…probablement au retour des camps. Droits réservés.

…probablement au retour des camps.
Droits réservés.

Roger, Charles, Albert, Collignon naît le 26 août 1914 au Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), fils d’Ernest, Charles Collignon, 26 ans, pointier (… qui fabrique des clous), et de Lucie Marie Crocq, 21 ans, son épouse, domiciliés au 89, rue Gustave-Brindeau, dans le quartier des magasins généraux.

Pendant plusieurs années, il est domicilié au 32, rue Louis-Blanc à Courbevoie [2] (Seine / Hauts-de-Seine – 92). Cependant, pendant deux ans, il s’installe au 9 rue Saint-Germain, « même localité », chez Madeleine Jeanne Esilda Thésard, née Huet le 30 juillet 1907 à Vernon (Eure), en instance de divorce, manutentionnaire.

Dans la nuit du 6 au 7 février 1935, aux abords de la place de la Concorde, Roger Collignon est appréhendé par la police parisienne pour sa participation à la manifestation « organisée à la suite d’un mot d’ordre lancé par les groupements révolutionnaire » (… selon un certain point de vue policier).

De la classe 1934, Roger Collignon est incorporé dans les équipages de la Flotte le 15 octobre 1935. Il sert sur le croiseur la Galissonnière du 16 novembre 1935 au 1er octobre 1936. Mais aussi sur les torpilleurs la Bourrasque et le Fougueux (où il est opérateur radio, utilisant le code morse) et le mouilleur de mines Pollux. Le 20 avril 1937, le sous-chef d’état-major de la 3e région militaire, à Toulon, écrit au préfet de police à Paris : « Le matelot mécanicien Collignon Roger […] est titulaire d’une permission de détente de 10 jours du 15/4/37 à passer à Courbevoie, 9 rue Saint-Germain (Seine). Je vous demande de bien vouloir faire exercer sur ce suspect (révolutionnaire) une surveillance spéciale et me communiquer les renseignements que vous pourriez recueillir. » Le 30 juin la direction des renseignements généraux transmet son rapport au préfet de police : « … pendant la durée de sa permission, [jusqu’] au 25 avril dernier, il n’a donné lieu à aucune remarque au point de vue politique ».

Au moment de son arrestation, Roger Collignon est domicilié au 16, rue Carle-Hebert à Courbevoie [2] (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Il est mécanicien-ajusteur sur les cellules d’avions dans l’usine des Établissements Bloch-Aviation (appartenant à Marcel Bloch/Dassault), intégrée à la SNCASO après la nationalisation des entreprises aéronautiques. Il a des responsabilités syndicales à la CGT.

En 1938, il adhère au Parti communiste, dans la cellule de son entreprise.

Le 3 juin 1939, à la mairie de Courbevoie, Roger Collignon épouse sa compagne, Madeleine Huet, alors contrôleuse d’usine, travaillant chez Mazda (piles), puis chez Ericsson (téléphones). Ils n’ont alors pas d‘enfant.

Mobilisé le 26 août 1939, il est réformé par la commission de Cherbourg (Manche) le 1er novembre suivant.

Sous l’Occupation, Roger Collignon est sans-emploi, inscrit au chômage.

Le 14 février 1941, Edmond Savenaud, militant d’Argenteuil et ancien brigadiste, ex-secrétaire de la région Paris-Ouest du PCF, est arrêté par des inspecteurs de la 1ère section des brigades spéciales des renseignements généraux de la préfecture de police. Sur lui, les policiers trouvent plusieurs documents (une liste ?) permettant d’engager de nouvelles enquêtes et filatures…

Le 17 février, vers 20 heures, Pierre Demerlé et autres deux hommes de Courbevoie sont arrêtés, dont Marius P., ajusteur de 41 ans habitant rue de Bezons. Sur ce dernier, les policiers trouvent trois imprimés clandestins, puis, lors de la perquisition de son domicile, sur une armoire dans la chambre à coucher, deux brochures récentes. Les trois hommes sont conduits à la préfecture de police et mis à la disposition du commissaire des R.G., André Cougoule.

Interrogé « sur les faits », Marius P. déclarera : « Je n’ai jamais été inscrit au Parti communiste, ni à un organisme s’y rattachant et je n’ai jamais fait de propagande en faveur du Parti, ni pendant sa légalité, ni depuis sa dissolution. Bien des fois, j’ai eu l’occasion de lire des tracts que je trouvais, soit sur la voie publique, soit à l’atelier. Depuis ma démobilisation, j’ai eu entre les mains peut-être une dizaine de tracts ou brochures. Je les ai lus pour ma documentation personnelle et, après lecture, je les ai détruits. (Demande) Pourquoi avez-vous conservé chez vous pendant un mois les brochures qui ont été trouvées sur une armoire et pendant une dizaine de jours les tracts dont vous étiez porteur ? (Réponse) Je n’avais pas encore eu le temps de les lire. J’ai demandé à un camarade dont je ne connais que le prénom, Roger, de me prêter des brochures, un jour que je l’avais rencontré au marché de Courbevoie. J’ai trouvé dans la rue, à Suresnes, la “Lettre à un travailleur radical”, et j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres les deux exemplaires imprimés de L’Humanité de décembre 1940. »

Le lendemain, 18 février, à 10 heures, c’est au tour de Roger Collignon d’être arrêté à son domicile. Vers midi, deux autres suspects sont interpellés et conduits dans les locaux des RG.

Lors de son interrogatoire, Roger Collignon déclare : « […] Au moment de la dissolution [du PCF], j’étais mobilisé, et ensuite j’ai été trop occupé par la recherche de travail pour m’occuper de nouveau de politique. Il y a environ trois semaines, allant demander du travail chez Blériot, à Suresnes, j’ai été interpellé à l’entrée de l’usine par un homme qui m’a proposé de me vendre deux brochures n°1 et 2 “Vers la réalisation du Communisme”, au prix de 2 francs pièce. J’ai accepté, j’ai payé les brochures et je les ai emportées avec l’intention de les lire plus tard. Il y a une quinzaine de jours, j’ai rencontré P. au marché de Courbevoie. Avec l’espoir de lui revendre les brochures, je lui ai expliqué qu’elles étaient intéressantes et il m’a demandé de bien vouloir les lui céder. J’ai accepté et j’ai récupéré mes 4 francs. C’est la première fois depuis ma démobilisation que j’ai l’occasion d’avoir en main des documents de propagande communiste. Je les ai revendus à P. surtout avec l’espoir de retrouver les 4 francs que j’avais dû débourser. »

Le même jour, à la suite des interrogatoires, les cinq hommes – dont Pierre Demerlé et Roger Collignon – sont inculpés d’infraction aux articles 1 et 3 du décret-loi du 26 septembre 1939, « attendu que [leur activité] avait pour but la diffusion des mots d’ordres de la IIIe internationale communiste ou d’organismes s’y rattachant, par la détention en vue de la diffusion ou de la distribution de tracts et brochures d‘inspiration communiste ». Ils sont conduits au dépôt de la préfecture, à la disposition du procureur de la République. Le sixième est relaxé faute de preuve.

Le 19 février, ils sont écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 16 mai, après trois mois de détention, Roger Collignon est parmi les onze hommes – dont également Pierre Demerlé – qui comparaissent devant la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Roger Collignon est relaxé le jour même, faute de charges suffisantes. Cependant, il est aussitôt conduit à la préfecture de police, à proximité du Palais de Justice, où – afin d’éviter un internement administratif immédiat -, il doit signer « une déclaration sur l’honneur selon laquelle il [désapprouve] formellement l’action communiste sous toutes ses formes ».

Le 28 avril 1942, Roger Collignon est de nouveau arrêté par des policiers français et allemands, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine et visant majoritairement des militants du Parti communiste. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Collignon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Collignon est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45386 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Roger Collignon est dans la moitié du convoi qui reste dans ce sous-camp.
Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 survivants sur 600 !).
Il est affecté à la DAW (Deutsche AusrüstungsWerke, société SS, usine d’armement où existe un Kommando de fabrication de caisses). Il rejoint alors le groupe français de résistance créé par certains “45000” avec l’aide de résistants autrichiens appartenant au Comité international de résistance du camp.
En juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz (essentiellement les quelques 135 à 140 survivants des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.
À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence -, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

A la fin de l’été 1944, Roger Collignon est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres rescapés du convoi sont transférés vers d’autres camps.

En mars 1944, il est transféré à Soznowicz, Kommando de Monowitz, avec Robert Chazine.

Évacués ensemble au KL [4] Mauthausen en janvier 1945, R. Chazine le perd de vue en avril et pense qu’il fut emmené à Gusen, Kommando de Mauthausen. « Au retour, témoigne-t-il, Roger Collignon était très affaibli ».

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

C’est à Mauthausen que Roger Collignon est libéré le 5 mai.

Au retour, il a deux enfants : Jean-Pierre, né en 1948, et Martine, née en 1953. Afin de les préserver, il ne leur parle jamais de sa déportation et des camps.

En 1955, il est homologué comme “Déporté politique”.

Au début de l’été 1970, il commence à souffrir d’hallucinations : les fantômes de ses camarades disparus viennent le hanter et il revit les épreuves traversées.

Roger Collignon décède à Senlis le 17 septembre 1970, à 56 ans, d’un cancer généralisé.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Courbevoie : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France  : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Témoignage de Martine Milon, sa fille (novembre 2006).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 382 et 399.
- Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 20-49228) ; dossier de la BS1 des RG, “Affaire Demerle – J. – P. – Collignon – Q. – B.” (GB 53-147) ; dossier individuel de Pierre Demerle aux RG (77 w 114-12034) ; dossier individuel de Pierre Demerle au cabinet du préfet (1 W 832-35369).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national et dossier statut).
- Carnets de Roger Abada sur lesquels figurent les membres du groupe de résistance.
- Témoignage de Liliane Guérin qui a connu Roger Collignon avant son arrestation.
- Témoignage d’Émile Bouchacourt, de Suresnes, rescapé du convoi (45277).
- Lettre de Robert Chazine à Cl. Cardon-Hamet à la suite de son article publié dans Le Patriote Résistant en janvier 1991.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-11-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.