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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

René, Louis, Bordy naît le 3 septembre 1901 à Pontarlier (Doubs – 25), chez ses parents, François Émile Bordy, 25 ans, employé au chemin de fer (Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée – PLM), et Jeanne Léa Pagnot, 24 ans, son épouse. Les témoins pour la présentation du nouveau-né à l’état civil sont deux autres employés aux chemins de fer, dont son oncle Joseph Aimé Bordy, 29 ans.

Fin août 1909, son père déclare habiter rue de l’église à Mandeure (25). Il décède chez lui le 16 janvier 1910 ; son propre père, Charles Louis Bordy, 67 ans, retraité des chemins de fer, déclare son décès à l’état civil.

Pendant un temps, René Bordy habite à Pont-de-Roide avec sa mère. Il commence à travailler comme mécanicien sur fer.

Le 15 janvier 1920, à la mairie de Belfort (bureau de recrutement), il s’engage volontairement pour quatre ans comme soldat de 2e classe au titre du 158e régiment d’infanterie. Le 4 décembre suivant, il passe au 2e zouaves, rejoignant le « Maroc en guerre ». Le 1er avril 1921, il passe au 65e régiment de tirailleurs marocains. À partir du 5 avril 1922, il est affecté à l’occupation des Pays Rhénans. Le 1er décembre 1922, il passe au 64e R.T.M. Le 15 janvier 1923, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite et se retire à Pont-de-Roide.

Au printemps 1926, il habite au 73 rue de Besançon à Pont-de-Roide (25), sur le Doubs, 18 km au sud de Montbéliard, vivant chez son beau-père, Alphonse Viénot, cafetier, né en 1880 à Belfort, et sa mère, Jeanne. Il est mécanicien chez Mercier-Gaudumet.

Pont-de-Roide, vue panoramique. Carte postale des années 1930 (?). Collection Mémoire Vive.

Pont-de-Roide et le Doubs, vue panoramique. Carte postale des années 1930 (?).
Collection Mémoire Vive.

Le 18 février 1927, il se marie avec Berthe Séraphine Cotin, née Lavaux le 7 novembre 1905 à Gondenans-les-Moulins (25).

Au printemps 1931, il est domicilié au 169 rue de Montbéliard. Il est outilleur aux établissements Gaudumet, où son épouse est ouvrière.

Le 26 août 1934, René et Berthe Bordy ont un fils, René, Jean, Louis, né à Pont-de-Roide.

Au printemps 1936, la famille Bordy habite rue de l’Ancienne-Poste. René est toujours employé chez Gaudumet, comme mécanicien.

Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste le présente comme candidat au Conseil général du département dans la circonscription de Pont-de-Roide.

Début 1938, l’armée l’affecte au centre mobilisateur de chars de combat. Le 24 septembre suivant, lors de la crise des Sudètes, il est rappelé à l’activité et affecté au 77e régiment régional. Le 7 octobre, après la signature des accords de Munich, il est renvoyé dans ses foyers.

Début décembre 1938, il déclare habiter au 10, impasse du Progrès, à Paris 20e.

En mars 1939, il est revenu habiter rue de l’Ancienne-Poste à Pont-de-Roide.

Le 2 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire et affecté au centre mobilisateur d’infanterie n° 72. Le 11 juin 1940, il passe au 7e bataillon d’ouvriers d’artillerie. Le 17 septembre suivant, il est démobilisé par le centre du Fossat, se retirant à Lezet (Ariège).

À une date restant à préciser, il est arrêté avec Roger Berne [1] et Paul Feuvrier, de Pont-de-Roide, pour « avoir fait circulé un numéro clandestin du journal “L’Humanité” et avoir détenu des tracts communistes ainsi qu’un écrit intitulé “Le crime d’avoir raison ». Tous trois sont inculpés d’infraction au décret du 29 septembre 1939 « portant dissolution du parti communiste » et probablement écroués en détention préventive (à vérifier…).

Le 28 février 1941, le Tribunal correctionnel de Montbéliard condamne René Bordy à deux mois de prison, Roger Berne à trois mois et relaxe Paul Feuvrier. Mais le substitut de Montbéliard, estimant les condamnations insuffisantes, interjette appel le 1er mars « à l’égard des trois prévenus ».

La suite des démêlés judiciaires et de la détention de René Bordy restent à préciser, mais il est finalement remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, René Bordy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45275 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, René Bordy est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Les 15 avril et 15 juin 1943, René Bordy est inscrit sur la liste du Kommando de la serrurerie (Schlosserei).

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, René Bordy est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues -
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, René Bordy est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert (selon Claudine Cardon-Hamet).

Le 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transférés – dans un wagon de voyageurs ! – au KL [2] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw (matricule n° 40976).

Le 10 février 1945, René Bordy est parmi les dix-huit “45000” intégrés dans une colonne de détenus évacués – quatre jours en wagons découverts – à Hersbrück, Kommando du KL Flossenburg (matricule n° 84332).

René Bordy est admis à l’infirmerie du camp où il meurt le 28 mars 1945 (l’état civil français indique le 3 mars).

Le 8 avril 1946, René Aondetto écrit de Toulon à Madame Bordy pour lui raconter dans quelles circonstances il a perdu de vue son compagnon lors d’un transfert : « Nous sommes restés ensemble depuis le premier jour à Auschwitz jusqu’au transport d’évacuation de Gross-Rosen, en février 1945. (…) Là, un incident banal nous a séparés. Un avion survolait le camp, les lumières furent éteintes et nous nous sommes perdus. Le lendemain, dans la nuit, nous partîmes par le train et je me trouvais complètement séparé du groupe des Français. Comme par la suite, le convoi fut divisé par tronçons et les wagons attelés ou dételés pour différentes destinations, nous ne nous retrouvâmes pas à l’arrivée. (…) Que serait-il advenu si nous étions restés ensemble ? Car, en certains moments, il valait mieux être à deux pour résister. »

Le nom de René Bordy est inscrit sur le Monument aux morts de Pont-de-Roide.

Notes :

[1] Roger Berne, né le 21 août 1900 à Pontarlier (25), domicilié rue de Besançon à Pont-de-Roide, est transféré au camp allemand du Fort de Romainville, commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis) à une date restant à préciser et fusillé par les Allemands le 15 décembre 1941, parmi cinquante otages de représailles, au Fort du Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 312, 350 et 351, 363 et 396.
- Archives départementales du Doubs, site internet, archives en ligne : tables décennales, registres de recensement.
- Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14110 du vendredi 6 août 1937, page 4, “douzième liste…”.
- Archives nationales : correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes (BB18 7043).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé dans les archives (01-2009).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 428 358)).
- Site Mémorial GenWeb, 25 – Doubs, Pont-de-Roide, relevé de Gilbert (5-2008).
- Concernant Roger Berne : Serge Klarsfed, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, page 43.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 17-04-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.