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Lucien Ducastel naît le 28 août 1920 à Darnétal (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), fils de Lucien, Louis, Hippolyte, Ducastel, 24 ans, journalier chez Lozai à Rouen, et de Blanche Émilienne Séhet, 21 ans, dévideuse chez Lavoisier, domiciliés au 87 rue de la Chaîne.

Darnétal, la mairie dans les années 1900. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Darnétal, la mairie dans les années 1900.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Fin août 1923, la famille loge au 19, rue de la Colombe au Petit-Quevilly, à l’ouest de Rouen (76), dans la boucle de la Seine, rive gauche.

En juillet 1924, le père de famille déclare habiter au 111, rue des Chantiers, à Versailles (Seine-et-Oise / Yvelines).

En juin 1929, Lucien Ducastel père déclare habiter au 91, rue Thiers au Petit-Quevilly.

À partir d’avril 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Lucien Ducastel fils habite avec ses parents au 73, rue Émile-Zola au Petit-Quevilly, et travaille dans les travaux Publics. Il est célibataire (il a 21 ans au moment de son arrestation…).

Membre des Jeunesses Communistes, Lucien Ducastel diffuse leur journal, L’Avant-Garde. À partir de 1936, il est inscrit au Parti communiste.

Sous l’occupation, il participe à des actions patriotiques : distribution de tracts anti-allemands, manifestations. Il hisse un drapeau tricolore sur le toit de la caserne Tallandier, au Petit-Quevilly, une ancienne filature de lin et de chanvre (La Foudre) transformée en caserne après la faillite des propriétaires, en 1932.

Petit-Quevilly. Entrée de la filature dite La Foudre dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Petit-Quevilly. Entrée de la filature dite La Foudre dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 21 octobre 1941 à 1 heure du matin, à la suite d’une distribution de tracts, il est arrêté à son domicile lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue pour laquelle les polices française et allemande ont collaboré [2]

Parmi les dizaines de patriotes arrêtés, Lucien Ducastel connait déjà six autres militants de Grand ou de Petit-Quevilly qui partiront avec lui dans le convoi du 6 juillet 1942 : André Bréançon, Robert Gaillard, Charles Le Gac, Adrien Gentil, Louis Jouvin, Adrien Fontaine et Hilaire Castelli.

Lucien Ducastel est incarcéré à la caserne Hatry, place d’Amiens à Rouen, le temps des interrogatoires, soit environ une semaine.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 28 ou le 30 octobre 1941, avec ces mêmes compagnons, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.Le 8 juillet 1942, Lucien Ducastel est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45491 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Lucien Ducastel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est affecté dans les Kommandos les plus difficiles (terrasse-canal),

Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 sur 600 !). Les conditions de survie étaient si difficiles à Birkenau que la vie à Auschwitz-I, pourtant cruelle, leur semble beaucoup plus supportable.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz, essentiellement des “45000”, reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Lucien Ducastel est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Ceux-ci sont exemptés de travail et d’appel extérieur, mais témoins des exécutions massives de résistants, d’otages et de détenus dans la cour mitoyenne.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur des femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur
des femmes détenues – et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Pendant ce passage au Block 11, Lucien Ducastel subit l’une des sanctions les plus dures : il est condamné à dix jours de Stehen Bunker (ou Stehbunker ou Stehzelle) et dix jours de Kommando de discipline parce que « porteur d’un couteau sabre ». Il s’agissait en réalité d’une lame de zinc de 5 centimètres, servant, dans les meilleurs jours, à étaler la margarine sur la demi-portion de pain. Situé au sous-sol du Block 11, le Stehe Bunker est une étroite cellule (environ 1 m2) dans laquelle quatre à cinq prisonniers sont entassés. Ils doivent se baisser sous les coups pour y pénétrer, puis restent debout toute la durée de leur enfermement car il leur est impossible de s’asseoir.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de quarantaine qui a permis à ce groupe de “45000” de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine. Lucien Ducastel est affecté au Kommando “Service des Civils”.

Le 3 août 1944, il est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transféré – dans des wagons de voyageurs ! – au KL Gross-Rosen [3], dans la région de Wroclaw ; il y est immatriculé sous le n° 40992.

Début avril 1945, après un passage au camp de Dora, il est dirigé sur Ravensbrück, au cours d’une marche meurtrière, avec Raymond Boudou, un “45000” de l’Haÿ-les-Roses (Seine / Val-de-Marne).

Libéré le 2 mai 1945 par l’armée soviétique, Lucien Ducastel est de retour le 28 mai à Paris à l’Hôtel Lutétia.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Après une longue convalescence, Lucien Ducastel recommence à travailler. Il se marie avec Yvette. Ils auront une fille : Claudine.

Lucien Ducastel reprend ses activités au sein de la Jeunesse communiste, puis du Parti communiste français et à la CGT. En 1948, il est membre du secrétariat de la Fédération communiste de Seine-Maritime. Il est- premier adjoint au maire du Petit-Quevilly.

Il est déclaré “Déporté politique” en 1954, l’homologation comme “Déporté résistant” lui ayant été refusée.

Avec Robert Gaillard, Louis Jouvin et Germaine Pican, Lucien Ducastel, a organisé, le 26 juin 1960 au Petit-Quevilly, la première rencontre des “45000” et des “31000” survivant.e.s qu’ils avaient pu retrouver.

© Mémoire Vive.

© Mémoire Vive.

En 1965, Lucien Ducastel et sa famille arrivent à Nanterre (Hauts-de-Seine). Y poursuivant son engagement pour la justice sociale et la lutte contre les exclusions, il continue à être un militant politique très actif. Il y développera ensuite la CNL (Confédération nationale du logement), pour défendre les droits des locataires et le droit au logement pour tous. À ce titre, il est administrateur de l’office d’HLM de la ville.

Parallèlement, avec ses amis de la FNDIRP et de l’ANACR de Nanterre, il engage un travail de Mémoire, se rendant inlassablement, et jusqu’à la fin de sa vie, dans les établissements scolaires pour témoigner de ce que fut le nazisme et pour faire comprendre aux jeunes générations les mécanismes qui peuvent, aujourd’hui encore, conduire aux pires crimes. Dans ce cadre, il participe aussi à de nombreux voyages sur des lieux historiques comme les camps du Struthof en France et d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. À son contact, des milliers d’élèves (notamment de Nanterre), des élus, des enseignants, des familles de déportés peuvent appréhender les différentes dimensions de la Déportation.

En 1996, il est co-fondateur de l’association Mémoire Vive des convois des 45000 et des 31000 d’Auschwitz-Birkenau, qu’il préside pendant plusieurs années.

Le 24 avril 2005, devant le monument commémoratif de Birkenau, Lucien Ducastel s‘adresse aux participants du voyage organisé par l’association qu’il a co-fondée. © Mémoire Vive.

Le 24 avril 2005, devant le monument commémoratif de Birkenau,
Lucien Ducastel s‘adresse aux participants du voyage organisé par l’association qu’il a co-fondée.
© Mémoire Vive.

Lucien Ducastel décède le 16 février 2012.

Le 26 juin suivant, le Conseil municipal de Nanterre donne son nom à une rue créée dans le nouvel éco-quartier Hoche. Le 1er décembre, la plaque de rue est solennellement découverte en présence de Patrick Jarry, Maire de Nanterre, et d’Yves Jégouzo, co-président de Mémoire Vive.

Nanterre, le 1er décembre 2012. Yvette Ducastel et Patrick Jarry.

Nanterre, le 1er décembre 2012. Yvette Ducastel et Patrick Jarry.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – dans un large périmètre autour de Rouen a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire “A”, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. Quarante-quatre des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

Sources :

- Témoignage de Lucien Ducastel : questionnaires, enregistrement du 20 janvier 1988.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 26, p. 73 (arch. Ph. Rohieux).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Liste des transferts conservée par Johan Beckman (45218).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 1-12-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.