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Photo anthropométrique prise par le service
de l’identité judiciaire le 15 juillet 1942.
Archives de la préfecture de police de Paris. Droits réservés.

Lucienne Caccia naît le 3 juin 1915 à Gérardmer (Vosges), dans une famille d’immigrés italiens de quatre enfants. Son père est chef de chantier en maçonnerie, sa mère est ouvrière bobineuse.

Après le certificat d’études, Lucie est embauchée à l’usine de tissage de Gérardmer, où travaille sa mère.

Le 23 décembre 1932, Lucie se marie avec Lucien Mansuy, né vers 1909, garçon de café, militant communiste, secrétaire de cellule. Le couple demeure au 68, rue des Fabriques à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Pendant la guerre d’Espagne, Lucien Mansuy s’engage dans les Brigades internationales pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Arrivé le 14 avril 1938, il est affecté à la 3e compagnie du 4e bataillon (de quelle brigade ?). Le 28 juillet 1938, au cours de l’offensive républicaine du passage de l’Ebre (El paso del Ebro), il est tué devant Tortosa.

En août 1940, Lucie Mansuy habite à Paris, chez son nouveau compagnon, Maurice Quédec, né le 11 novembre 1909 à Quimper (Finistère), domicilié au 14, rue Denoyez dans le 20e arrondissement. Travaillant chez Renault dès 1936, celui-ci a adhéré au Parti communiste et était membre avant-guerre des Comités de défense de L’Humanité et de l’association des Amis de l’Union soviétique.

La Résistance et l’arrestation

Dès le début de l’occupation, le couple s’engage dans la Résistance. Lucie est agent de liaison, elle distribue journaux clandestins et tracts.

Maurice Quédec appartient au même groupe qu’Yves Despouy et Jean Pottier (voir également Raymonde Salez et Lucie Pecheux).

Le 18 juin 1942 à 6 heures du matin, le couple est arrêté à son domicile par des inspecteurs des Brigades spéciales (BS1), dans le cadre d’un coup de filet concluant des filatures commencées à l’automne 1941, notamment celle d’Arthur Tintelin, chargé de payer les graveurs, photograveurs et imprimeurs de la propagande clandestine du PCF.

Tous deux sont interrogés dans les locaux des Brigades spéciales à la préfecture de police, puis écroués au Dépôt.

Le 10 août, Maurice Quédec est livré aux Allemands au camp du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis). Le lendemain, 11 août, il est fusillé au fort du Mont Valérien, à Asnières (Hauts-de-Seine) parmi quatre-vingt-huit otages. Ce jour-là, le journal collaborationniste Le Matin publie un « Avis » signé d’un responsable SS : « Malgré plusieurs avertissements, le calme a de nouveau été troublé sur certains points de la France occupée. Des attentats ont été perpétrés contre des soldats allemands par des terroristes communistes à la solde de l’Angleterre. […] J’ai en conséquence, fait fusiller 93 terroristes qui ont été convaincus d’avoir commis des actes de terrorisme ou d’en avoir été complices ».

Le 20 août, Lucie Mansuy est transférée à son tour au fort de Romainville, en même temps que Christiane Charua (« Cécile »). Elle y est enregistrée sous le matricule n° 641.

Le 22 janvier 1943, Lucie Mansuy est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [1] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Lucie Mansuy y est enregistrée sous le matricule 31648. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Lucie Mansuy n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Lucie Mansuy réussit à tenir dans le Kommando travaillant dans les marais et dans celui assurant le transport des briques, malgré un bras démis par un coup de bâton.

En avril, victime du typhus, elle est admise au Revier. Rétablie, elle part travailler au Kommando agricole de Raïsko où elle retrouve d’autres “31000”.

Le 7 janvier 1944, il est prévu qu’elle soit transférée au camp de femmes de Ravensbrück dans un petit groupe de jardinières de Raïsko, mais, constatée fiévreuse, elle doit retourner au Revier.

Remise de la maladie, elle rejoint les camarades de son convoi qui ont été placées dans le Block de quarantaine du camp des femmes.

Ravensbrück et Mauthausen

Le 2 août 1944, Lucie Mansuy fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elle arrivent le 4 ; la plupart étant enregistrées comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando).

Le 2 mars 1945, Lucie Mansuy est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen où elle arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.

En les transportant de nuit, on envoie la plupart d’entre-elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes un mois avant la libération du camp).

Le 22 avril 1945, Lucie Mansuy Blateau fait partie des trente femmes prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall en Suisse. De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Ayant tout perdu (le logement était au nom de Quédec, avec qui elle devait se marier), Lucie Mansuy retourne en usine comme découpeuse en métallurgie. Elle habite à nouveau le 20e arrondissement.

En 1965, vingt ans après son retour, elle raconte à Charlotte Delbo qu’elle reste hantée par le souvenir d’un gardien SS à cheval qui a cabré sa bête devant elle, sur le chantier où elle travaillait, la faisant tomber. Quand elle a voulu se relever, pour s’enfuir, le SS s’est acharné en excitant sa monture et Lucie a été piétinée.

Le 6 juillet 1992, Lucie Mansuy participe au voyage à Auschwitz organisé par des “45000” et “31000” rescapés pour commémorer le 50e anniversaire du départ du convoi d’hommes de 1942.

En 1995 (?), elle est interviewée, avec d’autres rescapées, par Claude-Alice Peyrottes et Alain Cheraft lorsqu’ils réalisent un film sur le convoi du 24 janvier.

Lucie Mansuy décède le 20 (?) février 2007. Un hommage solennel lui est rendu dans la cour de l’Hôpital des Invalides, à Paris.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, les Éditions de Minuit, édition de 1993, pages 190-191.
- Daniel Grason, site Le Maitron, Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, à propos de Lucien Mansuy, citant notamment Arch. AVER. – Arch. RGASPI 545.6.45 ; à propos de Maurice Quédec, citant notamment Arch. PPo., BA 2117, BA 2299, KB 79, PCF carton 13 rapports hebdomadaires sur l’activité communiste pendant l’Occupation. – Serge Klarsfeld, Le livre des otages, ÉFR, 1979. – Site Internet Mémoire des Hommes. – Site Internet CDJC VII-7.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-11-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.