Fernand Charlot. © Madame Longuet, sa sœur.

Fernand Charlot.
© Simone Longuet, sa nièce.

Fernand Courty naît le 22 octobre 1896 à Cramant, 9 km au sud-est d’Épernay (Marne), fils de Rosalie Courty, 24 ans, vigneronne. Pour son enregistrement à l’état civil, le nouveau-né est présenté par une vigneronne de 64 ans, en présence de deux témoins vignerons. L’enfant est légitimé par Alfred Charlot, alors 25 ans, vigneron, lors de son mariage avec la mère de celui-ci en la mairie de Cramant le 27 août 1898 ; les quatre témoins sont vignerons. Sa mère, avait déjà eu, d’un précédent mariage avec Constant Dumangin, vigneron, un premier fils, Lucien Constant, né le 19 août 1892 à Cramant. Mais le père de l’enfant décédait à leur domicile un an et demi plus tard, âgé de seulement 27 ans.
Quand naît leur frère, Émilien Fernand, le 5 mai 1899 à la maternité de l’hôpital Auban-Moët à Épernay, la famille est installée au 13, rue des Jancelins, dans cette ville. Sa sœur Lucienne Fernande naît le 10 août 1900, alors que la famille est domiciliée ruelle Pétret. Deux ans plus tard, le 28 mai 1902, naît Lucie Albertine ; Amédée naît en 1904 et Simone en 1912.

En 1913, la famille est installée au 11, rue Basse des Semonts à Épernay. Le fils aîné, Lucien Dumangin, est alors caviste.

Le 10 octobre 1913, celui-ci est incorporé au 106e régiment d’infanterie, en garnison à Châlons-sur-Marne, afin d’y accomplir son service militaire. Il est encore sous les drapeaux quand la guerre éclate. Dès le 1er août 1914, le régiment embarque en train pour s’approcher du front, dans le secteur de Saint-Benoît. Le baptême du feu a lieu le 22 août vers Cons-la-Granville, puis c’est la retraite. Le 27 août, le jeune sous-lieutenant de réserve Maurice Genevoix rejoint la 7e compagnie au sein du régiment. Le 10 septembre 1914, lors de la bataille de la Marne, au sud de Verdun, Lucien Dumangin est d’abord porté disparu à Rembercourt-aux-Pots (Meuse) à la suite d’une violente attaque allemande dans la nuit et sous la pluie, puis il est déclaré inhumé près de la ferme de la Vaux-Marie « du 15 au 17 septembre » (sic), probablement dans une fosse commune ; son décès (« tué à l’ennemi ») sera acté le 17 décembre par un avis officiel ministériel, puis par un jugement du tribunal civil d’Épernay du 1er février 1917.

Pendant un temps, Fernand Charlot, qui habite encore chez ses parents, travaille comme camionneur (?).

Le 12 avril 1915, c’est à son tour d’être incorporé comme soldat de 2e classe au 94e régiment d’infanterie. Il part aux armées le 5 décembre. Le 7 janvier 1916, il est évacué malade. Il rejoint les armées le 5 février suivant. Le 25 septembre 1916, lors de la bataille de la Somme, le 32e corps d’armée reçoit mission de s’emparer du village détruit de Rancourt, point stratégique sur la ligne de ravitaillement de l’armée allemande. Lors de cette offensive, qui occasionne de lourdes pertes humaines (450 tués et 500 blessés parmi les hommes de troupe du régiment), Fernand Charlot est blessé par balle au poignet gauche. Le 9 février, il est cité à l’ordre de la 5e brigade : « En campagne depuis le début, a toujours montré un grand courage au cours des derniers combats. Grâce à son sang-froid, a assuré le ravitaillement de sa compagnie ». Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

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Après avoir été soigné, il rentre au dépôt le 2 novembre 1916. Le 6 décembre, il passe au 84e R.I. Le 20 décembre, il est envoyé en renfort de l’Armée d’Orient et embarque à Marseille pour rejoindre son nouveau régiment d’affectation, déjà présent en Serbie face à l’armée Bulgare, dans les tranchées sous le piton fortifié du Skra di Legen (1097 m).

© 84eri.canalblog.com

© 84eri.canalblog.com

Le 1er octobre 1917, Fernand Charlot passe au 45e R.I., qui occupe le même secteur. Le 7 novembre, il est évacué malade. Le 26 décembre, il est rapatrié sur le Lafayette, ancien paquebot transatlantique transformé en navire-hôpital. Le 1er janvier 1918, il est débarqué à Hyères pour y être hospitalisé. Il rentre au corps dans la zone des armées le 25 mars 1918. Le lendemain, il est de nouveau évacué malade. Il rentre au dépôt le 19 juin. Le 25 janvier 1919, il passe au 219e R.I. Le 25 août suivant, il est envoyé en congé illimité de démobilisation et se retire à Épernay. À compter du 30 septembre 1920, l’armée le classera affecté spécial à la 5e section de chemins de fer de campagne.

Son jeune frère Émilien, mobilisé le 7 avril 1918 comme soldat de 2e classe au 2e bataillon de chasseurs à pied, est décédé le 7 juillet 1919 à l’hôpital complémentaire n° 8 de Troyes (Aube), âgé de 20 ans, des « suites d’une maladie contractée en service commandé ».

Début septembre 1919, Fernand Charlot est hébergé au 20, rue Clabaut à Amiens (Somme), dans la famille de son futur beau-père, habitant une petite maison sur rue.

Le couple emménage bientôt dans une petite maison donnant sur le trottoir du 30, rue Sire-Bernard à Amiens.

La maison du 30, rue Sire-Bernard à Amiens. © Marcel Longuet.

La maison du 30, rue Sire-Bernard à Amiens.
© Stéphane Longuet.

Le 9 mars 1920, Fernand Charlot est embauché comme employé de chemin de fer à la Compagnie du Nord, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].

Le 22 septembre 1921, à leur domicile, Lucienne Charlot met au monde leur fils Roland.

La famille Charlot-Domart à Épernay : au centre, André Charlot ; à droite, sa sœur Lucienne Domart, puis son épouse Lucie Charlot ; devant, à gauche, son fils Roland Charlot et Simone Despezelle. © Collection Simone Despezelle et Marcel Longuet, son fils.     La famille Charlot-Domart à Épernay vers 1930. Derrière (les adultes) de gauche à droite : sa sœur Lucienne Charlot, André Charlot, son épouse, Lucienne Charlot née Domart, puis son autre sœur,Lucie Albertine Charlot.     Devant, à gauche, son fils Roland Charlot et sa nièce Simone Despezelle. © Collection Simone Despezelle-Longuet et Marcel Longuet, son fils.

La famille Charlot-Domart à Épernay vers 1930. Derrière (les adultes) de gauche à droite :
sa sœur Lucienne Fernande Charlot ; Fernand Charlot ; son épouse, Lucienne Charlot née Domart ; puis son autre sœur, Lucie Albertine Charlot, épouse Despezelle.
Devant, à gauche, son fils Roland Charlot et sa nièce Simone Despezelle. © Collection Simone Despezelle-Longuet et Marcel Longuet, son fils.

Il est alors mécanicien ou chauffeur de route au dépôt SNCF d’Amiens.

Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920. Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920. Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

En 1931 et 1932, il est délégué du personnel, élu sur une liste de la CGTU.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

En octobre 1933, la famille a emménagé dans une petite maison sur donnant sur le trottoir du 11, rue de la Madeleine à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), derrière les voies de la gare de triage.

Le 28 août 1934, son fils Roland, âgé de presque 13 ans, se noie lors d’une partie de pêche avec lui. L’état civil enregistre qu’il est décédé au 109, rue Saint-Leu à Amiens, près d’un canal. Le garçon est inhumé au cimetière Saint-Acheul ancien d’Amiens.

Roland Charlot. Médaillon de faïence sur la tombe de la famille Charlot-Domart. © Stéphane Longuet.

Roland Charlot.
Médaillon de faïence sur la tombe
de la famille Charlot-Domart.
© Stéphane Longuet.

Jusqu’en 1936, Fernand Charlot est membre du Parti socialiste.

Cette année-là et jusqu’au moment de son arrestation, le couple est revenu habiter au 30, rue Sire-Bernard à Amiens.

Une machine Nord, de type locomotive-tender de la série  no 2231 à 2305. Carte postale, source Wikipedia.

Une machine Nord, de type locomotive-tender de la série no 2231 à 2305. Carte postale, source Wikipedia.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1942 – à la veille de la fête du Travail -, profitant du confinement des ouvriers lors d’une alerte pour bombardement, la Résistance réalise un double sabotage au dépôt des machines SNCF d’Amiens : d’un côté, une locomotive – la machine 2270 – est lancée vers la fosse du chemin de roulement de la rotonde, y bloquant son essieu avant et rendant impossible la sortie des machines ; de l’autre, on a fait exploser la chaudière de la grue de relevage (32 tonnes) utilisée lors des accidents ferroviaires. Autour de la grue et dans différents ateliers et dépendances, de nombreux tracts sont éparpillés : « 1er mai 1942. Contre les oppresseurs, contre la politique de fascisme, de trahison et de misère du gouvernement de traîtres de Vichy, en souvenir de nos héros Jean Catelas et Sémard, morts pour que la France vive, ne travaillez pas de 9 heures à 9 heures 15 ».

Ce même 1er mai, à 6 h 45 du matin, un engin explosif (mine antichar), dont le dispositif de mise à feu n’a pas fonctionné, est découvert sous un rail de la voie droite Tergnier-Amiens, au kilomètre 3.800, sur la commune de Longueau, à deux mètres du pont métallique dit “Pont Marchand”, à l’endroit où la ligne, perchée sur un talus de 4 mètres de haut, ferme une grande courbe. La circulation n’est pas interrompue, car pouvant s’effectuer par des voies de garage. Un service spécialisé des autorités allemandes procèdera à l’enlèvement de l’engin dans l’après-midi (et mènera l’enquête), permettant la reprise immédiate d’une circulation normale.

Dès la constatation du double sabotage au dépôt d’Amiens, les services de police de l’armée d’occupation (Geheime Feldpolizei et Feldgendarmerie), le commissaire de police spéciale des Renseignements généraux de la Somme et ses inspecteurs, le commissaire central de la police locale, le chef de la Sûreté et le commandant de la section de gendarmerie se rendent sur place pour constater les dégâts et commencer l’enquête, bientôt assistés par un inspecteur de police mobile judiciaire venu de Paris. Mais les autorités d’occupation gardent une main totale sur les suites de l’affaire…

Les 1er, 2 et 3 mai, la Feldgendarmerie procède déjà à l’arrestation de onze agents de la SNCF.

Le 4 mai, le chef du 3e arrondissement de la Traction à la SNCF d’Amiens écrit au préfet de la Somme pour lui faire savoir que « pour la plupart, ces agents semblent avoir été tirés au sort parmi tous les agents du dépôt d’Amiens, sans considération du du service assuré par les intéressés et de leurs opinions politiques présumées. » Le seul cheminot chez qui ont été trouvés quelques tracts n’exerçait « aucune activité communiste à l’intérieur du service et seuls de légers soupçons non confirmés pesaient sur lui avant la guerre. » Le cadre ajoute : « La SNCF n’a jamais manqué de de signaler aux autorités compétentes les agents qui, à sa connaissance, manifestaient une activité communiste et de nombreuses arrestations ont déjà été opérées grâce aux renseignements fournis par elle. Mais, actuellement, aucune activité communiste ne se manifeste au grand jour dans les ateliers et dépôts, et il n‘est pas possible de donner un seul nom. […] Les représailles exagérées et mal à propos risqueraient de décourager complètement le personnel, soumis déjà à toutes sortes de privations et de difficultés, et pourraient avoir ainsi indirectement des répercussions fâcheuses sur la bonne marche du service. »

Le 6 mai, le préfet de la Somme écrit au chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens pour disculper la plupart des cheminots maintenus en état d’arrestation et lui demander de prononcer leur mise en liberté. Deux jours plus tard, 8 mai, le Generalmajor répond : « L’arrestation des 10 employés de chemin de fer français n’a pas été ordonnée par moi, mais a eu lieu sur l’ordre d’un service supérieur. Je n’ai pas la possibilité d’intervenir dans une enquête en cours, mais je vous fais remarquer que le ou les coupables semblent être des cheminots, car la mise en marche de la locomotive qui a été introduite dans la fosse de la plaque tournante ne peut avoir été le fait que d’un technicien. »

Le 8 mai 1942, Fernand Charlot est arrêté par la police allemande, selon des critères propres à celle-ci.

Il est écroué à la Maison d’arrêt d’Amiens « à la disposition des autorités allemandes » et fait partie des cheminots du dépôt SNCF gardés en représailles.

Le 11 mai, le chef du 3e arrondissement de la Traction écrit de nouveau au préfet : « … les autorités allemandes ont fini par accéder à mes demandes et ont libéré progressivement, depuis quelques jours, les agents de mon service arrêtés au hasard comme otages, à mesure que, par le développement de leur enquête, ils étaient amenées à arrêter d’autres agents considérés par eux comme communistes ou ayant pu prendre part aux incidents survenus au cours de la nuits du 30 avril au 1er mai. Actuellement, tous les agents considérés par eux comme sûrement innocents sont libérés. N’ayant pas été tenu au courant de l’enquête et n’ayant fourni aucun renseignement aux autorités allemandes, je ne sais pas exactement dans quelle conditions ces autorités ont été amenées à prendre leur décision au sujet des agents actuellement arrêtés. C’est pourquoi je viens vous prier de vouloir bien prescrire une enquête par la police française à l’effet de savoir si ces derniers agents sont vraiment communistes ou s’ils sont simplement victimes de dénonciations calomnieuses. Je crois qu’il serait prudent d’attendre le résultat de cette enquête avant d’entreprendre de nouvelles démarches auprès des autorités allemandes. Veuillez trouver ci-joints les renseignements que nous possédons sur chacun des douze agents de mon service actuellement incarcérés… »

Dans une notice individuelle réalisée après coup par la police de Sûreté d’Amiens, il est dit de Fernand Charlot : « N’est pas présenté comme un sympathisant communiste ; est toujours resté à l’écart des manifestations publiques ».

Le 15 mai, le commissaire principal d’Amiens transmet un rapport d’étape à plusieurs autorités françaises et allemandes : « À ce jour, la découverte du ou des auteurs de ces attentats n’a pu être obtenue, les recherches limitées dans le milieu cheminot, notamment parmi les ex-militants du parti communiste, n’ont amené que des arrestations préventives, sans qu’aucun élément concret ne permette d’arriver à un résultat positif. »  Il liste alors 14 agents SNCF mis en état d’arrestation, parmi lesquels Fernand Charlot (8e).
Le 27 mai, l’épouse de Fernand Charlot écrit au préfet de la Somme pour lui demander d’intervenir en faveur de la libération de son mari « ou même, au besoin, faire procéder à un complément d’enquête », puisque – justifie-t-elle –  celui-ci n’était pas en service la nuit du sabotage.
 Le 10 juin, ils sont dix cheminots (dont neuf futurs “45000”) [1] à être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). La police française n’apprend ce transfert que de manière indirecte…

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre mai et fin juin 1942, Fernand Charlot est définitivement sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Fernand Charlot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45356 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Fernand Charlot est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Pendant un temps, il est admis au Block 20 – celui des maladies contagieuses – de l’hôpital des détenus du camp-souche.

Il meurt à Auschwitz le 12 août 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp ; un mois après l’arrivée de son convoi .

Le 21 février 1946, Lucienne Charlot complète et signe un formulaire du ministère des prisonniers, déportés et réfugiés afin d’obtenir un secours (prime ou pension). Comme motif de la déportation de son mari, elle indique : « Pris comme otage à la suite d’un sabotage commis au dépôt des machines d’Amiens SNCF dans la nuit du 30.4 au 1er.5.1942 ». Dans la rubrique concernant les lieux d’internement ou de déportation, elle écrit, 3e camp « supposons Auschwitz à dater du 6.7.42 », et « sans nouvelle depuis sa déportation ».

Le 29 avril suivant, elle complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ». Parmi les motifs de déportation proposés, elle déclare son mari comme « déporté politique, arrêté pour sabotage de la gare de la SNCF le 2 mai 1942 ».

Le 7 août 1946, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Fernand Charlot « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (probablement le témoignage d’un rescapé non identifié qui n’a pas été témoin de sa disparition) et en fixant la date au « 31 décembre 1942 à Birkenau (Pologne) », pour préciser, au jour près dans le calendrier, une formulation qui a sans doute été plutôt « … vers la fin de l’année ».

Le 10 juin 1948, le secrétaire d’État aux forces armées-guerre établit un certificat d’appartenance de Fernand Charlot à la Résistance intérieure française (R.I.F.), comme appartenant à l’organisation de résistance « isolé SNCF » (sic), avec le grade fictif d’adjudant attribué « par la Commission nationale en vue de la liquidation de ses droits ».

Le 10 août 1948, Lucienne Charlot remplit un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Dans le motif de l’arrestation, elle ajoute « … pris comme otage ».

Dans un dossier de demande d’homologation de la Résistance intérieure française pour un déporté décédé, rempli au premier semestre 1949, Lucienne Charlot complète les rubriques “Date d’entrée dans la Résistance” par « août 1941 », “Quel groupement ? » par « Front National [3] », et “Compte rendu chronologique de l’activité résistante” par « Propagande anti-allemande, distribution de tracts et journaux clandestins ; arrêté à la suite d’un sabotage à la SNCF ».

Le 3 janvier 1950, François Viaud, d’Amiens, rescapé du convoi, signe une attestation par laquelle il témoigne que Fernand Charlot est parti avec lui en déportation au camp d’Auschwitz, suite au sabotage de « la grue de déraillement des chemins de fer ».

Deux jours plus tard, le 5 janvier, Lucienne Charlot – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. À cette date, Rosalie Charlot, mère de Fernand, vit toujours au 11, rue des Semonts à Épernay. Au cours de l’année 1953, la Commission départementale des internés et déportés de la résistance (DIR) rend un avis défavorable au titre de déporté résistant (DR), le directeur interdépartemental ajoutant ensuite : « même observation que pour Allou Roger (otage) ». De manière alors automatique (instruction n° 1110 SDF du 1er avril 1953), le dossier est soumis à l’avis de la Commission départementale de contrôle des déportés politiques qui prononce un avis favorable le 22 décembre. Le 4 janvier 1954, le ministère établi l’acte portant la décision de refus du titre de DR (« Il résulte du dossier que l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 & R.287 du Code des pensions »). Le 20 janvier suivant, l’administration envoie la carte de Déporté politique n° 1102.08672 à Lucienne Charlot.

Fin 1955, Lucienne Chabot effectue une démarche afin d’obtenir au nom de son mari la carte de Combattant volontaire de la Résistance. Le 21 février 1956, l’office départemental du ministère des ACVG l’invite à fournir des pièces justificatives complémentaires. L’année suivante, le 27 mars 1957, la même administration lui écrit pour lui signifier que les justificatifs reçus ne peuvent être pris en considération, en lui donnant un délai de deux mois supplémentaires pour en produire d’autres. Mais, le 23 avril suivant, Lucienne Charlot renvoie ce courrier avec la mention « Je ne donne pas suite. »

Lucienne Charlot décède à Amiens le 26 novembre 1981.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Fernand Charlot (J.O. du 14-11-1987).

À la gare d’Amiens. © Marcel Longuet.

À la gare d’Amiens. © Marcel Longuet.

© Marcel Longuet.

© Marcel Longuet.

Stèle du dépot SNCF d’Amiens au 39 rue Riolan. © Stéphane Longuet.

Stèle du dépot SNCF d’Amiens au 39 rue Riolan.
© Stéphane Longuet.

Lucienne Charlot décède à Amiens le 26 novembre 1981.

Tombe de la famille Charlot-Dromard. © Marcel Longuet.

Tombe de la famille Charlot-Domard : « Ici devrait reposer Fernand Charlot… » © Stéphane Longuet.

Notes :

[1] La SNCF  : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Les neuf cheminots, futurs “45000”  : Roger Allou et Clovis Dehorter, de Camon ; Émile Poyen, de Longeau ; Paul Baheu, Fernand Boulanger, Fernand Charlot, Albert Morin, Georges Poiret et François Viaud, d’Amiens (ce dernier étant le seul rescapé des “45000” d’Amiens, Camon et Longueau.

Le dixième cheminot interné à Compiègne est Joseph Bourrel, mécanicien de manœuvre, domicilié au 102 rue Richard-de-Fournival à Amiens. Son sort en détention reste à préciser (il n’est pas déporté, selon le mémorial FMD)…

Un onzième cheminot reste à la prison d’Amiens, Jean Mayer, ouvrier au dépôt, domicilié au 36 rue Capperonnier à Amiens, arrêté la nuit même de l’attentat. Il est probablement condamné par un tribunal militaire allemand. Le 26 avril 1943, il est transféré dans une prison du Reich à Fribourg-en-Brisgau. Il est libéré à Creussen le 11 mai 1945.

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Le nom et le matricule de Fernand Charlot figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 398.
- Archives départementales de la Marne (AD 51), site internet, archives en ligne : registre des naissances de Cramant, année 1896, acte n° 25 (vues 59 et 61/83) ; registre des mariages de Cramant (2 E 220/11), acte n° 2 (vues 40-41/69) ; registres matricules du recrutement militaire, bureau de Châlons-sur-Marne, classe 1916, matr. 1606 (1 R 1421, vues 1147-1151/1932).
- Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w592).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 165 (19874/1942).
- Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110 LM 0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 360-361.
- Marcel Longuet, son petit-neveu, fils de Simone Despezelle-Longuet, sa nièce, et Stéphane Longuet, son arrière-petit-neveu : envoi de photos et de documents RIF, DPMA et familiaux (messages 04-2020).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-06-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.