Jeanne, Claire, Bergöend naît le 1er juillet 1896 à Morez (Jura), dans une famille de cinq enfants. Son père est émailleur.

Jeanne va à l’école de Morez jusqu’au brevet élémentaire, puis elle apprend le métier de peintre sur émail.

À une date restant à préciser, elle épouse Roger Grandperret, né le 16 avril 1916 (? ?), lunetier, un autre métier de Morez.

À une date restant à préciser, le couple vient habiter à Paris.

En 1942, les Grandperret n’appartiennent formellement à aucune organisation de résistance. Ils reçoivent des “amis” (aviateurs anglais tombés en France, officiers, etc.) que leur envoie un frère de Roger Grandperret, Octave (?), membre du groupe Combat, et les font passer en Angleterre.

Le 15 octobre, au moment où ils rentrent à la maison pour déjeuner, deux agents de la Gestapo en civil se présentent, ils perquisitionnent mais aucun hôte n’est présent ce jour-là.

Les Grandperret sont emmenés rue des Saussaies, siège de la Gestapo, pour y être interrogés.

Après l’interrogatoire, Jeanne a été envoyée dans la section des femmes du quartier allemand de la Maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne).

Le 2 novembre, – seule future “31000” -, elle est conduite au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Jeanne Grandperret y est enregistrée sous le matricule n° 1138.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Jeanne Grandperret fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont amenées en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille, dont le mari de Jeanne, Roger Grandperret. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Jeanne Grandperret y est enregistrée sous un matricule non connu avec certitude (peut-être le 31770, en correspondance avec son numéro d’enregistrement au Fort de Romainville). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart coiffée d’un couvre-chef (foulard), de face et de profil.

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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
cette détenue n’a pas été identifiée à ce jour…
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Atteinte d’un érysipèle [1], Jeanne Grandperret est admise au Revier [2].

C’est là qu’elle succombe le 1er mars 1943, Marie-Jeanne Pennec étant près d’elle.

La famille a reçu un acte de décès du camp daté du 10 mai 1943 : « Jeanne Grandperret est décédée le 1er mars 1943 à 10 h 45 à la Kasernenstrasse à Auschwitz. »

Roger Grandperret est passé par la prison militaire du Cherche-Midi à Paris, le fort de Romainville, le camp de Compiègne. Déporté lui aussi le 24 janvier 1943 et dirigé sur le KL Sachsenhausen, il est affecté au Kommando Heinkel. Lors des évacuations des camps, il est dirigé sur Bergen-Belsen, puis Neuengamme et Lubeck. C’est un rescapé du Cap Arkona. Il a été rapatrié le 16 juin 1945.

Le 27 décembre 1943, son frère Octave [3], membre du groupe Combat, détenu par les Allemands à Nice, a été assassiné par un groupe armé du PPF.


LES BATEAUX DE LÜBECK

Le 20 avril 1945 commence l’évacuation du camp de Neuengamme, situé à 33 kilomètres de Hambourg, où se trouvaient vingt mille détenus environ. On entendait le canon (le la bataille qui se livrait pour le passage de l’Elbe. Les déportés sont transportés par train jusqu’aux quais de Lübeck et embarqués sur l’un des deux cargos à quai : l’Athen. Ils y restent onze jours, entassés au fond de la cale, dans leurs excréments, sans pain les deux premiers jours. Le troisième jour, ils en touchent 100 grammes et reçoivent ensuite un demi-litre de soupe par jour. Jamais les gardiens ne sont descendus voir ce qui se passait dans les cales, où se livraient des batailles autour des colis de Croix-Rouge qui avaient été distribués à certains des détenus avant le départ.

Le 29 avril 1945, l’Athen se met en marche. Est-ce pour aller en Suède ? Non. Après deux heures, l’Athen stoppe, bord contre bord d’un paquebot de 27 000 tonnes, le Cap Arkona sur lequel les déportés sont transbordés. Ils attendent toute une journée sur le pont. Il fait froid, il pleut. Puis on leur fait prendre place dans les cabines de deuxième classe, cabines à deux couchettes, où ils s’entassent à seize et davantage. Le Cap Arkona cependant ne lève pas l’ancre. Le 2 mai, on les fait sortir du paquebot et réintégrer l’Athen. Ils veulent résister, à ce nouveau transbordement ; les gardiens les poussent à coups de bâton.

Dans la baie de Neustadt, au large de Lübeck, se trouve, outre le Cap Arkona, l’Athen, le Thielbeck, un grand bâtiment, le Deulschland rempli de détenus de toutes nationalités. Tous ces navires étaient garnis de pièces de D.C.A. qui tiraient sur les avions anglais de reconnaissance.

Vers midi, le 3 mai 1945, une rumeur se répand sur les bateaux : les Anglais couleraient les navires en haute mer. À 13 heures, une escadrille de douze bombardiers anglais attaque en piqué, lance des bombes – incendiaires pour la plupart et la D.C.A. allemande réplique.

Le Cap Arkona prend feu sur toute sa longueur. Une bombe incendiaire détruit l’infirmerie, située au cœur du bâtiment, où étaient entassés malades et mourants. Le navire reçoit en même temps, à sa ligne de flottaison, une torpille tirée par l’un des douze sous-marins allemands qui étaient réfugiés dans la baie. Le Cap Arkona brûle pendant plus de quatre heures avant de disparaître. Le navire n’était qu’un immense brasier sur lequel se débattaient sept à huit mille hommes qui ont été brûlés vifs. Sur les ponts, dans les cabines, des hommes se pressaient, se bousculaient à s’étouffer. Les plus forts se taillaient un passage à coups de couteau pour se jeter à la mer. Le sang ruisselait partout.

Le Deutschland coule après une demi-heure d’incendie. L’Athen, atteint moins gravement, regagne le quai et y rend sa cargaison humaine.

Peu ont réchappé. Près de trois mille ont pu gagner la côte à la nage (deux kilomètres environ). Les cent quarante premiers arrivés ont été fusillés par les SS qui les attendaient au rivage. Les autres ont été sauvés par l’arrivée des tanks anglais de la division « Mountain ». Les seuls survivants de cette tragédie sont les passagers de l’Athen qui ont réussi à intimider le capitaine et à lui faire remettre son navire à quai malgré les SS.

Sur les vingt mille captifs de ces navires, quatre mille à peine ont sauvé leur vie, (parmi eux quatre cent quatre-vingts Français sur trois mille cinq cents).

(d’après un récit de Roger Grandperret, rescapé du Cap Arkona.)

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 91, 133.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 384 (12114/1943).
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, transport I.74, par Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée, tome 1, pages 577-579, 611.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 19-03-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Érysipèle : (du grec « peau rouge ») infection cutanée aigüe à streptocoque, caractérisée par une plaque rouge, douloureuse et chaude, entourée d’un bourrelet tuméfié (source : Le nouveau Petit Robert de la langue française).

[2] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient «  révir  », car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

[3] Octave Grandperret : né le 22 octobre 1904, à Morez (Jura), fils de Charles Clément Granperret et de Marie Léonie Forestier, époux de Marie Louise Annette Michel, opticien domicilié 10 avenue Marcellin-Maurel à Vence (06), adjoint de Guillaume Stuerga, chef local du mouvement Combat et du réseau Buckmaster, arrêtés en novembre 1943 par la Gestapo, emprisonné à Nice. Le 24 novembre, le docteur Adolphe Tourtou, secrétaire fédéral du PPF (parti collaborationniste), est abattu sur les marches de l’hôpital Saint-Roch à Nice. Le 28 novembre, un grand meeting du PPF a lieu à Nice. Le soir, une grenade est envoyée sur un groupe de miliciens sortant du restaurant : cinq miliciens sont tués, six sont blessés. Le 27 décembre, en représailles, six résistants détenus au quartier allemand de la Maison d’Arrêt de Nice, dont Guillaume Stuerga et Octave Grandperret, sont assassinés par le Groupe d’action du PPF. (source : Marcel Chierico, site Mémorial GenWeb)