Droits réservés.

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Gabriel Lacassagne naît le 15 juillet 1920 à Fontenay-sous-Bois [1] (Seine / Val-de-Marne), chez ses parents, Antoine Lacassagne, 35 ans, livreur (charbonnier), et Antoinette Regaudie, son épouse, 30 ans, domiciliés au 15, rue Dalayrac. Gabriel a une sœur aînée, Madeleine, née le 5 mai 1910 à Paris 13e.

Fontenay-sous-Bois. La rue Dalayrac. Carte postale non datée (années 1930 ?). Collection Mémoire Vive.

Fontenay-sous-Bois. La rue Dalayrac.
Carte postale non datée (années 1930 ?). Collection Mémoire Vive.

Au moment de son arrestation, Gabriel et sa sœur, 30 ans, ménagère, habitent toujours chez leurs parents, à cette même adresse.

Gabriel Lacassagne est ajusteur (dans quelle entreprise ?).

De la classe 1940, il n’est pas appelé à accomplir son service militaire pendant la période de mobilisation.

« Membre des Jeunesses communistes, il commence avec ses amis par lancer des drapeaux tricolores dans les fils électriques, pavoiser de nuit sur le marché Roublot, distribuer des tracs dans les rues, coller de petits papillons sur les poteaux télégraphiques. »

Le 1er mai 1941 à 10 h 45, Antoine, Gabriel et Madeleine Lacassagne sont arrêtés à leur domicile par deux inspecteurs de la Brigade spéciale anticommuniste (BS1) des Renseignements généraux (RG). Pressé de question, le père de famille remet aux policiers plusieurs dizaines de tracts de “propagande communiste” que sa fille aurait déposés dans l’armoire de la chambre à coucher après les avoir reçus d’un inconnu croisé dans la rue. Les policiers n’ont aucun élément à charge contre Gabriel, qui nie toute implication. Tous trois sont mis à la disposition du chef de service, le commissaire André Cougoule. Le lendemain, inculpés d’infraction au décret-loi du 26 septembre 1939, ils sont conduits au dépôt de la préfecture de police (la Conciergerie, dans les sous-sols du Palais de Justice, sur l’île de la Cité, Paris 1er), à la disposition du Procureur de la République.

Le Palais de Justice de Paris vu depuis la place Dauphine. Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive. Selon certains témoignages, les soupiraux situés près des statues de lions  éclairaient les sous-sols du dépôt.

Le Palais de Justice de Paris vu depuis la place Dauphine.
Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.
Selon certains témoignages, les soupiraux situés près des statues de lions éclairaient les sous-sols du dépôt.

Gros plan de l’image ci-dessus : deux soupiraux à gauche du lion.

Gros plan de l’image ci-dessus : deux soupiraux à gauche du lion.

Le jour suivant, comparaissant devant la 12e Chambre du tribunal correctionnel de la Seine, ils refusent d’utiliser les trois jours auxquels ils ont droit afin de préparer leur défense et Antoine Lacassagne prend tout sur lui, reconnaissant « avoir reçu des paquets de tracts de la part d’un inconnu et ceci dans le but d’en effectuer la diffusion ». Il est condamné à six mois d’emprisonnement, alors que Gabriel (faute de preuve) et Madeleine (« reconnue atteinte de troubles mentaux ») sont aussitôt relaxés.

(montage photographique)

(montage photographique)

Dès lors, ils sont fichés par la police française (RG).

Le 23 mai, Antoine Lacassagne est transféré au secteur “correction homme” de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (n° d’écrou 8352). Son pourvoi en appel est jugé le 8 juillet suivant par la 10e Chambre, laquelle confirme la condamnation. À l’expiration de sa peine, le 17 septembre, il est ramené à la préfecture de police où il est relaxé après avoir pris « l’engagement d’honneur de ne se livrer dans l’avenir à aucune activité communiste ».

Le 28 avril 1942, Gabriel Lacassagne est arrêté à son domicile par des policiers français et des Feldgendarmes, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée dans le département de la Seine par les « autorités d’occupation » avec le concours de la police française et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant précédemment fait l’objet d’une poursuite policière ou judiciaire et ayant été libérés, soit après avoir bénéficié d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’un sursis, soit après avoir fini de purger une courte peine, parmi lesquels beaucoup de jeunes gens. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin, Gabriel Lacassagne est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Gabriel Lacassagne est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45709 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Gabriel Lacassagne se déclare alors forgeron et sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Gabriel Lacassagne est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Il est affecté au Kommando de la forge avec Eugène Charles et Jules Le Troadec, hommes de métier, et Ferdinand Bigaré, Raymond Boudou et Marceau Lannoy. Ils sont assignés au Block 16A. C’est dans ce Kommando que Gabriel Lacassagne dépérit jour après jour.

Il meurt à Auschwitz le 15 mai 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebucher), qui indique « catarrhe intestinale » pour cause mensongère de sa mort. Il a 22 ans.

Après la guerre, une plaque à son nom est apposée sur l’immeuble où il a habité, au 15 rue Dalayrac.

Photo transmise par Loïc Damani. Droits réservés.

Photo transmise par Loïc Damani. Droits réservés.

Le 20 décembre 1974, le conseil municipal de Fontenay-sous-Bois donne le nom de Gabriel Lacassagne à une rue créée dans un nouveau secteur d’habitation.

Notes :

[1] Fontenay-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 387 et 409.
- Archives municipales de Fontenay-sous-Bois : registre des délibérations, recherches de Madame Cluzel ; acte de naissance, transmis par Loïc Damiani.
- Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855) ; jugements du 3 mai 1941 (D1u6-3745).
- Concernant Antoine Lacassagne, Archives Départementales du Val-de-Marne : Maison d’arrêt de Fresnes, registre d’écrou n° 151, “correction hommes” du 20 avril au 7 juillet 1941 (2742w18) ; dossier des détenus “libérés” du 1er au 30-09-1941 (511w22).
- Archives départementales de Corrèze, archives en ligne, site internet : état civil de Davignac, année 1884, acte n° 31 (vue 39/464).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” : BA ? (…) ; affaires de la BS1, « Affaire Lacassagne” (GB 61 – 241) ; dossier commun au cabinet du préfet (1w066-20107).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 684.
– Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : documents d’Auschwitz, liste de 13 décédés nés en France, extrait du Sterbebuch 1943, acte n° 19942/1943 (26 P 821).
- Association Mémoire et création numérique, site Les plaques commémoratives, sources de mémoire, citant René Maurice, Les Années de Plomb, Éditions FNV, Fontenay-sous-Bois, 1995, p.65.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.