IDENTIFICATION INCERTAINE… Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.  Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,  Oświęcim, Pologne.  Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Bauget, 34 ans, blanchisseuse, domiciliée au 67, quai de la Tournelle. Neuf mois plus tard, le 9 janvier 1904, il est légitimé – ainsi que sa sœur Charlotte, née le 3 septembre 1900 – par le mariage à la mairie du 5e de sa mère avec Joseph Gouélian, 23 ans, débardeur, qui habite à la même adresse. Sa sœur Blanche naît le 7 mars 1905.

Louis Gouélian ne prolonge pas ses études. Pendant un temps, vivant chez ses parents au 24, rue Maître-Albert (Paris 5e) quartier St-Victor, il commence à travailler comme “journalier”.

Sa sœur Charlotte se marie à l’âge de seize ans, le 5 septembre 1916. Sa sœur Blanche se marie à l’âge de quinze ans, le 9 octobre 1920.

Louis Gouélian est de la classe 1923, mais le conseil de révision l’exempte de service militaire pour « myopie considérable ».

En 1926, âgé de 23 ans, il habite encore chez ses parents, son père étant alors débardeur.

 partir de 1929, Louis Gouélian vit maritalement avec Germaine Octavie Ferrieu, née le 1er juin 1907 à Communay (Isère). À partir de 1935, il est habite chez elle au 2 bis, rue des Anglais, à Paris 5e, dans un logement d’une pièce située au sixième étage. Ensemble, ils auront deux enfants, reconnus par leur père : Monique Louise, née le 24 février 1937 à Paris 14e, et Michel, né le 10 février 1941 à la maternité de l’Hôtel Dieu, au 2, rue d’Arcole (Paris 4e).
Louis Gouélian travaille comme cycliste. De 1925 à 1928, il est employé à l’agence Dorland, succursale d’une société publicitaire londonienne, sise 65, avenue des Champs-Élysées, puis, pendant neuf ans, à L’Information, grand quotidien économique, sis au 124, rue Réaumur (futur siège du Parisien Libéré). À partir de 1937, il est  employé par les Messageries Hachette et plus spécialement attaché à la diffusion du quotidien Le Soir, jusqu’à l’interdiction de celui-ci. Il devient délégué du personnel de la maison Hachette pour le Syndicat des Transport de la région parisienne.Selon une source, il est secrétaire de la section communiste du 5e arrondissement avant guerre. La police le considère seulement comme « sympathisant des doctrines communiste », ajoutant qu’il fréquente « assidûment les réunions organisées par la 5e section des Jeunesses communistes » et qu’il est lié à André Parinaud, militant connu qui sera interné à la redoute de Bossuet en Algérie.

Sous l’Occupation, Louis Gouélian reste actif dans la clandestinité : selon la police, il se livre « à une intense propagande verbale en s’efforçant de regrouper les éléments communistes de la corporation des porteurs de journaux ».

Le 11 novembre 1941, il fait l’objet d’une dénonciation anonyme pour son activité communiste.

Un mois plus tard, le 13 décembre, Louis Gouélian est arrêté à son domicile par la police française et conduit au dépôt de la préfecture (la Conciergerie, sous le Palais de Justice de l’île de la Cité). Le même jour, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939.

Le 3 janvier 1942, Louis Gouélian fait partie d’un groupe de 50 détenus – 38 internés politiques et 12 “indésirables” (droit commun) – extraits du du dépôt et transférés “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne). Ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7h55 – arrivée 18h51).

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. © Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
© Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

En janvier, la compagne de Louis Gouélian écrit à une autorité française (le ministre de l’Intérieur ?) pour solliciter la libération de son compagnon en raison de sa situation nécessiteuse avec deux enfants en bas âge. Le 17 avril, le préfet de police émet un avis défavorable à cette demande.

Le 22 mai 1942, Louis Gouélian fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol.
Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Louis Gouélian réussit à jeter sur la voie un papier libellé au crayon faisant connaître qu’il est déporté en Allemagne et transmis à son épouse par un cheminot.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Louis Gouélian est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45619, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a été formellement identifiée à ce jour, bien que le port de lunettes à gros verres semble corroborer cette supposition).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Louis Gouélian se déclare porteur de journaux (Zeitungsträger). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Louis Gouélian

Il meurt à Auschwitz le 24 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « inflammation stomacale aigüe » (Akuter Magendarmkatarrh).

Dès le 18 juin 1945, Roger Pélissou et Jean Marti, rescapés du convoi, signent conjointement une attestation certifiant que « Louis Gouélian […] est décédé en 1942 au camp de concentration d’Auschwitz… ». Le 31 juillet, Madeleine Dechavassine, secrétaire de l’Amicale d’Auschwitz, signe une attestation à en-tête de l’association, reprenant le témoignage des deux rescapés, mais précisant la date du décès, « à la fin septembre 1942 ».

Le 16 janvier 1946, le juge de Paix du 5e arrondissement réunit un conseil de tutelle, où il fait comparaître mademoiselle Germaine Ferrieu, investie de la tutelle légale des enfants mineurs, afin de désigner un subrogé tuteur pour les enfants Gouélian, en l’occurrence la directrice du service social de l’arrondissement, et d’émettre un vote tendant à ce que les mineurs soient adoptés comme pupilles de la Nation.

En octobre 1946, Germaine Ferrieu complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander que soit établit l’acte de décès de son compagnon.

Le 26 décembre suivant, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Louis Gouélian « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour », probablement une copie extraite du Sterbebücher qui serait parvenue au ministère le 28 juin précédent (jour et surtout « heure » de décès sont les mêmes). Le même jour, le service central de l’état civil du ministère demande par courrier au maire du 5e arrondissement de Paris de transcrire cet acte dans les registres de sa commune.

Le 21 mars 1947, Germaine Ferrieu complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Le 5 mai suivant, le préfet de la Seine émet un avis favorable. Le 9 juillet, le ministère demande au maire du 5e arrondissement d’inscrire la mention dans l’acte de décès de Louis Gouélian, ce qui est fait quinze jours plus tard.

Le 4 mars 1947, le secrétaire administratif de la fédération de la Seine du PCF délivre à Germaine Ferrieu une attestation par laquelle il certifie que Louis Gouélian « faisait partie de la Résistance dans les rangs du Parti communiste français » ; un document dont la validité n’est pas reconnu par l’administration…

Le 16 août 1949, le secrétaire d’État aux forces armées (guerre) prononce l’homologation de Louis Gouélian au grade fictif d’adjudant dans la Résistance intérieure française au titre du Front National. Le 30 décembre 1953, l’attestation délivré par le liquidateur de cette organisation indique qu’il a été arrêté pour « avoir participé à la formation de notre mouvement sur la région parisienne, avoir édité et distribué des tracts appelant à la résistance à l’occupant ; son activité attira sur lui l’attention de la police qui procéda à son arrestation. »

En janvier 1954, Germaine Ferrieu – en qualité de mère et tutrice légale des enfants Gouélian – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son compagnon (« porteur de journaux ») à titre posthume. Le 29 septembre 1955, la commission départementale des déportés résistants prononce un avis défavorable à cette demande, estimant le lien de cause à effet entre l’activité clandestine et la déportation « insuffisamment établi », avis suivi par la commission nationale le 2 décembre. Le 17 janvier 1956, la commission nationale des déportés et internés politiques prononce un avis favorable à l’attribution de ce titre. Le 7 février suivant le ministère des ACVG décide le refus du titre de “Déporté Résistant” à Louis Gouélian et lui attribue celui de “Déporté politique”, envoyant la carte n° 1101 19403 à sa veuve le 9 mars.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Louis Gouélian (J.O. 10-02-1994)..

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 371 et 395.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Extrait de son acte de décès à la mairie du 5e arrondissement – Roger Pélissou pense l’avoir reconnu sur la photo d’immatriculation à Auschwitz du numéro 45619, ce qui correspond bien à l’ordre alphabétique dans la liste reconstituée par Claudine Cardon-Hamet.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 5e arrondissement, registre des naissances, année 1903 (5N 203), acte n° 1235 (vue 16/31) ; registre des mariages, année 1904 (5M 186), acte n° 22 (vue 12/29) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1923, 3e bureau de la Seine, matricule n° 729.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 684-22837).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : liste XLI-42, n° 91.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 380 (32649/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier de Louis Gouélian (21 P 457.661), consulté par Ginette Petiot (message 09-2017) ; liste de détenus français morts au camp de concentration d’Auschwitz relevée par le S.I.R. d’Arlosen (26 P 821 – Auch. 1/7), page 7, n° 137.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-06-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.