, parmi suspects ou affiliés Partis extrémistes, figurent fonctionnaires ou agents service public mobilisables et maintenus à leur poste, m’en envoyer urgence liste nominative établie par département ministériels ». Le lendemain, le cabinet du préfet de Seine-Inférieure transmet ce télégramme au commissaire spécial de police de Rouen avec prière de lui fournir d’urgence la liste nominative réclamée. Le 6 octobre, Gabriel Lemaire figure en 14e place sur les 25 personnes d’une « liste des principaux militants communistes de l’arrondissement de Rouen (catégorie fonctionnaires) », puis, le lendemain, en 26e place sur la liste actualisée de 29 sympathisants ou militants transmise au préfet. Entre temps, sollicité, le maire d’Amfreville a envoyé au commissaire spécial une liste non-alphabétique des principaux militants du PC de sa commune, sur laquelle Gabriel Lemaire est inscrit en deuxième position.

Le 18 février 1940, le commissaire spécial de police informe le préfet que le conseil municipal d’Amfreville-la-Mivoie refuse de tenir séance tant que ne sera pas prononcée l’exclusion des conseillers communistes, Lemaire et Dubui. Le 22 février, le conseil de préfecture interdépartemental constate, à la requête du préfet et en exécution de la loi du 20 janvier 1940, la déchéance du mandat de conseiller municipal de Gabriel Lemaire. Deux jours plus tard, celui-ci en reçoit notification.

De mai à juillet, il est rayé de l’affectation spéciale et rejoint une formation militaire.

Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, pour Amfreville, Gabriel Lemaire…

Dans la nuit du 21 au 22 octobre, celui-ci est arrêté chez lui par des gendarmes français de la brigade de Rouen-Saint-Sever, sur ordre du préfet de Seine-Inférieure ; préalablement, le commandant de gendarmerie a requis le garde-champêtre de la commune afin qu’il les conduise jusqu’à son domicile, ainsi que chez d’autres ex-militants communistes ou JC d’Amfreville figurant sur sa liste : Jean Binard (qui sera déporté avec lui), Fernande Creignoux, Jean Crevon, Lucien Mallet et Jean Poulain. Tous sont conduits au commissariat de police du 6e arrondissement de Rouen, où ils sont pris en charge par des inspecteurs du commissariat central. Puis des Feldgendarmes viennent les chercher (pour les mener à la caserne Hatry ?) [2]. Trois jours plus tard, le 25 octobre, avec d’autres militants arrêtés dans le département, ils sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), sauf Fernande Creignoux, conduite en tant que femme au camp allemand du Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Hauts-de-Seine). Gabriel Lemaire est enregistré à Compiègne-Royallieu sous le matricule n° 1915. Pendant un temps, il est assigné au bâtiment A4, chambre n° 11. Lucien Mallet restera interné trois mois et Jean Crevon treize mois, avant d’être libérés.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Gabriel Lemaire est inscrit en vingtième place sur la liste d’otages dressée après l’attentat contre la librairie “Le Front” à Rouen, fréquentée par les militaires allemands [3].

Le SD [3] indique « Au PC de 1936 à 1940 », et précise « a été détenu 6 semaines pour activités communistes pendant la guerre actuelle ». Le 8 décembre 1941, il figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Felkommandantur 517 de Rouen. Le 7 mai 1942, le département administratif allemand de la Justice (V ju) propose sa libération.

Pourtant, entre avril et fin juin 1942, Gabriel Lemaire est définitivement sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942, à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Gabriel Lemaire est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45778. Sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Gabriel Lemaire se déclare comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Gabriel Lemaire est dans la moitié des membres du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Le 5 novembre 1942, dans la chambre (Stube) n°5 du Revier de Birkenau (Block n° 8 – en brique – du secteur BIb), où se trouvent également Flageollet et Couteau, Gabriel Lemaire reçoit 40 gouttes de Cardiasol. Dans ce dispensaire, le SS-Rottenführer Franz Schulz exécute certains détenus avec une injection mortelle dans le cœur…

Gabriel Lemaire meurt – à Birkenau – le 22 janvier 1943, d’après l’acte de décès du camp, qui indique pour cause de sa mort « entérite (diarrhée) par faiblesse corporelle » (Darmkatarrh bei Körperschwäche) ; plus simplement la dysenterie ?À une date restant à préciser, le Conseil municipal d’Amfréville-la-Mivoie donne son nom à une rue de la commune. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 16-07-1994).

Son nom est inscrit sur le monument aux morts SNCF des ateliers de Buddicom à Sotteville et sur le monument dans le hall en gare de Rouen-Rive-Droite.

Notes :

 [1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Contre la librairie allemande de Rouen… Selon Albert Ouzoulias : « Le 28 novembre (1941), Lefebvre (Marc), un jeune cheminot breton qui travaille à Sotteville, lance une bombe dans la vitrine de la librairie allemande de Rouen, rue Jeanne-d’Arc ; l’engin a été confectionné avec un bout de tube de chaudière de locomotive du dépôt de Sotteville. » in Les Bataillons de la Jeunesse, 1967, p. 200. … ce qui explique la désignation comme otages de militants arrêtés dans ce secteur (la date du 26 novembre est aussi donnée).

[3] SD : SichereitsDienst, service de renseignement de la SS, travaillant avec la Gestapo (police de sécurité).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 60, 374 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et les “31000” de Seine-Maritime, Rouen 2000, citant : Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris ; documents allemands (SD), feuillet 57 – Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre, 1973 – Claude-Paul Couture, chercheur, dossier « En Seine-Maritime, de 1939 à 1945 », CRDP de Rouen, 1986, p. 33 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels « Le » (51 W 418), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine : Archives restituées par la Russie, commissariat spécial de Rouen 1920-1940 (20010223/2, doc. 96-98, 96-112).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet : archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. XLIII-26 et XLVa-32.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 709 (3385/1943).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
- Pôle des archives des victimes des conflits contemporains (PAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de LEMAIRE Gabriel (21 P 475.656), recherches de Ginette Petiot (message 11-2018).
- Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Site du Groupe Archives Quatre-Mares (GAQM).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 911-912.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.