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Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Alice Gardelle naît le 1er avril 1906 à Paris. Son père, originaire de Charente, travaille chez Renault à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine – 92). En 1917, sa mère – qui a peur de la “grosse Bertha” (bombardements au canon sur la capitale) – quitte Paris avec ses quatre enfants. Réfugiée à Javrezac (Charente – 16), elle envoie Alice à l’école libre, puis, la guerre terminée, elle monte une petite entreprise de tricot artisanal où elle travaille avec ses filles.

En 1926 à Paris, Alice épouse Louis Cailbault, ouvrier chez Renault et lui aussi originaire des Charentes. Ils ont une fille, Andrée, née la même année.

En 1936, les époux retournent dans leur région d’origine : Louis Cailbault reprend le bail d’une ferme à la suite de son père, à Saint-Laurent-de-Cognac (Charente – 16)), petit village situé à cinq kilomètres à l’ouest de Cognac, à la limite des deux départements charentais. Mais Alice ne devient pas fermière : elle a une machine à tricoter et elle travaille pour des magasins d’abord, puis pour une clientèle privée qui devient assez importante.

En juin 1940, Louis Cailbault est fait prisonnier à Dunkerque et conduit dans un Stalag en Allemagne. Alice reste seule à Saint-Laurent-de-Cognac avec sa fille Andrée, le père Gardelle, une vieille servante et un petit domestique. La laine est rare. Cette fois, elle est fermière.

En juillet 1942, Margot Valina, son amie d’enfance, lui demande d’héberger des résistants, à l’occasion. Alice accepte.

Le 12 août 1942, à cinq heures du matin, une quarantaine d’Allemands, venus dans deux camions, cernent la ferme Cailbault. Ils n’y trouvent rien, ni personne autre que les habitants. Des Francs-tireurs et partisans (FTP) y avaient encore couché la nuit précédente – veillée d’armes avant un sabotage. Alice et sa fille Andrée (dix-huit ans) sont arrêtées, emmenées à la Kommandantur de Cognac, d’où la fille est relâchée dans la matinée.

Selon Charlotte Delbo, cette arrestation est consécutive à la trahison de Ferdinand Vincent, cadre de la résistance communiste, arrêté chez Annette Épaud le 28 juillet précédent et “retourné” par le commissaire Poinsot. Andrée Cailbault a témoigné après guerre que Vincent est venu la voir quelques jours plus tard en lui disant qu’il s’était trouvé avec sa mère à la Kommandantur. Cette apparence de liberté d’action est surprenante à ce moment précis pour un homme qui n’est pas officiellement libéré (une pseudo-évasion sera mise en scène à la mi-novembre 1942).

Alice Cailbault est emprisonnée au fort du Hâ, à Bordeaux.

Après l’arrestation de sa mère, Andrée Cailbault a fait marcher la ferme avec son grand-père maternel et une tante, sœur de sa mère, venue de Paris pour l’aider. Elle ravitaille régulièrement des familles de résistants et va porter les produits de la ferme jusqu’à Saintes.

Le 16 octobre 1942, Alice Cailbault est parmi les 70 hommes et femmes – dont Ferdinand Vincent et 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Alice Cailbault y est enregistrée sous le matricule n° 961.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer). Début janvier 1943, Annette Épaud parvient à faire sortir clandestinement une lettre adressée à sa famille dans laquelle elle signale que les “Charentaises » ignorent ce que sont devenus leurs hommes, arrêtés avec elles.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Alice Cailbault fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Au cours du trajet vers Compiègne, Alice Cailbaut parvient à transmettre un premier message à sa fille.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

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Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire). Alice Caibault jette enore deux autres messages destinés à sa fille : un à Compiègne et un dernier au cours du trajet en France [1].

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Alice Cailbault y est enregistrée sous le matricule 31738. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Alice Cailbault a été retrouvée).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Bientôt, ayant les jambes très enflées (œdème probable) et pouvant à peine marcher, Alice Cailbault est admise au Revier, l’« hôpital » du camp.

Elle meurt au camp de femmes de Birkenau le 8 mars 1943.

Au mois d’avril suivant, les parents reçoivent, par la mairie de Saint-Laurent-de-Cognac, un avis officiel d’Auschwitz : « Alice Cailbault décédée dans un hôpital le 8 mars 1943 et inhumée dans un cimetière en Allemagne. »

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 57-58.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Roger Arnould, Les témoins de la nuit, collection L’enfer nazi en quatre volumes publiée par la FNDIRP, 2e édition avril 1979, page 47 à 51.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 156 (14105/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 1-10-2011)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les trois messages d’Alice Cailbault, par Roger Arnould : « Alice Cailbault […] écrivit trois lettres, chacune rédigée, à quelques nuances près, dans les mêmes termes. Elle jeta ses lettres en trois lieux très espacés sur le parcours, en espérant qu’une au moins parviendrait à la destinataire : sa fille âgée de seize ans. […]  :

 

«  Serais infiniment reconnaissante à qui voudrait bien avertir ma fille à l’adresse suivante : Mlle Andrée Caiibauit, Saint-Laurent-de-Cognac – Charente : 24.1.43. Nous partons toutes en Allemagne ; je ne comprends pas pourquoi on nous envoie si loin. Chère petite, bon courage. Si tous les prisonniers d’Allemagne rentrent, ton papa sera peut-être rentré avant moi. J’en serais bien réconfortée. Mille baisers de ta maman qui pense à toi toujours. Merci à la personne qui sera assez bonne. Alice Cailbault.  »

Et voici ce qu’il advint des trois exemplaires de la lettre. Le premier, lancé ou remis en cachette à quelqu’un dans la banlieue parisienne est arrivé à destination avec le mot d’accompagnement suivant :

«  Mademoiselle. Chargé de vous prévenir du départ de Mme Cailbault de Romainville pour direction Compiègne (Oise) probablement Royallieu. Un Français de cœur. »

 La deuxième lettre, jetée en gare de Compiègne, sans doute au moment du transfert d’un train dans l’autre, parvint elle aussi avec un mot :

«  Compiègne 25.1.43. Trouvée et envoyée par un père de famille compiégnois.  »

La troisième, lancée du train près de Laon, arriva à l’adresse d’Andrée Cailbault accompagnée d’une autre lettre :

«  Aisne 26.1.43. Mademoiselle, je me fais un devoir de vous transmettre une lettre jetée avec plusieurs autres d’un train le 24 janvier entre Laon et Reims. Ce train, comme vous l’apprendra la lettre, emmenait votre mère en exil.

Pour la première fois de ma vie, je ne pourrai signer une lettre mais je voudrais, Mademoiselle, que dans l’émotion que vous éprouvez, vous puissiez sentir la très vive compassion qu’une famille entière partage.

Veuillez agréer mes vœux sincères pour les vôtres et pour vous-même. Je souhaite de tout cour que vous trouviez un réconfort dans l’espoir de voir revenir bientôt ceux qui vous sont chers.

Dites-leur à leur retour que des inconnus ont pensé à eux et prié pour eux…  »

Ce ne fut pas tout. Quelques mois après la libération de la France, Andrée Cailbault, la petite paysanne charentaise, reçut une nouvelle lettre, datée du 10 janvier 1945 :

«  Mademoiselle. On peut maintenant causer et signer ses lettres. La seule que j’aie jamais envoyée sans la signer, c’est vous qui avez dû la recevoir fin janvier 1943. C’était une nécessité. Je vous transmettais une lettre de votre mère jetée d’un train de déportés en gare de Saint-Erme (Aisne) le 25 janvier. Ce train allait en Allemagne et j’ai pu ainsi envoyer à leurs destinataires un assez grand nombre de lettres. Je serais heureux de savoir si vous avez reçu cette lettre et surtout si vous avez des nouvelles de cette pauvre exilée. Veuillez aussi croire à mes bien sympathiques sentiments.

[signé] A. Baudoux.

[…]

Mais, même en janvier 1945, des mois après la libération des territoires de l’Aisne aux Charentes, un homme aussi attentif que M. Baudoux ne pouvait toujours pas imaginer ce qu’avait pu être le terrible calvaire de la «  pauvre exilée  ». Pour le savoir, il fallait attendre la défaite nazie de mai 1945. Alors seulement, le monde stupéfait allait découvrir l’horreur des crimes commis. »