Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943, selon les trois vues anthropométriques de la police allemande. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Louise Marié naît le 23 février 1904 à Paris 11e, chez ses parents, Eugène Marié, 31 ans, mouleur en cuivre, et Virginie Gélis, 18 ans, son épouse, couturière, domiciliés au 51, rue de la Roquette. Le frère ainé de Louise, Octave, est né le 5 septembre 1902, alors que leur mère, mariée sept mois auparavant, n’avait que 17 ans. Début mars 1906, la famille vit au 19, passage Raoul, qui prendra le nom de rue Bréguet prolongée. Quand naissent Arsène, le 14 août 1907, puis Albert, le 4 décembre 1909, ils habitent au n° 41 de cette même rue.
Après les inondations de janvier 1910, ils quittent le 11e arrondissement. En août 1911, on les retrouve au 41, rue des Sartières (?) à Vincennes (Seine / Val-de-Marne – 94). Puis la famille s’implante à Montreuil-sous-Bois (94), mais en changeant souvent d’adresse : en juin 1912, elle est au 32, rue du Pré, un an plus tard, elle habite au 40, boulevard de l’Hôtel de Ville, et, en juillet 1914, au 49, rue de Paris.
Louisette va à l’école communale à Montreuil jusqu’à dix ans : à partir de juin 1914, les écoles sont réquisitionnées par l’armée qui les utilise comme casernes ou comme ambulances. Louisette apprendra le métier de mécanicienne en fourrure.
Le 17 août 1914, Eugène Marié, 41 ans, qui avait effectué son service militaire au 3e bataillon d’infanterie légère d’Afrique (Bat d’Af’), est mobilisé au 35e régiment d’Infanterie (basé à Melun ?) où il est réserviste. Mais, le 11 janvier 1916, la commission de réforme du Mans le réforme n° 2  pour surdité bilatérale incomplète par otite sèche scléreuse.
Les parents de Louisette décèdent avant ses 18 ans.

Le 3 juin 1922, à la mairie de Montreuil-sous-Bois, Louise Marié épouse Raymond Losserand, né le 22 août 1903 à Paris 2e, artisan fourreur à son compte, réalisant à domicile des manteaux pour des fabriques.

Mais le jeune couple se sépare sans avoir eu d’enfant.

Leur divorce est prononcé le 3 janvier 1927. Raymond Losserand, alors âgé de 23 ans et domicilié au 17, rue du Départ, se remarie sept semaines plus tard, à la mairie du 14e, avec une téléphoniste de 22 ans. Mais cette nouvelle union ne durera pas non plus…

Raymond Losserand adhère au Parti communiste en mars 1934, après les émeutes fascistes de février, d’abord à la cellule 1446 dans le 14e arrondissement, où ses qualités d’organisateur et d’orateur le font très vite désigner à des fonctions de responsabilité. De mai 1934 à avril 1935, il est trésorier de la cellule 1439.
Dès juin-juillet 1935, après avoir suivi une école régionale de quinze jours avec Étienne Fajon, Raymond Losserand est nommé secrétaire de la section du 14e arrondissement qui réunit nombre de militants de premier ordre : Léon Mauvais (élu conseiller municipal de Paris dans la 1re circonscription), Marcel Paul (élu le 12 mai 1935 conseiller municipal de Paris dans la 2e circonscription du quartier de Plaisance-Broussais), Ambroise Croizat (élu député de la 2e circonscription le 3 mai 1936), Fernand Leriche (du bureau de section des JC du 14e), Léon Moussinac (journaliste, critique de théâtre), Henri Tanguy (dirigeant des Jeunesses communistes, futur colonel Rol)… Du 22 au 25 janvier 1936, Raymond Losserand sera délégué au 8e congrès national du Parti communiste à Villeurbanne (Rhône).
En novembre 1935, Raymond Losserand habite au 113, rue de Vanves, où il dispose d’un atelier pour exercer son travail de fourreur. En février 1936, il est dénoncé à la police au motif qu’il y donne des cours aux jeunes communistes. Le 25 mars, il s’installe provisoirement au 118 rue Vercingétorix. Au cours du printemps, il emménage dans un pavillon au 9 villa Deshayes (14e) ; peut-être partagé pendant un temps avec son frère et sa belle-sœur.
Dans cette période, probablement, Raymond et Louisette – devenue trésorière de cellule – se remettent en ménage. Elle le rejoint villa Deshayes.
En avril 1936, Raymond Losserand et Léon Mauvais parrainent l’adhésion au Parti communiste de Frédéric Sérazin, dit Frédo, militant cégétiste et délégué du personnel de l’usine Hispano-Suiza, boulevard Brune, sympathisant depuis 1924.
Au cours des mois de mai et juin, lors des grèves avec occupation d’entreprises pour exiger la mise en œuvre rapide du programme du gouvernement de Front populaire après son succès électoral, Raymond Losserand aide les travailleurs en lutte de son arrondissement pour le ravitaillement, la surveillance des comités de grève, l’établissement de cahiers de revendications…  Concernant l’usine Hispano-Suiza, il agit nécessairement de concert avec Frédo Sérazin. Ultérieurement, lors d’une perquisition, la police trouvera « … un lot de photographies représentant des […] grévistes des usines Hispano-Suiza, et sur lesquelles on retrouve le nommé Sérazin et sa femme, ainsi que le nommé Losserand et sa femme ». Raymond Losserand devient délégué au comité local de Front populaire (jusqu’en juin 1937).

Au printemps 1937, Marcel Paul renonce à son mandat de conseiller municipal – pour lequel il n’avait pas été volontaire – afin de se consacrer entièrement à son importante activité syndicale à la tête de la CGT du gaz et de l’électricité. Le 29 mai, aux élections complémentaires qui s’ensuivent, le Parti communiste présente la candidature de Raymond Losserand (domicilié dans cette circonscription) qui est élu.

Il effectue une mission en Espagne confrontée à la guerre civile.
En mai 1938, Frédo Sérazin succède à Losserand comme premier secrétaire de la section du 14e. Quelques semaines auparavant, le nouveau cadre a fait la connaissance d’une jeune militante, Françoise, dite France, Bloch – fille de l’écrivain antifasciste Jean-Richard Bloch (co-fondateur avec Louis Aragon du quotidien communiste Ce Soir) -, ingénieure-chercheuse en chimie physique à l’Institut de Chimie, ayant adhéré au PC en août 1937 dans le cadre de son engagement en faveur de l’Espagne républicaine ; le militant ouvrier tombe amoureux de l’intellectuelle, relation que Raymond Losserand craint problématique.
Le 27 mai 1939, le tribunal civil de la Seine prononce le jugement de divorce du deuxième mariage de Raymond Losserand.
Au début de la guerre, celui-ci est mobilisé au 20e escadron du train hippomobile (transports militaires).
Le 21 janvier 1940, la préfecture le déchoit de son mandat pour n’avoir pas récusé publiquement son appartenance au Parti communiste.
Le 24 février, Louise et Raymond se marient de nouveau à la mairie du 14e arrondissement, lui étant « aux armées », très probablement en permission. Un des deux témoins pour ce mariage est Frédo Sérazin, en “affectation spéciale” depuis deux mois à l’usine Allinquant, et France – qui a mis au monde leur fils Roland un mois plus tôt – est probablement présente : la veille, alors qu’une perquisition a eu lieu à leur domicile, elle écrit à sa sœur Claude, au Chili, une lettre dans laquelle elle s’inquiète des circonstances particulières de ce mariage : « Espérons que ce cinglé de Raymond ne va pas être conduit à la campagne à cette occasion. En ce moment, on ne sait jamais. » (la « campagne » en question désignant les camps d’internement). Le 15 mars, Fredo Sérazin reçoit un ordre de route militaire pour rejoindre la ferme Saint-Benoît au Perray (Seine-et-Oise), où il est affecté dans une compagnie spéciale de travailleurs, unité disciplinaire où l’armée pratique une forme d’internement administratif [2].
Lors de la Débâcle de mai-juin 1940, Raymond Losserand est fait prisonnier. Il s’évade en juillet et retrouve Louisette à leur domicile. Peu de temps après, en août, les autorités d’occupation opèrent une perquisition à leur domicile qui reste sans résultat.Vers la fin de l’année, le couple passe dans la clandestinité. Après quelques semaines de séjour dans la banlieue sud (?), ils viennent habiter une planque au 53, rue Piat (Paris 20e), logement que Louisette loue sous son nom de jeune fille : Marié. Raymond possède une fausse carte d’identité – probablement établie par l’appareil technique du PCF clandestin – et un livret militaire au nom d’Henri Hulard. Pendant un temps, il est en charge du recrutement au sein de l’O.S. de la région parisienne [1] et organise la récupération d’armes, notamment auprès des égoutiers.
De son côté, France Bloch-Sérazin a rapidement retrouvé le contact avec le Parti communiste clandestin, notamment avec Fernand Leriche, qui, sans être lui-même clandestin, est responsable de la section communiste clandestine du 14e arrondissement sous le pseudonyme de “Pascal” (en contact avec Raymond Losserand), et participe à la naissance de l’Organisation spéciale du secteur P2 en 1942-1943 sous le pseudonyme de “Bastien”. France commence à diffuser des tracts la nuit dans les rues. Après avoir brièvement enseigné au collège Sévigné, elle a trouvé un travail d’assistante technique au laboratoire de l’Identité judiciaire de la préfecture de police, quai des Orfèvres (!), rétribué par le Centre national de la recherche scientifique.
Au printemps 1941, le colonel Jules Dumont, ancien brigadiste, organise la création d’un laboratoire clandestin de production d’engins explosifs dans le perspective d’engager la lutte armée. Celui-ci est installé dans l’appartement de deux pièces du résistant allemand Theo Kroliczek, ancien aviateur ayant déserté de la légion Condor, au n° 1 de l’avenue Debidour (Paris 19e). France Bloch intègre aussitôt ce dépôt d’armes et atelier comme chimiste et “artificier”, mettant à profit ses connaissances scientifiques et techniques. Un réseau spécifique s’organise pour lui procurer les produits nécessaires. Le 25 novembre, un coup de filet trop précipité, pour cause de mauvaise coordination policière, amène l’arrestation de plusieurs clandestins et la découverte du dépôt-laboratoire. Mais France Bloch-Sérazin n’est pas arrêtée ni même identifiée. Elle prendra le pseudonyme de “Claudia”.
Le 9 février 1942, Louis Marchandise, cadre de l’O.S. depuis la fin 1941, et Spartaco Guisco, artificier gérant les dépôts d’explosifs, sont arrêtés par la brigade spéciale “antiterroriste” (BS2) des Renseignements généraux de la préfecture de police. Appréhendé le lendemain, 10 février, Conrado Miret-Muste (Miret i Musté), fondateur de l’O.S.-M.O.I., particulièrement torturé par les policiers français puis allemands, finit par désigner Raymond Losserand comme le cadre qui l’a fait passer dans l’O.S. ; dès lors, celui-ci est particulièrement recherché. Conrado Miret-Muste et Spartaco Guisco lâchent le pseudonyme de « Claudia », qui ne permet cependant aucune identification. France, échappant alors de justesse à une nouvelle arrestation, se réfugie chez Fernand Leriche pendant deux semaines, puis séjourne dans la résidence familiale des Bloch de l’autre côté de la ligne de démarcation avant de finalement revenir à Paris.
En mars, Raymond Losserand est désigné comme commissaire politique de l’O.S. Ce nouveau triangle de direction, complété par Marie Émile Besseyre, peintre en bâtiment, et Gaston Carré, plombier, tous deux ex-brigadistes, conduit l’ensemble des partisans parisiens pendant seulement deux mois.
France Bloch-Sérazin, repérée de nouveau par les inspecteurs de la BS2 auxquels elle avait échappé en février, est filée à partir du 27 mars, conduisant involontairement les policiers vers sa famille, ses amis – dont Marie-Élisa Nordmann -, le réseau des combattants et dirigeants clandestins qu’elle rencontre, comme Henri Douillot, dit “Dumas”, évadé le 14 mars de la citadelle de Sisteron (Basses-Alpes /Alpes-de-Haute-Provence) avec Frédo [2] et devenu responsable des stocks d’armes et de munitions de l’O.S.
Sisteron, la citadelle dans les années 1900. Carte poste, collection Mémoire Vive.

Sisteron, la citadelle dans les années 1900. Carte poste, collection Mémoire Vive.

Le premier repérage de Raymond Losserand par un inspecteur de la BS2 a lieu le 23 avril, à 17 heures, porte de Charenton (Paris 12e), alors que le clandestin attend avec Besseyre l’arrivée de Paul Thierret, autre cadre de l’O.S. ; une heure plus tard, Losserand retrouve Gaston Carré place Daumesnil (Paris 12e)…
Le 5 mai, après que l’équipe policière ait observé de nombreux rendez-vous clandestins au fil des jours, l’inspecteur Lucien Ch., qui file Thierret, « juge utile de continuer la surveillance à l’égard de Losserand qui [jusqu’alors] n’avait pu être ni identifié ni domicilié ». Après un dernier rendez-vous de Losserand avec Irénée Appéré, ancien brigadiste, commandant militaire clandestin de la région Nord de Paris, dans un café à l’angle de l’avenue de Clichy et de la rue de la Condamine, les deux hommes quittent l’établissement à midi quinze et se séparent à la station de métro La Fourche. L’inspecteur suit Losserand, qui emprunte le souterrain. Arrivé à  la station Place Clichy, celui-ci change de ligne en direction de Nation, descend à la station Belleville et rejoint la rue Piat par la rue de Belleville. Le policier le voit pénétrer dans l’immeuble portant le n° 53. Par la concierge probablement, l’inspecteur apprend que Losserand habite un logement situé au 4e étage de l’escalier du fond, loué au nom de Marié, et dont l’homme du ménage, qui exerce la profession de fourreur à domicile, sort très fréquemment.
Le 14 mai, Marie Émile Besseyre est arrêté indépendamment – dans le cadre d’une affaire de propagande – par des agents du commissariat de police de la circonscription de Puteaux, ce qui oblige la BS2 à précipiter son coup de filet final. L’ensemble du groupe tombe : près de 70 résistants, dont Marie-Élisa Nordman.
Le samedi matin 16 mai, Raymond et Louise Losserand sont arrêtés par trois inspecteurs à leur domicile clandestin. La perquisition opérée simultanément ne donne aucun résultat.
Comme les autres, les Losserand sont conduits dans les bureaux de la BS pour interrogatoire.
Excepté sa propre clandestinité – qu’il justifie comme ancien élu communiste, potentiellement recherché – Raymond Losserand ne reconnaît aucun fait ni personne, malgré les confrontations avec les inspecteurs qui l’ont suivi. Parmi les photos que les policiers lui présentent, il ne reconnait que : « … Madame Sérazin, que j’appelais France. Je l’ai connue avant la guerre, et plus spécialement son mari, qui était au Parti communiste. J’ai été témoin à leur mariage et je n’ai pas revu Madame Sérazin depuis mars-avril 1940, alors que j’étais en permission. »
Brièvement interrogée, Louisette ne sait rien non plus : « Je n’ignorais pas que mon mari avait de faux papiers […]. Il agissait ainsi parce qu’il craignait d’être arrêté en tant qu’ancien conseiller municipal communiste. Ces temps derniers, il travaillait avec moi, à la maison, et il ne m’a jamais dit qu’il militait à nouveau. Il n’a jamais reçu personne et n’a jamais amené de paquet suspect chez nous ». Elle ne reconnaît personne sur les photos.
Comme les autres, Louise Losserand est conduite au Dépôt de la préfecture de police ; séjour interrompu pour elle par deux semaines à l’infirmerie de l’établissement pénitentiaire de Fresnes.
Le 30 septembre, Raymond Losserand, Henri Douillot, Gaston Carré, Mary Besseyre et France Bloch-Sérazin sont déférés devant le Tribunal militaire allemand du Gross Paris, siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e), qui les condamne à mort pour activité de francs-tireurs.

Le 16 septembre, vingt-deux hommes et une femme, France Sérazin, sont déférés pour une première audience devant le Tribunal militaire allemand du Gross Paris, siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e). Le jugement est rendu le 30 septembre : cinq sont condamnés à des peines de prison et vingt-trois à la peine de mort pour activité de francs-tireurs, dont Raymond Losserand, Henri Douillot, Gaston Carré, Marie Émile Besseyre et France Bloch-Sérazin. Celle-ci, avec trois hommes, dépose un recours en grâce qui leur fait bénéficier d’un sursis.

Le 21 octobre, quinze condamnés, dont Raymond Losserand, sont fusillés au champ de tir du ministère de l’Air à Issy-les-Moulineaux, dit aussi stand de tir de Balard [3]. Le 10 décembre, France Bloch-Sérazin sera déportée vers la prison de Lübeck, puis guillotinée à la prison Wallanlagen (Hostenglacis) de Hambourg, le 12 février 1943, avant d’avoir 30 ans.

Les épouses de ces résistants n’ont pas comparu devant le tribunal. Mais, le 10 juillet précédent, Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France a édicté un avis affiché sur les murs : « … j’ai constaté que ce sont surtout les proches parents des auteurs d’attentats, des saboteurs et des fauteurs de troubles qui les ont aidés avant ou après le forfait. Je me suis donc décidé à frapper des peines les plus sévères non seulement les auteurs d’attentats, les saboteurs et les fauteurs de troubles eux-mêmes une fois arrêtés, mais aussi, en cas de fuite, aussitôt les noms des fuyards connus, les familles de ces criminels, s’ils ne se présentent pas dans les dix jours après le forfait à un service de police allemand ou français.
Par conséquent, j’annonce les peines suivantes : 1.) Tous les proches parents masculins en ligne ascendante et descendante ainsi que les beaux-frères et cousins à partir de 15 ans seront fusillés. 2.) Toutes les femmes du même degré de parenté seront condamnées aux travaux forcés. 3.) Tous les enfants, jusqu’à 17 ans révolus, des hommes et des femmes frappés par ces mesures seront remis à une maison d’éducation surveillée… »

Le 27 octobre, Louise Losserand fait partie du groupe de femmes prises dans cette affaire – Antoinette Besseyre, Yvonne Carré, Charlotte Douillot et Rolande Vandaele… – qui sont transférées au camp du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 1096.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, Louise Losserand fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [4], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Louise Losserand y est enregistrée sous le matricule 31757. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Louise Losserand a été retrouvée.
Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Louise est affectée à plusieurs Kommandos de travail de Birkenau : marais, briques, sable, jardin…
Atteinte par le typhus, elle est admise au Revier [4] pendant un mois.
Elle rejoint le groupe qui est mis en quarantaine. Avec ses compagnes, elle rejoint le Kommando de couture.
Le 4 août 1944, Louise est transférée au KL Ravensbrück avec trente-quatre de ses camarades du convoi.
Le 2 mars 1945, avec trente-deux “31000”, Louise Losserand fait partie d’un convoi de 1802 détenues dirigées vers le KL Mauthausen, en Haute-Autriche (annexée au IIIe Reich) à environ 22 km de Linz, où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible ; c’est le plus grand convoi de femmes vers ce camp.
La plupart d’entre elles sont envoyées en commando à la gare de triage d’Amstetten, afin d’y déblayer les voies, soulevant rails et traverses. Un bombardement allié fait trente-quatre victimes, dont les trois dernières “31000” mortes en déportation.
Le 22 avril 1945, Louise Losserand fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique.
Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville. Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.

Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville.
Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.

De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril, veille du 1er mai 1945, pour le défilé. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.
L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’Occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Après son passage par le centre d’accueil (et de contrôle) des déportés aménagé dans l’hôtel Lutetia, le groupe se disperse rapidement.
Un an après la Libération, la rue de Vanves prend le nom de Raymond Losserand.
© Mémoire Vive, 2019.

© Mémoire Vive, 2019.

Une plaque est également apposée à l’angle du 109 de la rue Didot et de la villa Dehayes, devant laquelle où les Renseignements généraux enregistreront plusieurs cérémonies d’hommage organisées par le PCF.
© Mémoire Vive, 2019.

© Mémoire Vive, 2019.

Selon Charlotte Delbo, Louisette a beaucoup de peine à se réadapter, si toutefois on peut dire qu’elle se réadapte : elle ne peut pas travailler.
Comme elle a été arrêtée en même temps que son mari – dont elle partageait les risques -, Louise Losserand n’a pas obtenu la carte de déportée résistante, mais celle de déportée politique, n’étant homologuée que comme soldat de 2e classe dans la Résistance intérieure française (R.I.F.).
Le 4 décembre 1952, elle se remarie à la mairie du 14e arrondissement.
Louisette décède le 17 mars 1991 à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).
Le 25 juin 2019, suite à une délibération d’habitants du quartier, puis un vote du conseil municipal de Paris en 2017, le jardin arboré créé en 1977 entre de hauts immeubles et s’ouvrant sur la rue Raymond Losserand à la hauteur du n° 145 – un temps désigné comme « place de la Fontaine » -, est officiellement dénommé « place Louise Losserand, 1904-1991, résistante communiste ». Au cours de la cérémonie, la plaque est dévoilée par Carine Petit, maire du 14e arrondissement, Ian Brossat, conseiller de Paris, maire-adjoint chargé du logement, de l’habitat durable et de l’hébergement d’urgence, et Yves Jégouzo, co-président de Mémoire Vive.
© Claudine Ducastel, Mémoire Vive.

© Claudine Ducastel, Mémoire Vive.

Notes :

[1] O.S. : organisation spéciale armée du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.

[2] Frédo Sérazin :  Le 20 avril 1940, la compagnie de travailleurs la ferme Saint-Benoît part pour le camp d’Utelle (Alpes-maritimes). En août, Fredo Sérazin est conduit au centre de séjour surveillé de la citadelle de Sisteron. Le 14 mars 1941, il s’en évade avec Henri Douillot. Il retrouve France à Paris le 24 mars. Quatre jours plus, il est arrêté dans la planque partagée avec Jacques Woog (?), envoyé au dépôt de la préfecture de police. Début avril, la 12e chambre correctionnelle le condamne à quatre mois de prison. Il est écroué à la Santé. En mai, il est transféré à Fresnes. Début juillet, à l’expiration de sa peine, il est ramené au dépôt. En août, il est interné au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique). ​Puis il est transféré au camp français de Voves, où France Sérazin lui rend visite le 13 mai 1942 pour le repérage de son évasion. Il s’en évade en septembre 1943, ignorant l’exécution de France sept mois plus tôt, et rejoint la Résistance dans la Loire, sous le pseudonyme de Maurice. Arrêté par la milice et torturé, il est exécuté le 15 juin 1944 ; son corps est retrouvé devant le siège de la Gestapo.

[3] Le 21 octobre 1942 au stand de tir de Balard, sont fusillés : Irénée Appéré (29 ans), Gaston Bérault (20 ans), Marie-Émile Besseyre (35 ans), Gaston Carré (36 ans), Raymond Delaune (21 ans), Georges Demesy (46 ans), Henri Douillot (41 ans), Edmond Fantin (38 ans), André Faure (29 ans), Marcel Fischer (29 ans), Édouard Larat (41 ans), Jean Lefebvre (21 ans), René Legrand (38 ans), Raymond Losserand (39 ans) et Lucien Micaud (19 ans).

[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[5] Revier. Selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, les Éditions de Minuit, édition 1993, pages 187-188.
- Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes, Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, Automne 1941, collection Nouvelles études contemporaines, Fayard, février 2004, p. 239, 241, 367-368.
- http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article24518, notice LOSSERAND Raymond, Jean, François par Claude Pennetier, version mise en ligne le 12 février 2009, dernière modification le 27 décembre 2018.
- Marie Cristiani, Mon Frédo, collection Paroles de femmes, éditions Arcanes 17, mai 2018, pages 26 et 27, 31, 41, 59.
- Alain Quella-Villéger, France-Bloch Sérazin, une femme en résistance (1913-1943), éditions des femmes-Antoinette Fouque, janvier 2019, pages 35, 51-59, 69-70, 143.
- Adam Rayski, Au Stand de Tir, Le massacre des résistants, Paris 1942-1944, éditions Opixido, mairie de Paris, octobre 2006.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers de la BS 2, procédures d’enquêtes, affaire Carré Douillot Losserand Besseyre (G B 102).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre du recrutement militaire, classe 1893, 4e bureau de la Seine (D4R1 761), Marié Eugène Joseph, matricule n° 1847 ; registre des mariages (V4E 9320), 22 février 1902, acte n° 329, Eugène Marié et Virginie Gélis (vue 10/30) ; registres des naissances du 11e arrondissement pour Albert, Arsène, Flore, Louise et Octave.
- http://www.parisrues.com/rues11/paris-11-rue-breguet.html
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Villa_Deshayes

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-07-2019)

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