Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943, selon les trois vues anthropométriques de la police allemande. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 18 avril 1918, Rolande, Jeanne Merlin naît à la maternité de l’hôpital Tenon (4 rue de la Chine), à Paris 20e, fille de Charlotte Merlin, 20 ans, emboutisseuse, et de père inconnu. L’année suivante, le 3 février 1919, elle est reconnue par Jean Baptiste Arthur Milan, 22 ans, mécanicien domicilié au 56, rue de Bagnolet (chez ses parents), avant d’être légitimée par le mariage de Charlotte et Jean Baptiste quelques jours plus tard, le 15 février, à la mairie du 20e.

Le 13 octobre 1923 à la mairie du 20e arrondissement, sa tante Henriette Merlin, 20 ans, épouse Alphonse L’Huillier, 22 ans, alors plombier. Ils ont un fils, Roger, né un an plus tard. Lors des recensements de 1926 et 1931, les L’Huillier habitent au 14, rue Ramponneau (Paris 20e), dans un petit immeuble dont Marie Merlin, grand-mère de Rolande, est devenue concierge. En 1930, Alphonse L’Huillier devient employé des Pompes funèbres municipales de Paris ; par la suite, Henriette, son épouse, cessera de travailler.

Le 19 janvier 1931, le mariage de Charlotte, mère de Rolande, est dissous par jugement de divorce ; son ex-mari – et père déclaré de Rolande – décède le 11 juin suivant à son domicile de la rue de Bagnolet (Paris 20e).

Le 5 septembre suivant à Bondy (Seine / Hauts-de-Seine), Charlotte, 33 ans, épouse Henri Douillot, 30 ans, mécanicien-outilleur, qui possède un atelier de petite mécanique à Bondy où elle travaille avec lui comme découpeuse : Charlotte Delbo rapporte que c’est « un métier où l’on se coupe aussi les doigts. Quand nous l’avons connue, toutes les premières phalanges manquaient à sa main droite. »  En 1932, ils habitent avec Rolande, alors âgée de 14 ans, dans le pavillon de Gustave Jules Douillot, père d’Henri, ouvrier bijoutier, au 21 allée (puis rue) Racine, à une extrémité de cette voie du quartier des Coquetiers (depuis le recensement de 1926, une famille Vandaele, d’origine belge, dont le père est peintre en bâtiment et composée de cinq enfants nés à Bondy, habite au 2 de l’allée Racine, à son autre extrémité).

Henri Douillot est un militant communiste. Le 12 mai 1935, il est élu conseiller municipal communiste de Bondy, sur une liste de coalition socialiste et communiste.

Le 8 septembre 1939, il est mobilisé au 11e régiment du Génie à Versailles. Fin décembre, il est renvoyé en affectation spéciale, travaillant dans son atelier comme sous-traitant pour la Maison Bournier Frères, 39 rue Bréguet à Paris.

Le 25 novembre 1939, à la mairie de Bondy, Rolande Milan, 21 ans, se marie avec un voisin de l’allée Racine, Jean Émile Vandaele, auxiliaire aux PTT avant la déclaration de guerre. Son récent mari sera prisonnier de guerre en Allemagne après juin 1940 ; ils n’auront eu que vingt-trois jours de vie commune au cours de permissions de détention pendant la « drôle de guerre ». Ils n’ont alors pas d’enfant.

En février 1940, le beau-père de Rolande, Henri Douillot est convoqué à la police pour signer une renonciation au Parti communiste. Il refuse. Le 29 de ce mois, le conseil de préfecture de la Seine le déchoit de son mandat électif. Le 15 mars suivant, Henri Douillot reçoit un ordre de route militaire pour rejoindre la 1re Compagnie spéciale de travailleurs militaires indésirables de la ferme Saint-Benoît, unité disciplinaire cantonnée au Perray près de Rambouillet (Seine-et-Oise / Yvelines) [1]. Puis il est transféré à la 4e compagnie à Roybon (Isère), dans les locaux d’une usine de tissage désaffectée. Finalement (le 20 août ?), il est interné à la citadelle de Sisteron (Basses-Alpes / Alpes-de-Haute-Provence) d’où il s’évade le 14 mars 1941 avec Frédéric (Frédo) Sérazin, autre militant communiste avec lequel il s’est lié d’amitié.

Sisteron, la citadelle dans les années 1900. Carte poste, collection Mémoire Vive.

Sisteron, la citadelle dans les années 1900. Carte poste, collection Mémoire Vive.

Revenu à Paris, Henri Douillot doit dès lors vivre en clandestinité, en étant hébergé par des camarades. En septembre suivant, il entre à l’O.S. [2]. Affecté à la commission des cadres, il instruit les nouvelles recrues sur leurs futures missions.

Sous l’Occupation, Rolande Vandaele est coupeuse à la Maison Jean Forest, 9 rue du Cirque à Paris 8e, et habite chez Gustave Douillot, père de son beau-père, au 21 allée Racine à Bondy, en compagnie de sa mère, Charlotte Douillot.

En janvier 1942, Henri Douillot est nommé responsable de trois secteurs d’activité de l’O.S. de la région parisienne.

Le 15 janvier, Rolande Vandaele, sa belle-fille, loue un petit logement (ou une simple chambre) au 38 rue de la Fontaine-au-Roi (Paris 11e) ; 3e étage, couloir de gauche, porte à gauche. Mais, c’est son beau-père qui s’y installera.

En avril, Henri Douillot est affecté à la gestion des stocks d’armes et de munitions, son supérieur direct étant Marie-Émile Besseyre. Douillot obtient de l’appareil technique du PC clandestin une fausse carte d’identité au nom d’Henri Dumas. Son activité spécifique le met en contact régulier avec France Bloch-Sérazin, chimiste-artificier du groupe, épouse de son compagnon d’évasion à Sisteron. Il utilise alors comme “planque” le logement de la rue de la Fontaine-au-Roi, dont Rolande lui a confié la clé, non seulement pour y dormir, mais aussi pour y entreposer des produits chimiques, des explosifs et des systèmes de mise à feu. Peu de temps avant d’être arrêté, il entreprend de louer une chambre sous sa fausse identité, au 127, rue Saint-Maur afin d’y déplacer ce matériel, mais il n’en a pas le temps…

France Bloch-Sérazin, repérée par les inspecteurs de la BS2 auxquels elle avait échappé une première fois en février, est filée à partir du 27 mars, conduisant involontairement les policiers vers sa famille, ses amis et le réseau des combattants et dirigeants clandestins qu’elle rencontre, comme Henri Douillot, le 14 avril, place de la Contrescarpe (Paris 6e), auquel elle remet alors plusieurs flacons d’acide sulfurique. Suivi jusqu’au soir, au fil de différents rendez-vous, celui-ci conduit les inspecteurs jusqu’à son domicile clandestin (il est “logé”). Dans les jours suivants, il sera encore suivi lors de ses nombreux rendez-vous. Le 28 avril, les inspecteurs constatent qu’il se rend chez son beau-frère, Alphonse L’Huillier, domicilié au 43 rue des Maronites depuis un an.

Le 14 mai, Marie-Émile Besseyre est arrêté indépendamment par des agents du commissariat de police de la circonscription de Puteaux dans le cadre d’une affaire de propagande – sa précédente activité clandestine – amenant de multiples arrestations et perquisitions. Cette initiative non coordonnée oblige Jean Hénoque, directeur de la BS2, à précipiter son propre coup de filet final, lancé deux jours plus tard. Soixante-huit personnes repérées et identifiées sont alors arrêtées ; parmi elles, une grande partie des membres de l’O.S.

Le 16 mai, Henri Douillot est appréhendé en dehors de son domicile par les brigades spéciales. Ayant procédé à la perquisition de sa “planque”, rue de la Fontaine au Roi, et saisi de nombreux documents relatifs à l’action armée ainsi qu’un pistolet automatique, son arme personnelle qu’il n’a jamais utilisée, les policiers quittent les lieux « après avoir laissé sur place des inspecteurs ayant pour mission d’appréhender toute personne qui se présentera dans cette chambre ».

Effectivement, dans la soirée, Rolande et sa mère, qui viennent lui apporter du ravitaillement et du linge, sont également arrêtées dans ce qui est devenu une “souricière”.

Elles sont conduites la préfecture de police, et détenues dans la salle 343 des locaux de la BS 2 pendant la durée des interrogatoires.

Paris. La préfecture de police vue depuis Notre-Dame. Carte postale des années 1900 (le bâtiment est alors la caserne de la Garde républicaine). Coll. Mémoire Vive.

Paris. La préfecture de police vue depuis Notre-Dame.
Carte postale des années 1900 (le bâtiment est alors la caserne de la Garde républicaine). Coll. Mémoire Vive.

Détenu dans la salle 540, Henri Douillot est longuement interrogé : le procès-verbal de ses interrogatoires tient sur dix pages dactylographiées. Il lutte pied à pied contre la tentative des inspecteurs de lui extorquer des informations. S’il admet immédiatement sa propre activité au sein de l’O.S., et ne réfute pas les comptes-rendus de filatures auxquels il est confronté, il refuse d’expliquer l’activité de ses camarades et parvient à ne donner aucun nom qui ne serait pas déjà connu des policiers.

L’interrogatoire de Charlotte Douillot est moins long : le PV tient sur une page et demie. Elle déclare n’avoir rien su de l’activité clandestine de son mari et donne des explications concordant avec celles de sa fille…

Ultérieurement, Rolande Vandaele déclarera voir été frappée par le (ou la) secrétaire Randon et par l’inspecteur Beauval lors de son interrogatoire. Le procès verbal rendant compte de celui-ci tient sur une seule page. « D. (demande) - Vous avez été appréhendée au domicile que vous avez loué 38 rue Fontaine-au-Roi pour le compte de M. Douillot Henri. Que savez-vous de l’activité de ce dernier depuis son évasion de la citadelle de Sisteron ? R. (réponse) - Je ne pense pas que mon beau-père ait recommencé, depuis son évasion, à militer pour le compte du Parti communiste dont il était membre avant les hostilités. Je n’ignorais pas son évasion de Sisteron, mais il nous avait formellement promis, à ma mère et à moi, de ne plus avoir aucune activité. Lorsque j’ai loué le logement dont je suis locataire 38 rue Fontaine-au-Roi, c’était dans l’intention de m’y installer après la libération de mon mari. En attendant, j’y avais placé des meubles que je ne pouvais conserver chez mon grand-père. J’ai effectué cette location pour le terme, le 15 janvier 1942. Mon beau-père m’a d’abord proposé de remettre le logement en état. Il y est venu faire quelques installations et a manifesté l’intention d’y rester. S.I. (sur interpellation) - Avant janvier 1942, mon beau-père me donnait quelquefois rendez-vous dans Paris. J’y allais parfois en compagnie de ma mère. Je ne sais pas où mon beau-père était hébergé à cette époque. S.I.- J’ignore quelles étaient les occupations de mon beau-père ; je ne lui ai jamais remis d’argent. Je répète que, si je lui ai donné l’hospitalité, c’est parce que je pensais qu’en tant qu’évadé de Sisteron, il allait être recherché. Je n’ai jamais supposé qu’il puisse faire preuve d’une activité quelconque en faveur de l’ex-Parti communiste. »

Croisant son beau-père quand tous deux sont escortés dans les couloirs de la BS2, Charlotte se dirige vers lui pour l’embrasser, mais un inspecteur les sépare, giflant Henri Douillot.

Puis Rolande et sa mère sont conduites au dépôt de la préfecture de police.

Le 21 mai, Antoinette Besseyre, Yvonne Carré, Louise Losserand et les trois l’Huillier – Alphonse, Henriette et Roger – sont consignés au dépôt à la disposition de la BS2 ; à la même date, Henri Douillot, Paul Thierret, Raymond Losserand, Gaston Carré, Marie-Émile Besseyre font partie des détenus « consignés au dépôt à la disposition des Autorités allemandes ».

Le 11 août 1942, Alphonse L’Huillier est fusillé au fort du Mont-Valérien à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), en représailles d’actions armées de la résistance contre l’Occupant, sans jugement, parmi 88 otages déclarés communistes. Après son exécution, la police relâche son fils, Roger, « “en raison de son âge” (dix-sept ans) », mais non son épouse Henriette. Le 24 août, celle-ci est écrouée en cellule à la Maison d’arrêt de La Santé (Paris 14e). Le 29 septembre, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 16 septembre, vingt-deux hommes et une femme, France Sérazin, sont déférés pour une première audience devant le Tribunal militaire allemand du Gross Paris, siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e). Le jugement est rendu le 30 septembre : cinq sont condamnés à des peines de prison et vingt-trois à la peine de mort pour activité de francs-tireurs, dont Henri Douillot, Marie-Émile Besseyre, Gaston Carré, Raymond Losserand et France Bloch-Sérazin.

Le 21 octobre, quinze condamnés, dont Henri Douillot, sont fusillés au champ de tir du ministère de l’Air à Issy-les-Moulineaux, dit aussi stand de tir de Balard [3].

Le 27 octobre, Rolande Vandaele et sa mère Charlotte Douillot font partie des neuf détenues transférées à Romainville (Antoinette Beyssère, Yvonne Carré, Louise Losserand et aussi Suzanne Constantin, Simone Eiffes, Renée Juhem). Elles y retrouvent leur tante et sœur, Henriette L’Huillier. Rolande y est enregistrée sous le matricule n° 1103 et sa mère sous le matricule n° 1104.

Le 22 janvier 1943, Henriette L’Huillier fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Rolande Vandaele et Charlotte Douillot font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation…

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [4], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Rolande Vandaele y est enregistrée sous le matricule 31761, sa mère sous le numéro 31762. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Charlotte Douillot, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Charlotte Douillot, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” [5] du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Charlotte Douillot meurt de dysenterie au Revier [6] du camp de femmes de Birkenau, le 11 mars 1943 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS d’Auschwitz (Sterbebücher). À la fin avril, Rolande Vandaële entre à son tour au Revier, atteinte du typhus. Elle y voit mourir sa tante Henriette L’Huillier de la même maladie le 24 mai suivant, d’après le Sterbebücher.

Henriette L’Huillier, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Henriette L’Huillier, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Le 3 août, Rolande Vandaële sort du Revier, tenant à peine debout, pour aller rejoindre les survivantes placées en quarantaine dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes (celles qui ont été envoyées travailler au Kommando agricole de Raïsko étant considérées comme bénéficiant déjà d’une situation protégée). Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois. Au même moment, les détenus politiques français d’Auschwitz et Birkenau obtiennent le droit d’écrire.

En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche ». Des fenêtres de cet atelier, elles assistent à l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.

Après le débarquement allié en France, un nouveau front s’est créé que le courrier ne franchit plus.

Le 2 août 1944, Rolande Vandaële fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent deux jours après ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.

Le 2 mars 1945, Rolande est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen, en Haute-Autriche (annexée au IIIe Reich) à environ 22 km de Linz, où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.

Ensuite, en les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).

Le 22 avril, Rolande fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique. De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Rolande retrouve sa grand-mère, Marie Merlin, toujours concierge au 14, rue Ramponneau (Paris 20e). La vieille femme avait appris la disparition de sa fille Charlotte par un avis de décès d’Auschwitz, daté du 7 août 1943, mais n’avait rien reçu pour son autre fille, Henriette. Rolande n’ose pas lui dire que celle-ci est morte elle aussi. Il faudra des années à Marie Merlin pour comprendre ce qui était arrivé, avant son propre décès le 1er août 1949, à l’hôpital Saint-Antoine (Paris 12e), âgée de 79 ans.

Le 28 mai 1945, dans le cadre des procédures d’épuration de la police, Rolande Vandaele porte plainte « contre les inspecteurs qui ont procédé [aux] arrestations et contre ceux qui se sont rendus coupables de vol » de bijoux et des costumes de son mari lors des perquisitions à Bondy et rue de la Fontaine au Roi.

En mai 1945, Jean Vandaele, le mari de Rolande revient de captivité. Il est repris à la Poste comme facteur et le couple s’installe dans le pavillon des Douillot, 21 allée Racine à Bondy, quartier des Coquetiers, avec le “grand-père” Gustave Douillot.
Charlotte Delbo raconte : « Avec ses deux grands-parents à charge, Rolande, bien que très atteinte (…), n’a pu songer à se reposer. Elle a repris son métier : coupeuse-patronnière dans le manteau et tailleur pour dames, mais elle a dû cesser de travailler après avoir subi une grave opération. Ce n’est qu’en 1964 qu’elle a obtenu une carte de déportée politique et elle a été reconnue invalide à cent pour cent (…). Elle ne sort pour ainsi dire pas de son petit pavillon (…). Non qu’elle soit incapable physiquement de marcher, d’aller et venir, non, mais elle a comme peur de sortir, peur d’être seule dans la rue et tous les prétextes lui sont bons pour éviter de franchir sa porte. On dirait que Rolande, comme Yolande Gili, comme beaucoup des revenantes, a usé en quelques mois de Birkenau toute la somme d’énergie, toute la vitalité qui lui avaient été imparties à la naissance pour durer toute une vie. Elle est vivante, mais le ressort de la vie est cassé. »

Gustave Douillot décède le 11 décembre 1949 à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière (Paris 13e).

Rolande décède aux Pavillons-sous-Bois, commune limitrophe de Bondy (Seine-Saint-Denis) le 18 avril 1982, âgée de 64 ans.

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Bondy donne le nom d’Henri Douillot à une rue de la commune.

Sources :

[1] La ferme Saint-Benoît : en mars 1940, dans la psychose anticommuniste, l’Armée française crée cinq Compagnies Spéciales de Travailleurs Militaires Indésirables pour un millier de mobilisés suspectés de militantisme politique (à ne pas confondre avec les Compagnies Spéciales de Travailleurs Exclus, pour les droits communs). Loin d’être envoyées en première ligne, on les destine à des travaux au service du Génie. Placés sous la tutelle du ministère de la Guerre, leur commandement est confié à un capitaine secondé par des gardes mobiles pour l’encadrement.

[2] O.S. : organisation spéciale armée du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.

[3] Le 21 octobre 1942 au stand de tir de Balard, sont fusillés : Irénée Appéré (29 ans), Gaston Bérault (20 ans), Marie-Émile Besseyre (35 ans), Gaston Carré (36 ans), Raymond Delaune (21 ans), Georges Demesy (46 ans), Henri Douillot (41 ans), Edmond Fantin (38 ans), André Faure (29 ans), Marcel Fischer (29 ans), Édouard Larat (41 ans), Jean Lefebvre (21 ans), René Legrand (38 ans), Raymond Losserand (39 ans) et Lucien Micaud (19 ans).

[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[5] La « course » par Charlotte Delbo : « Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. “En arrivant à la porte, il faudra courir.” L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, il fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. » (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)

[6] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 94 à 97.
- Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes, Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, Automne 1941, collection Nouvelles études contemporaines, Fayard, février 2004, page 241, note p. 368.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) :  dossiers suivis par la BS2, affaire Carré Douillot Losserand Besseyre (GB 102) ; procédures d’épuration, dossiers de l’inspecteur Justin Charlot (77 W 6374-292168 et KB 112)
- Les fusillés (1940-1944), Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otage ou guillotinés pendant l’Occupation, sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, Éditions de l’Atelier, 2015, pages 592 et 1152.
- Site de l’association Mémoire et création numérique, animée par François Tanniou, Alexis Sevaille et Sophie Raoult, Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013).
- http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article22912, notice DOUILLOT Henri, Gustave [Pseudonyme dans la Résistance : Dumas] par Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 23 février 2017.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 12-08 2019)

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