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À Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Hélène Demangeat naît le 24 juillet 1898 à Thaon (Vosges – 88).

Après le certificat d’études, elle quitte son pays natal pour aller travailler dans une filature, à Troyes (Aube – 10).

Dans cette usine, elle rencontre René Antoine, mécanicien-ajusteur, né le 21 juin 1904 à Bordeaux (Gironde – 33). Ils se marient et partent s’installer peu après dans les environs de Bordeaux. Ils ont un fils, Michel, né vers 1932.

Au moment de leur arrestation, ils sont domiciliés au 91 cours de Luze à Bordeaux. René Antoine, alors ouvrier à l’usine d’aviation SNCASO du quartier de Bacalan, rue Blanqui, est fiché comme communiste.

Pendant l’occupation, Hélène et René Antoine sont dans les Francs-tireurs et partisans (FTP). Ils ont creusé un trou dans leur jardin pour y cacher des armes, ils hébergent des résistants entrés en clandestinité.

Le 4 août 1942, interrogé après sa deuxième arrestation par le commissaire spécial Poinsot des RG de Bordeaux, l’ancien clandestin communiste Pierre Giret met en cause René Antoine, qu’il avait précédemment contacté sur instruction de Lucien (Arlas). Il déclare que René Antoine est susceptible d’héberger des individus dans l’illégalité et que celui-ci lui avait remis un “yatagan” fourni par Robert Laurent, un “garagiste” d’Eysines qui pourrait en avoir quatre cents autres.

Lors de son interrogatoire du 13 août, l’épouse de Pierre Giret elle-même dénonce la famille Antoine qui l’a hébergée une dizaine de jours après son évasion (?) de l’Hôpital Saint-André. Elle révèle les « paroles imprudentes échappées au jeune Antoine » (Michel, 10 ans) : « le père aurait caché des revolvers ». Elle ajoute : « suivant les dires de la mère, des armes des bombes et des pièces détachées de mitrailleuses seraient également cachées dans une maison dont elle a la garde. J’ai l’impression que ce dépôt intéresse une organisation gaulliste ».

Ce qu’on peut savoir : René Antoine avait reçu deux colis d’explosifs qu’il avait confiés à Marcel Villenave pour que celui-ci les dissimule.

Le 26 août 1942, toute la famille Antoine est arrêtée par la police française.

Hélène et son fils Michel sont emprisonnés à la caserne Boudet, rue de Pessac à Bordeaux, qui dispose d’une prison militaire utilisée comme annexe du Fort du Hâ.

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Carte postale, avant 1917. Collection Mémoire Vive.

Quelques jours plus tard, la police place l’enfant âgé de dix ans au Haut-L’Evêque, à l’Alouette, Pessac (33), un sanatorium où des enfants qui ne sont pas malades occupent un quartier. Dès qu’il apprend où est l’enfant, un oncle, frère de René Antoine, va le chercher et, avec la complicité d’un directeur de l’établissement, le retire (le bruit court que ces enfants vont être déportés). Le petit Michel, caché dans le camion à gazogène de son oncle, est conduit chez des amis, dans les Pyrénées.

René Antoine subit des « interrogatoires répétés », selon la terminologie de Poinsot (rapport du 14-09-1942).

Le 21 septembre 1942, il est un des soixante-dix otages fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle, avec Marcel Blateau, Alexandre Pateau, Lucien Vallina et d’autres époux de futurs “31000”, arrêtés dans d’autres circonstances. Ces représailles massives touchent Bordeaux bien que les actions de la résistance armée qui les déclenchent aient essentiellement été menées à Paris ; comme la dernière, frappant le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) le 17 septembre à 21h55 et faisant deux morts et dix-neuf blessés. [1]

Le 16 octobre 1942, Hélène Antoine est parmi les soixante-dix hommes et femmes – dont trente-trois futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas* (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément du Frontstalag 122 complété ensuite par Royallieu. Hélène Antoine y est enregistrée sous le matricule n° 962. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Hélène Antoine fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

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Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Hélène Antoine y est enregistrée sous le matricule 31775. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Hélène Antoine a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées quelques compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Hélène Antoine meurt à Birkenau entre février et juin 1943 d’après le ministère français des anciens combattants ; son acte de décès au camp n’a pas été retrouvé. Il n’y eu aucun témoignage : toutes celles de son petit groupe avaient disparu. Le frère de René Antoine reçoit pourtant de la mairie un papier en français : « Hélène Antoine est morte d’un phlegmon », sans autre précision.

Ch. Delbo : « Aujourd’hui (1965 ?), leur fils, Michel Antoine est marié et père de cinq enfants. C’est un ouvrier. II n’a pas fait les démarches en temps utile pour que ses parents soient homologués dans la R.I.F. Il n’a pas la carte qui a été délivrée aux ayants-cause et ne peut plus l’obtenir. Faute de quoi il n’a pas reçu l’indemnisation des Allemands. “Forclos”, dit le ministère. »

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 31-32.
- René Terrisse, À la botte de l’Occupant. Itinéraires de cinq collaborateurs, Bordeaux, éditions Aubéron, 1998, chap. II, pp. 37-39.
- Commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, Les otages de Bordeaux (20.9.1942), pages 174 à 179, et 233 à 246, fiche allemande, page 241.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 30-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] La fusillade d’otages du 21 septembre 1942 : le 16 septembre 1942, la Sipo-Sd, qui a pris en charge de la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée) soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”. Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment » Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade de Souge n’est pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés et c’est surtout à Bordeaux que sera trouvé le complément. Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, entérine les propositions : « J’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris. » L’avis affiché précise : « …lesquels ont été trouvés coupables d’activités anti-allemandes ou communistes ».

Fiche allemande :

30. ANTOINE René, 21.6.1904 Bordeaux, Bordeaux. A. est un vieux communiste, était en liaison avec des groupes terroristes, a hébergé des fonctionnaires en fuite dans l’illégalité, a camouflé des bombes, des explosifs et munitions.

Selon la terminologie allemande, il est évident que « vieux communiste » veut dire « communiste de longue date ».