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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Eugène, Émile, Garnier naît le 16 juin 1908 à Saint-Georges-des-Groseillers (Orne – 61), fils d’Eugène Louis Garnier, ferblantier (?) et de Berthe Noémie Marie Valée. En février 1911, ils habitent au 115 (?) rue de la Boucherie à Mortain (Manche). Georges, frère d’Eugène, y naît en 1914.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, Eugène Émile Garnier rejoint le 225e régiment d’infanterie à Mayenne le 4 août et part aux armées le 9 août. Le 28 janvier 1916, à l’hôpital complémentaire n° 18 de Châlons-sur-Marne (Marne), il meurt « des suites de maladie contractée en service commandé », âgé de 31 ans et demi. Le 23 octobre 1918, Eugène Garnier est adopté par la Nation par jugement du tribunal civil de Mortain.

Le 27 octobre 1928 à Flers, il se marie avec Jeanne Anna Germaine Lainé, 19 ans.  Ils auront deux fils : Georges, né en 1929, et Michel, né en 1930, tous deux à Flers.

En 1931 et jusqu’au moment de son arrestation, Eugène Garnier est domicilié dans un pavillon au 14, impasse Lemonnier à Flers (61), une voie ouverte dans la rue de Domfront et longeant le mur de l’hôpital. En 1931, le foyer héberge également Georges, le frère d’Eugène, travaillant chez le même employeur (Fauvel ?), Eugénie Lainé, mère de Jeanne, 45 ans, ouvrière à la Société Générale de Tissages et Filatures de Flers, et Exavérine Dufy, 91 ans, grand-mère. Jeanne est ouvrière à la Société du Caoutchouc manufacturé et de l’extra souple.

Eugène Garnier est ajusteur-outilleur.

Il adhère à la CGTU en 1926 et au Parti communiste en 1933. En 1933 ou en 1934, il est licencié de son entreprise pour y avoir créé une section syndicale CGTU.

En 1935, il est candidat du Parti communiste aux élections municipales de Flers. Il organise un centre d’études sociales à la Maison des Syndicats, où l’on donne des conférences d’Histoire et de théorie politique, et met sur pied des comités locaux du mouvement Amsterdam-Pleyel de lutte contre le fascisme et la guerre.

En 1936-1937, il devient secrétaire du Syndicat CGT des métaux de Flers. En 1938, il est secrétaire de la Section communiste de Flers et, en 1939, membre du bureau de la fédération du PCF de l’Orne.

Il anime les comités d’accueil des réfugiés républicains espagnols.

Lors de la drôle de guerre, il est peut-être mobilisé pendant un temps au 4e bataillon d’ouvriers d’administration (B.O.A.).

Dès l’automne 1939, il réorganise le Parti communiste dans l’illégalité. Il est l’un des premiers organisateurs de l’O.S. (organisation spéciale : premiers groupes armés chargés de couvrir les actions publiques des militants communistes). Il rédige et diffuse des tracts appelant à la création de Comités populaires (qui seront à la base de la reconstitution de la CGT clandestine). En octobre 1941, il rencontre à Flers le colonel Fabien (Pierre Georges) et lui fournit des explosifs. À la suite de cette entrevue, il crée le premier groupe de lutte armée (futurs FTPF) dans la vallée de la Vire.

Il est connu de la police française pour avoir participé à la rédaction de La Voix du Peuple, journal du Front Populaire pour l’Orne, et ses « bagarres avec les Croix de Feu du colonel de la Roque » ne peuvent être ignorées. C’est pourquoi, après la distribution de tracts, en août et septembre 1941, appelant « au sabotage des installations des occupants, et des entreprises sous leur contrôle », il se sent menacé. Il transmet à Gaston Valet « tout le matériel qui lui a permis de créer le réseau de Résistance ».

Le 18 octobre 1941, à 6 h du matin, il est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie au cours d’une vague d’arrestations (comme Maurice Hochet), conduit en détention à Alençon, et interné dès le lendemain au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 - Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 1676. Dans ce camp, il devient rapidement l’un des responsables de la Résistance clandestine dirigée par l’ex-député communiste Georges Cogniot.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Eugène Garnier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Garnier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45571 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Eugène Garnier est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Là, il est affecté aux ateliers (Werkstätte). Il sera successivement assigné aux Blocks 5a, 18a, 4, 5 et 14a.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En décembre 1942, avec Roger Abada et Roger Pélissou, il est l’un des fondateurs du groupe français de Résistance à Auschwitz, créé parmi les “45000” avec l’aide de communistes autrichiens et allemands.

Quand la Résistance apprend l’arrivée du convoi des françaises parti le 24 janvier 1943 (“31000”), Eugène Garnier est affecté au Kommando des jardins (Gärtnerei) et assure la liaison avec le Kommando agricole de Raïsko, où plusieurs de celles-ci sont affectées. Avec d’autres “45000” dont le travail les amène à circuler, il leur apporte des vêtements adaptés, des médicaments, des informations sur la guerre et les consignes de la résistance internationale.

En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues -
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Au début septembre 1944, après le transfert de Roger Pélissou à Flossenburg et celui de Roger Abada au KL Gross-Rosen, il reste le seul membre du triangle de direction français à Auschwitz. Il assure alors la liaison avec le groupe international de résistance. Il organise l’intégration solidaire des français évacués de Lublin, puis de ceux transférés depuis les camps de Dachau, Mauthausen et Buchenwald.

Après l’évacuation d’Auschwitz et le départ de la plupart des gardiens SS, le 20 janvier 1945, il est un des responsables du Comité international de Résistance qui demeure avec les détenus intransportables, dans la perspective de soutenir ceux-ci et de les protéger d’une ultime extermination.

Situé sur le trajet du front de l’Est, Auschwitz est libéré le 27 janvier 1945 par l’armée soviétique.

Eugène Garnier est rapatrié le 10 mai 1945, après avoir embarqué au port d’Odessa, sur la Mer Noire (Ukraine).

À son retour, il habite au 14 ou 74 impasse Lemonnier à Flers.

Dans le mois qui suit son retour, il adresse, à l’ancienne représentante de la Croix-Rouge pour le camp de Compiègne, une lettre dans laquelle il apporte la précision importante selon laquelle son transport était constitué de « 1125 “Aryens” et de 50 Juifs ».

Le 16 juillet 1945, il rédige une attestation de décès pour Léon Leriche, camarade de déportation.

Homologué comme “Déporté Résistant”, combattant volontaire de la Résistance, lieutenant dans la Résistance Intérieure Française, décoré de la Légion d’Honneur, il reçoit la Croix de guerre polonaise pour son action dans la Résistance à Auschwitz.

Sa santé est compromise, mais son activité demeure intacte.

Il est l’un des fondateurs de l’Amicale des anciens déportés d’Auschwitz et apporte sa contribution à l’ouvrage collectif Témoignages sur Auschwitz, édité à la fin 1946, signant le chapitre Les exécutions massives d’août-septembre 1943 (dans la cour du Block 11), pages 133-135, et le chapitre Organisation de la Résistance – deuxième partie (août 1944 – 27 janvier 1945), pages 177-183. Il est membre du Comité national de la FNDIRP.

Eugène Garnier est le porte-parole de l’Amicale d’Auschwitz française au tribunal suprême polonais qui condamne Rudolf Hoess, un des commandants du camp, à être pendu à Auschwitz le 7 avril 1947.

Il devient Président de la Caisse primaire de Sécurité sociale de l’Orne, administrateur de la Caisse régionale de Rouen. Il est un des dirigeants de l’Union départementale CGT de l’Orne.

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Droits réservés.

Animant dès son retour la section communiste de Flers, Eugène Garnier est élu conseiller municipal de cette ville à plusieurs reprises.

Il décède à Flers le 22 août 1969, âgé de 61 ans.

Au dire des témoins de l’époque, aucune cérémonie funèbre n’avait rassemblé une foule aussi importante, dans cette ville qui rendait ainsi hommage à une personnalité exceptionnelle, unanimement reconnue pour son dévouement et sa combativité.

L’année même de son décès, son nom est donné à une rue de sa ville longeant le nouveau centre hospitalier de Flers.

Dans Le Patriote Résistant (journal mensuel de la FNDIRP) d’octobre 1969, Marie-Elisa Cohen lui rend hommage, entre autres, pour le soutien apporté aux “31000”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 78 et 79, 89, 202, 203, 204, 185, 210, 217 et 218, 255 et 256, 294 et 295, 320, 358, 370 et 405.
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Cl. Cardon-Hamet page 132.
- Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Pologne, version française 2011, volume IV, La Résistance, Henryk Swiebocki, pages 131 à 137.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 611 925), recherches de Ginette Petiot.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-03-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.