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Louis Daens naît le 25 février 1892 à Lens (Pas-de-Calais – 62), fils de Louis, Philippe Daens, 27 ans, ouvrier mineur natif de Belgique, et de la “demoiselle” Blanche – dite Jeanne – Laurent, « dix-sept ans et demi » ; son père va déclarer sa naissance à l’état-civil. Le 18 juin suivant, ses parents se marient à la mairie de Lens, acte valant légitimation. Cependant, le 10 février 1903, leur divorce est prononcé par jugement du tribunal civil de Béthune.

Habitant à Montigny-en-Gohelle, Louis Daens commence à travailler comme “houilleur” (mineur de fond).

Le 27 juin 1913, Louis Daens, 21 ans, épouse Marie Lampin, « dix-neuf ans, deux mois », née le 15 avril 1894 à Montigny-en Gohelle, fille d’un “houilleur” de 40 ans (petite-fille de “houilleur”). Un an plus tôt, le 10 juin 1912, à Montigny, celle-ci a donné naissance à leur fils Louis, alors « enfant naturel ».

Le 26 novembre, Louis Daens est incorporé comme soldat de 2e classe au 33e régiment d’infanterie afin d’y accomplir son service militaire.

Le 1er août 1914, quand est proclamé le décret de mobilisation générale, il est encore “sous les drapeaux”. Le 8 janvier 1915, à Mesnil-les-Hurlus (Marne), lors d’une offensive française au cours de la première bataille de Champagne, il est blessé au côté gauche par une balle au genou et par éclat d’obus à la cuisse. Il est dirigé vers un centre d’évacuation, puis admis à l’hôpital temporaire n° 2 à Troyes (Aube). Le 23 février suivant, il est transféré à l’hôpital temporaire n° 4 à Niort (Deux-Sèvres), d’où il sort le 10 mars. Un an plus tard, le 2 mars 1916, sous le fort de Douaumont récemment pris par l’ennemi, lors d’une offensive allemande, il est blessé à la tête par éclat d’obus et évacué sur l’hôpital de Moulins (Allier). Le 22 avril, il rejoint son dépôt d’infanterie. Le 30 août suivant, il est cité à l’ordre de son régiment : « Soldat courageux toujours prêt à accomplir les missions périlleuses. » Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le 16 mai 1916, il passe au 68e régiment d’infanterie, 1er bataillon, 3e compagnie. Le 26 juillet 1917, dans les combats pour la reprise de la caverne (creute) du Dragon, sous le Chemin des Dames, à l’ouest de Craonne (Aisne), il est légèrement blessé à la tête par éclat d’obus, mais sans être évacué.

Le 7 août 1917, Louis Daens est “mis en sursis” (de mobilisation) aux houillères de Blanzy, près de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) ; les mines du Nord et du Pas-de-Calais étant en territoire occupé, de l’autre côté de la ligne de front. Le 22 juillet 1919, il est envoyé en congé de démobilisation et se retire à Carvin (62). Il recevra la Médaille militaire le 23 avril 1931 et la Médaille de Verdun. Fin novembre 1934, la commission de réforme de Rouen le proposera pour une pension définitive de 10 % pour « cicatrices multiples du membre inférieur gauche avec éclats d’obus inclus dans la cuisse » (notifiée en mai 1935).

Le 16 septembre 1920, à Bruay-en-Artois (62), son épouse donne naissance à leur fille Lucienne, Marcelle.

À la mi-juin 1921, Louis Daens déclare habiter sur l’île de Cap-Breton (province de Nouvelle-Écosse, Canada), où des mines de houille existent aux alentours de Sydney…

Début février 1924, revenu en France, il est domicilié au 370, cité Darcy à Hénin-Liétard (62).

À la mi-juillet 1925, la famille habite au 32, rue des Violettes à Haillicourt (62), quartier de la fosse n° 6 de la Compagnie des mines de Bruay.

Le 25 janvier 1926, un deuxième fils, Pierre, Jean, naît dans cette ville. En cette année 1926, les deux Louis – père (34 ans) et fils (14 ans !) – sont “houilleurs” aux mines de Bruay.

Haillicourt. Mines de Bruay, fosse n° 6. Carte postale non datée (années 1950-1960). Coll. Mémoire Vive.

Haillicourt. Mines de Bruay, fosse n° 6.
Carte postale non datée (années 1950-1960). Coll. Mémoire Vive.

À la mi-novembre 1927, ils habitent au 23, cour Godin à Hénin-Liétard.

En avril 1929, la famille quitte le Pas-de-Calais et s’installe au n° 7 ou 2 cité de la Neuville, au Trait (Seine-Inférieure / Seine-Maritime – 76). Louis et Marie auront encore deux enfants : Marie Jeanne et Benoît.

Fin mai 1935, la famille habite rue du Maréchal-Galliéni au Trait.

Communiste depuis 1928, Louis Daens est à la tête du Syndicat des Produits chimiques de 1936 à 1939.

 

Devenu ouvrier chimiste à la raffinerie Standard Oil [2] de Port-Jérôme (site industriel en bord de Seine sur la commune de Notre-Dame-de-Gravenchon), il en est licencié « à cause de ses idées » après la grève du 30 novembre 1938 de protestation contre l’abandon des acquis du Front populaire.

Il travaille ensuite comme terrassier aux Ponts-et-Chaussées, en particulier aux premiers travaux préparant la réalisation du Pont de Tancarville, probablement sur les voies d’accès, car l’ouvrage est lancé au travers de la Seine après la guerre (1958-1959).

Sous l’occupation, militant clandestin du Front national [3], Louis Daens confectionne et diffuse des tracts anti-allemands.

Au moment de son arrestation, il est domicilié (réfugié ?) au 60, rue de la République à Bolbec (76), 20 km à l’est du Havre.

Le 29 ou le 31 juillet 1941, deux Feldgendarmes et plusieurs gendarmes de la brigade de Bolbec l’arrêtent à son domicile « sur dénonciation d’un commerçant voisin ». Détenu une dizaine de jours à la gendarmerie de Bolbec, Louis Daens est pris en charge par la Kommandantur transféré au Havre le 5 août 1941, puis à Rouen le 28 août.

Il passe en jugement en septembre 1941 : condamné à deux ans d’emprisonnement, il est finalement remis aux autorités d’occupation et transféré le 23 octobre au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), où il est enregistré sous le matricule n° 1924, affecté au bâtiment A2, chambre 14, puis bât. A5, ch. 8.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Dès le 8 décembre 1941, Louis Daens figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Felkommandantur de Rouen.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Louis Daens est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45418. Sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Louis Daens se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Louis Daens est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Entre le 1er et le 5 janvier 1943, il est signalé au Revier de Birkenau, où il meurt le 9 février selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

En France, après la Libération, son décès est d’abord enregistré à la date du 15 octobre 1942.

Reconnu “Mort pour la France” (27/08/1947), Louis Daens est homologué comme “Déporté politique” (10-04-1963) ; le titre de “Déporté résistant” lui ayant été refusé. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 30-08-2007).

Son nom figure, parmi ceux d’autres déportés, sur le local CGT de Notre-Dame-de-Gravenchon, aujourd’hui transféré à Lillebonne, sous la formule suivante : « En hommage aux militants de la CGT, victimes du nazisme, morts pour leur engagement dans le combat pour la liberté – 1939/1945 ».

Son nom figure également sur le Monument “Souviens-toi”, rue des Martyrs de la Résistance à Bolbec, et une cellule du Parti communiste de cette ville porte son nom.

Son fils Louis, domicilié au Trait, fut emprisonné comme communiste, un autre a été résistant FFI. En 1977, sa fille fut conseillère municipale et adjointe au Maire de Lillebonne pendant douze ans.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] La Standard Oil Company de John D. Rockfeller (aujourd’hui fusionnée dans ExxonMobil Corporation) créera la marque Esso à partir de la prononciation phonétique de ses initiales (« S.O. »).

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 128, 375 et 400.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Seine-Maritime (2000), citant : témoignage de Robert Gaillard (45565) du Petit-Quevilly – Thèse de Stéphane Courtois – Attestations de Louis Eudier (45523), du Havre, et de Jules Le Troadec (45766) – Madame Piednoel, sa fille, a fourni de nombreux documents : lettres de son père (celle du 4 juillet 1942 annonce son départ de Compiègne) – Acte de décès – Questionnaire détaillé.
- Article du journal L’Avenir du Havre, 29 juin 1945.
- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 24, p. 13
- Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, listes d’arrestations de militants (51 w 427), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-56.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 203 (6195/1943).
- Daniel Piednoël, messages rectificatifs (05-2021).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-05-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.