Photo anthropométrique prise le 17 mars 1942 par le service de l’identité judiciaire. © Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Photo anthropométrique prise le 17 mars 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Alice Paris naît le 8 octobre 1914 à Grury (Saône-et-Loire), fille de Jules Paris, 29 ans, et d’Émélie Cœurty, 22 ans, son épouse, cultivateurs au Pralong. Alice a une sœur aînée, Marie, née en 1911 à Issy-l’Évêque.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, leur père – 29 ans – rejoint le 29e régiment d’infanterie à Langres. Le 30 mai 1917, dans le secteur du Four-de-Paris, en forêt d’Argonne (Marne), légèrement blessé à l’avant-bras et aux cuisses par l’éclatement d’un détonateur, il est évacué. Il “rejoint les armées” un mois plus tard. Le 29 juillet 1918, il est cité à l’ordre de son régiment : « Excellent soldat observateur de bataillon. Pendant la période du 15 au 20 février 1918 a accompli sa mission sans souci des violents bombardements auquel l’observatoire était soumis, procurant ainsi au commandement des renseignements souvent très importants. A donné déjà la preuve dans plusieurs circonstances de son tranquille courage ». Le 2 août 1918, dans le sous-secteur du Mont-Haut, entre les villages de Prosnes et Moronvilliers (Marne), il est intoxiqué par les gaz de combat. Il “rejoint les armées” le 13 octobre. Le 11 mars 1919, Jules Paris est envoyé en congé de démobilisation. Décoré de La Croix de guerre avec étoile de bronze, puis de la Médaille militaire en 1930, il gardera quelques séquelles respiratoires.

En 1932, à dix-huit ans, Alice Paris épouse Marcel Boulet, né le 24 février 1908, douanier en poste à la frontière franco-belge. Ils n’ont pas d’enfant.

En 1939, les Boulet – qui sont tous les deux membres du parti communiste – viennent habiter Paris, dans le 20e arrondissement. Maurice est semble-t-il douanier aux entrepôts de Bercy (à vérifier…). Puis la lutte les sépare. Chacun a ses tâches propres. Lui est muté en Bretagne. Il est interné administratif pendant un temps, puis libéré. Elle habite seule, sous une fausse identité, au 31 boulevard de Grenelle à Paris 15e (7e étage, droite).

En 1941, Alice Boulet est agent de liaison du Front national [1], ce qui implique de transporter du matériel imprimé, transmettre des messages et des consignes, etc.

Le 30 mars 1942, à 15 h, elle est repérée par un inspecteur des brigades spéciales des renseignements généraux de la préfecture de police lors d’un rendez-vous avec Jacqueline Quatremaire, rue du Vieux-Pont-de-Sèvres à Billancourt. Dès lors, les policiers la désignent comme la « femme Billancourt » : « 1,68 m, corpulence mince, 30 ans environ, visage mince, nez pointu, cheveux châtain foncé, chapeau de paille noire avec voilette, manteau raglan gris-clair, bas chair, souliers blancs ». Son domicile est rapidement “logé”.

À partir de la mi-juin, lorsqu’ils la “filent”, les inspecteurs des brigades spéciales constatent qu’elle se rend presque chaque jour, par le métro et l’autobus, chez Henri et Suzanne Maillard à Gagny (Seine / Seine-Saint-Denis), auxquels elle apporte des messages chiffrés transmis par un opérateur radio utilisant les émetteurs TSF que le couple conserve.

Le 17 juin, lors du “coup de filet” contre le réseau des “imprimeurs”, elle est arrêtée chez elle par cinq inspecteurs des brigades spéciales. Elle est trouvée en possession d’une brochure intitulée « Gabriel Péri vous parle » et d’un autre texte chiffré.

Conduite à la préfecture de police, elle est enfermée dans la salle 502 entre les interrogatoires.
Le 20 juin, elle est conduite au Dépôt, sous le Palais de Justice, cellule n° 14. Le 26 juin, elle écrit au directeur (des R.G. ou du dépôt ?) pour solliciter l’autorisation d’être escortée jusqu’à son domicile afin d’y prendre du linge de rechange.

Le 10 août, Alice Boulet fait partie du groupe des détenus de son affaire – dont dix-neuf femmes déportées avec elle – transférés au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 607.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages qui sont transférées en camion au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [3] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été extraites de wagons et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Alice Boulet y est peut-être enregistrée sous le matricule 31628, selon une correspondance possible avec le registre des internés du fort de Romainville (la photo de la détenue portant ce matricule n’a pas été retrouvée). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de police allemande : vues de trois-quart, de face et de profil.
Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Atteinte par la dysenterie, Alice Boulet est admise au Revier. Quand on fait savoir qu’une sélection y aura lieu, elle en sort pour mourir au Block 26, en rentrant du travail, le jour suivant, le 23 février 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp.

Arrêté le 23 juillet 1944, son mari, Marcel Boulet, est déporté de Belfort le 24 août 1944 – un des derniers convois – vers le KL Neuengamme (matricule n° 43818). Affecté au Kommando de Wilhemshaven, créé en septembre 1944 sur les rives de la Mer du Nord, il y meurt le 4 janvier 1945. Les parents d’Alice apprennent la mort de celle-ci au retour des rescapées.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 50.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers des renseignements généraux, 1re brigade spéciale “anticommuniste”, affaire “Ambroise” (G B 35), affaire Tintelin (G B 36, G B 37).
- Archives départementales des Yvelines (78), Montigny-le-Bretonneux, archives de la police de Seine-et-Oise ; cotes 300w48 (propagande par TSF).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 123 (10216/1943).
- Concernant Marcel Boulet : Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.267, t. 4, p. 264.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 28-07-2022)

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