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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Alida, Victorine, Augustine, Charbonnier naît le 23 juillet 1907 à Fécamp (Seine-Maritime [1]), chez ses parents, Auguste Charbonnier, 33 ans, maçon, et Marie Malaudin, 36 ans, son épouse, domiciliés au 16, rue Queue de Renard. Plus tard, la famille s’installera rue du Sépulcre.

Alida fréquente l’école communale Paul-Bert jusqu’au certificat d’études, puis apprend la couture.

Le 6 octobre 1928, à Fécamp, Alida Charbonnier se marie avec Robert Delasalle, né le 13 septembre 1904 à Fécamp, alors garçon boulanger demeurant chez ses parents au 42, rue des Renelles.

Avant la guerre, Alida et son mari sont communistes. Ils habitent au 13, passage Sautreuil, à Fécamp.

Dès que se forment des noyaux de résistance qui formeront le Front national, ils y participent à la Résistance : liaison, distribution de tracts, ravitaillement des clandestins. Boulanger, Robert Delasalle fournit du pain sans tickets aux combattants qui n’ont ni identité ni cartes d’alimentation.

Peu avant son arrestation, il est possible qu’il soit « employé par une firme allemande à des travaux sur la côte de la Manche ». Dans la même période, il met son appartement « à la disposition d’une dirigeante haut placé du PCF clandestin, également arrêtée [qui y a] des entretiens avec des collaborateurs clandestins ». Robert Delasalle est arrêté le 12 février 1942, « au cours du démantèlement du PCF clandestin de la région de Rouen ». Durant son interrogatoire, « il se comporte d’une manière particulièrement butée et récalcitrante ».

Dans le cadre d’une série de filatures commencées à Paris avec l’identification d’André Pican par des policiers de la brigade spéciale anticommuniste (BS 1), des noms, des adresses et des “passes” – par exemple l’une des deux moitiés d’une carte postale déchirée et dont chacun s’est vu remettre un bout – sont trouvés qui amènent les inspecteurs à poursuivre leurs investigations jusqu’à Rouen.

Le 20 février 1942, un policier muni d’un “passe” se présente comme un camarade clandestin à l’appartement de Rouen où Madeleine Dissoubray vit sous un faux nom, au 20, rue Montbret. Suzanne Roze est arrêtée le même jour après l’avoir retrouvée pour un contact clandestin dans les jardins de l’Hôtel de Ville. Suzanne résiste à tous les interrogatoires. Mais, dans sa poche, les policiers trouvent une lettre de sa mère, sans nom ni adresse. Le fait qu’un notaire y soit mentionné permet aux inspecteurs de remonter la piste. Le lendemain, ils sont à Fécamp. Questionnée, la mère de Suzanne leur dit ne pas connaître les activités de sa fille. Néanmoins, elle indique qu’elle lui donne régulièrement des nouvelles de son fils grâce à un intermédiaire. Les inspecteurs réussissent à identifier Alida Delassalle.

Ils l’arrêtent sur son lieu de travail, chez une corsetière. Ils fouillent leur logement, en vain : les tracts sont cachés dans les corsets, au magasin. Comme son mari, Alida nie jusqu’au bout.

Les époux Delasalle sont d’abord conduits à Rouen avec la mère de Suzanne Roze, retrouvant celle-ci et Madeleine Dissoubray. Transférés à Paris le 24 février 1942, ils sont interrogés à la préfecture de police puis dirigés sur le dépôt.

Alida Delasalle est envoyée quelques jours plus tard à l’infirmerie de la Maison d’arrêt pour femmes de la Roquette parce qu’elle a un furoncle au visage qu’il faut soigner. Quand elle regagne le dépôt en avril, elle n’y retrouve plus ses compagnes de Fécamp et de Rouen.

Le 30 avril, elle est conduite au quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), au secret. Interrogée par la Gestapo, elle persiste à nier.

Le 24 août, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, sur la commune des Lilas [2] (Seine / Seine-Saint-Denis), avec vingt-quatre futures “31000” arrêtées dans la même affaire, parmi lesquelles Madeleine Dissoubray, Suzanne Roze, Germaine Pican (arrêtée à Paris)…

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

Alida Delasalle y est enregistrée sous le matricule n° 683.

Elle entrevoit son mari qui est au quartier des hommes.

Le 21 septembre 1942, Robert Delasalle est parmi les quarante-cinq otages qui sont fusillés au fort du Mont-Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine) en représailles des actions de la résistance armée communiste [3]. Alida a été autorisée à lui dire adieu la veille.

Le 22 janvier 1943, Alida Delasalle est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [4] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Alida Delasalle y est enregistrée sous le matricule 31659. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, les “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande.

Le 12 février, la plupart des “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la “course” du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

À Auschwitz, Alida Delasalle doit aller cinq fois au Revier [5] (dysenterie, typhus, otites, opération d’abcès, crise cardiaque à la suite de coups).

Le 21 mars 1943, elle quitte Birkenau pour aller travailler au Stabsgebäude, comme couturière, avec Marilou Colombain.

La quarantaine, Ravensbrück et Mauthausen

Le 3 août, Alida est parmi les survivantes du convoi – exceptées celles du Kommando agricole de Raïsko – placées en quarantaine, dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes ; le Block 31a (?).

Charlotte Delbo précise : «  La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.

Début juin 1944, les Françaises de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche » (Ch. Delbo). Des fenêtres de cet atelier, elles voient l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.

Le 2 août 1944, Alida Delasalle fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent le 4 ; la plupart étant enregistrées comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando).

Le 2 mars 1945, Alida Delasalle est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.

En les transportant de nuit, on envoie la plupart d’entre-elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes un mois avant la libération du camp).

Le 22 avril 1945, Alida Delasalle fait partie des femmes prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall en Suisse. De là, les trente gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Un retour difficile

Alida se réadapte à grand-peine. Après son retour, elle passe des mois à l’hôpital : péricardite aiguë, névrite, rhumatisme général, opération gynécologique ; elle perd toutes ses dents ; les otites qu’elle a eues au camp l’ont rendue sourde ; elle souffre de troubles intestinaux graves, a des poumons sclérosés. Elle ne peut absolument pas travailler. Ses nuits sont agitées de cauchemars.

Après guerre, le conseil municipal de Fécamp donne le nom de Robert Delasalle au passage où le couple habitait.

Le 11 mai 1972, à Villejuif (Val-de-Marne), Alida Delasalle se marie avec Augustin Vasselin.

Elle décède le 28 avril 1986.

Elle est homologuée sergent dans la Résistance intérieure française (RIF).

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 84-86.
- Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en ligne ; registre des naissances de Fécamp, année 1907 (cote 4e 19703), acte n° 249 (vue 97/204) ; registre des mariages, année 1928 (cote 4e 19788), acte n° 134 (vue 68/109).
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979. les otages de Bordeaux (20.9.1942), pages 174 à 179, et 233 à 235, fiche allemande, page 211.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 5-07-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Les fusillades du 21 septembre 1942, au Mont Valérien et au camp de Souge : Le 16 septembre 1942, la Sipo-Sd, qui a pris en charge la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée) soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”. Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment ». Entre temps, le 17 septembre à 21h55, la résistance armée frappe le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino), faisant deux morts et dix-neuf blessés. Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade de Souge n’est pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés et c’est surtout à Bordeaux que sera trouvé le complément. Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, entérine les propositions : « J’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris. » L’avis affiché précise : « …lesquels ont été trouvés coupables d’activités anti-allemandes ou communistes ».

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[5] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus, ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.