Marguerite Corringer. Photo anthropométrique
prise le 17 mars 1942 au service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

La jeunesse

Marguerite Helleringer naît le 15 juin 1902 à Paris 20e, chez ses parents, Michel Helleringer, 24 ans, lorrain d’origine, et Élisa Pïnck, son épouse, 23 ans, domiciliés au 9, rue des Haies. Son père travaille comme tôlier dans une entreprise de la rue Godefroy-Cavagnac, dans le 11e arrondissement.

Pour gagner sa vie, Marguerite exerce tous les métiers : femme de chambre dans un palace de l’avenue Montaigne, gérante d’un kiosque à journaux dans une gare de banlieue, vendeuse de billets de la loterie nationale…

Le 6 décembre 1919 à Paris 20e, elle se marie avec Nicolas Pinck (un cousin ?).

L’engagement politique

Le 26 mai 1928 à Paris 7e, Marguerite se marie avec Jean-Louis Corringer, né le 8 novembre 1906 à Robert-Espagne (Meuse), graveur sur métal ; il sera graveur sur acier à la fabrique-caroucherie Gaupillat, au 43 bis, rue de Vaugirard dans le bas Meudon.

Militant communiste à partir de 1934, celui-ci devient trésorier de la cellule du Centre à Vigneux-sur-Seine. Élu conseiller municipal en 1935 sur la liste présentée par le parti communiste dans cette commune, il est désigné comme maire-adjoint. Ils habitent alors au 2, rue du Maréchal Ney.

La Résistance

Dès 1940, le couple participe à la lutte clandestine. Jean Corringer met son appartement parisien, au 54, rue Haxo, à Paris 20e, à la disposition du Parti communiste clandestin. De son côté, Raymond Ballet, employé du métro, lui prête sa chambre au 57 rue de la Jarry à Vincennes. Marguerite partage la vie de son mari, les risques encourus, tout en menant des tâches spécifiques : surveiller le collage des affiches ; se procurer de l’encre pour les ronéos qui impriment les tracts, partant très tôt le matin, inonder les premières rames de métro de liasses d’Humanité.

L’arrestation

Le 28 février 1942,au métro Reuilly-Diderot, Marguerite Lamy est arrêtée avec Arthur Dallidet, responsable national aux cadres du PCF clandestin, par les inspecteurs de la BS1 (brigade spéciale de la police française), porteuse de sa carte d’identité, indiquant son domicile légal. Les inspecteurs trouvent également une enveloppe contenant de l’argent et un « passe » avec l’adresse de Jean-Louis Corringer, « boîte aux lettres » pour Jean Jérôme, destinataire des fonds.

Marguerite et son mari sont arrêtés le 6 mars 1942, probablement à l’adresse de Paris, en même temps que Georges Bétemps, militant de Vigneux qui s’y trouve avec eux. Le jour même, le nom de Jean Corringer est inscrit sur une « liste de militants ou membres du parti communiste du département de Seine-et-Oise qui ont disparus de leur domicile » publiée par les Renseignements généraux de Versailles.

Marguerite reste quatre jours dans les locaux des Renseignements généraux, à la préfecture de police, sur l’île de la Cité. Le 10 mars, elle est envoyée au Dépôt, sous le Palais de Justice.

Le 23 mars, elle est transférée au quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, au secret. Le 24 août 1942, elle fait partie des détenus – dont trente-cinq futures “31000” – internés au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122 ; Marguerite Corringer y est enregistrée sous le matricule n° 656. Jean, son mari, est interné dans le secteur des hommes. Un professeur de dessin, Robert Dartagnan, de Cognac (Charente), y dessine son portrait qui sera conservé par Serge Choumoff.

L’exécution de Jean Corringer

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Jean-Louis Corringer. Photo anthropométrique
prise le 17 mars 1942 au service de l’identité judiciaire.
© Archives de la préfecture de police, Paris.

Désigné comme otage le 11 septembre 1942, Jean Corringer est fusillé avec 46 compagnons – dont Raymond Ballet et Gaëtan Lamy, mari de Marguerite – au Mont Valérien le 21 septembre 1942, à 9 h 50. Il a 36 ans. Comme il est interné au fort de Romainville jusqu’à son exécution, Marguerite est autorisée à lui dire adieu la veille [1].

La déportation de Marguerite Corringer

Le 22 janvier 1943, Marguerite Corringer fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1»). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne – sur la commune de Margny – et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Marguerite Corringer y est enregistrée sous le matricule 31657. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Marguerite Corringer tombe malade dès l’arrivée à Birkenau ; elle est admise au Revier [3] tout de suite – de sorte qu’elle n’a pas été photographiée le 3 février 1943 -, elle a toutes les maladies : dysenterie, typhus exanthématique, abcès, mastoïdite (elle est opérée par un médecin détenu), malaria.

Qu’elle en soit sortie et ait pu rejoindre ses camarades survivantes en quarantaine le 3 août 1943 relève de l’inexplicable. Exceptées celles du Kommando de Raïsko, toutes sont isolées dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes.

Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.

Au même moment, les détenus politiques français d’Auschwitz et Birkenau obtiennent le droit d’écrire, malgré leur enregistrement au camp sous le statut “NN”.

En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche ». Depuis les fenêtres de cet atelier, elles voient l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.

Le 2 août 1944, Marguerite Corringer fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent le deux jours plus tard ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.

Suite au débarquement des armées alliées en France, le courrier ne franchit plus le nouveau front qui s’est créé à l’Ouest.

Le 2 mars 1945, Marguerite Corringer est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen où elle arrivent le 5 mars, après un voyage très pénible. Par la suite, en les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).

Le retour à la liberté

Le 22 avril 1945, Marguerite Corringer fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall en Suisse. De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Le lendemain de son arrivée à Paris, Marguerite Corringer participe au défilé du 1er mai.

Après guerre, travaillant comme conditionneuse, elle reste une femme très malade, subissant une grave opération, souffrant de grande fatigue.

En 1951, elle est néanmoins candidate aux élections municipales, à Alfortville, sur la liste conduite par le général Joinville.

À une date restant à préciser, la municipalité de Vigneux donne le nom de Jean Corringer à une rue de la commune.

Son nom est également inscrit – parmi les « victimes civiles » – sur le monument aux morts de Vigneux, situé dans le cimetière communal, sur le monument « La commune de Robert-Espagne à ses enfants morts pour la France », situé à la sortie sud du village (au milieu de la côte sur la D 997), ainsi que sur la cloche commémorative du Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine – 92) : «  Aux résistants et aux otages fusillés au Mont-Valérien par les troupes nazies 1941-1944, et à tous ceux qui n’ont pas été identifiés ».

Marguerite Corringer décède le 13 juin 1999 à Villejuif (Val-de-Marne).

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 72-73.
- Martine Garcin, site internet.
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, page 206.
-Le Maitron en ligne, dictionnaire bibliographique du mouvement ouvrier, mouvement social, site internet ; notice de Jean Corringer par Jean-Pierre Besse, notice de Raymond Ballet par Daniel Grason et Claude Pennetier ; notice de Marguerite Lamy par Paul Boulland.
-Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 32 à 45, 74 à 87.
-Fusillés de l’Essonne au Mont-Valérien, ouvrage collectif, éditions des amis estoniens du Musée de le Résistance nationale, avril 2012, notice de Martine Garcin, pages 38 à 40.
- Archives de la mairie de Paris, site internet, archives numérisées en ligne, registre des naissances du 20e arrondissement pour l’année 1902 (cote V4E 10821), acte n° 2186 du 17 juin.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 6-09-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les fusillés du 21 septembre 1942 :

Le 16 septembre 1943, la Sipo-Sd (Gestapo), qui a pris en charge la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions.

Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée), soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”.

Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment ».

Entre temps, le 17 septembre à 21h55, la résistance communiste a frappé le grand cinéma Rex, boulevard Poissonnière à Paris, réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino), faisant deux morts et dix-neuf blessés. Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade du 21 septembre n’est donc pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés, le “complément” étant trouvé à Bordeaux.

Le 19 septembre, un avis de Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, est publié dans les quotidiens auxquels les internés du fort ont indirectement accès : « Par suite d’attentats commis par des agents communistes et des terroristes à la solde de l’Angleterre, des soldats allemands et des civils français ont été tués ou blessés. En représailles pour ces attentats, j’ai fait fusiller 116 terroristes communistes, dont la participation ou la complicité à des actes terroristes ont été prouvées par des aveux. En outre, d’importantes mesures de déportation ont été prises. »

Le 20 septembre, dans l’après-midi, quarante-six hommes internés au fort de Romainvillle sont appelés pour être conduits à la casemate n° 22. Ils pensent d’abord partir en déportation, puisqu’il est écrit que la fusillade a déjà lieu. Ce n’est qu’une fois enfermés qu’on les informe qu’ils seront fusillés le lendemain.

Le 21 septembre 1942, entre 9 h 20 et 10 h 47, quarante-six otages sont fusillés par groupe de cinq puis de trois, dans les fossés du fort du Mont-Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine – 92).

Le même jour, soixante-dix otages, désignés parmi des détenus placés sous l’autorité de la Feldkommandantur 529 de Bordeaux, sont fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle (Gironde – 33).

[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

[3] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.