JPEG - 8.7 ko
Photographiée au fort de Romainville (Haftlager 122).
Droits réservés.

Marie Corot naît le 27 février 1890 à Beaune (Côte-d’Or – 21), fille de Jacques Corot, 34 ans, terrassier demeurant à Beaune (Ch. Delbo écrit « tailleur de pierre à Dijon »), célibataire, et de Marie Bailly, 26 ans, célibataire, demeurant avec lui. Le couple se marie le 21 février 1901 à Dijon (21).

Orpheline de bonne heure, Marie est confiée à l’Assistance publique.

Quelques années après avoir quitté l’école communale, elle vient “se placer” dans la région parisienne : cuisinière-serveuse dans un restaurant de Levallois-Perret (Seine / Hauts-de-Seine – 92). En 1922, elle est domiciliée au 30 rue Cavé.

Le 10 avril 1922 à Gennevilliers (92), âgée de 32 ans, elle se marie avec François Eugène Le Corre, 38 ans, veuf depuis 1916, chauffeur, domicilié 86 avenue de Paris. Ils divorceront le 19 mars 1931.

Puis elle se met en ménage avec Lucien Émile Dubois, né le 28 août 1905 à Argenvières (Cher), cantonnier ou forain, et, en 1936, ils prennent un café à Saint-Denis (Seine / Seine-Saint-Denis), au 49, route d’Aubervilliers, à l’angle de la villa Thierry. Marie se déclare comme « marchande de vins ». Ils se marient le 8 avril 1939 ; elle a alors 49 ans, il en a 33.

En juin 1940, Lucien Dubois, mobilisé, est fait prisonnier de guerre.

En 1942, Marie Dubois tient seule le café ; une belle-sœur qui vient parfois l’aider est intriguée par les allées et venues dans  l’établissement, par les commissions que fait Marie Dubois, partant sans dire où elle va avec quelque chose sous son tablier : le café est un rendez-vous de résistants et une “boîte aux lettres”.

Selon la rumeur publique, une voisine la dénonce.

À la fin de septembre 1942, Marie Dubois est arrêtée par la Gestapo alors qu’elle fait sa lessive : « Juste un renseignement ». Elle suit les Allemands sans avoir le temps d’ôter son tablier. Ils l’interrogent rue des Saussaies et l’envoient tout de suite au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis) [1], premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée le 29 septembre sous le matricule 825, en même temps que sept autres futures “31000”, dont Yvonne Cavé, concierge dénoncée avec son mari par un locataire, enregistrée sous le matricule 821, et Lucienne Lebreton, concierge dénoncée par un couple de locataires trafiquant des cartes de pain, enregistrée sous le matricule n° 822.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 15 janvier 1943, Lucien Dubois est libéré de son Stalag au titre de « la Relève », un accord de collaboration selon lequel un prisonnier de guerre est libéré pour deux ouvriers partis travailler en Allemagne. Il se présente au fort le 21 ou 22 janvier, à la veille du départ, mais on lui refuse une entrevue avec sa femme.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Marie Dubois fait partie des deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Marie Dubois y est enregistrée sous le matricule 31693. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil.

JPEG - 82.7 ko     Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.     Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.     Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Un matin où le médecin SS demande à celles qui ne peuvent supporter l’appel de se désigner, Marie Dubois lève la main. Bien qu’elle ne sache pas encore quel mouroir est le Block 25 (les “31000” ne sont à Birkenau que depuis une dizaine de jours), Marie-Elisa Nordmann pense qu’il faut se méfier et essaie de la retenir : « Reste avec nous. Tu ne sais pas où ils vont t’emmener. Reste. » – « Oh, tu sais, maintenant ou dans quinze jours… » Et Marie Dubois sort du rang.

Elle meurt au Block 25 du camp de femmes de Birkenau, le 10 février 1943.

À la fin de l’année 1943, Lucien Dubois est convoqué rue des Saussaies, où un interprète lui apprend la mort de son épouse, survenue « à la suite d’une crise d’urémie ».

Le 15 mai 1945, au lendemain de la capitulation allemande, le Conseil municipal de Saint-Denis attribue le nom de Marie Dubois à l’ancienne rue Corradi, située entre la rue Danielle Casanova et la rue Le Roy des Barres : « rue Marie Dubois 1890-1943, Résistante dionysienne morte en déportation ».

Un plaque commémorative est apposée sur le petit immeuble du 57, rue Danielle Casanova (anciennement route d’Aubervilliers) : « Ici vécu Marie Dubois, victime de la déportation, 1890-1943 ».

Son nom est également inscrit sur la plaque dédiée aux Dyonisiens déportés entre 1940 et 1944, apposée place de la Résistance.

Notes :

[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 98-99.
- Archives départementales de la Côte-d’Or, site internet, archives en ligne, registres d’état civil de Beaune, années 1889-1891, cote FRAD021EC 57/106, année 1890, acte n°31 (vue 171/598) ; archives départementales de Saône-et-Loire, site internet, archives en ligne, registres d’état civil de Sommant, années 1853-1862, cote 5 E 527/7, année 1855, acte n° 39 (vue 16/189).
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 34-35, 46.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; 120 actes retrouvés pour les « 31000 » ; tome 2, page 242 (6597/1943).
- François Tanniou, association Mémoire et création numérique, site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 23-11-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).