Louis, Eugène, Alphonse, Jouvin, né le 28 décembre 1907 à Caen (Calvados), domicilié au Grand-Quevilly (Seine-Maritime), rescapé, libéré au KL Dachau le 29 avril 1945, décédé le 7 février 1995.

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Louis, Eugène, Alphonse, Jouvin naît le 28 décembre 1907 à Caen (Calvados – 14), chez ses parents, Félis Jouvin, peintre en bâtiment, 38 ans, et Maria Herp, 28 ans, son épouse, domiciliés au 16, rue Moisant-de-Brieux.

Le 15 août 1926, à Caen, Louis Jouvin se marie avec Yvonne Poulain (?). Ils auront deux fils nés avant la guerre : Pierre, né le 7 mai 1927, et Jean-Louis, né le 14 mars 1929.

Au moment de l’arrestation du père de famille, celle-ci est domiciliée rue Mathilde-Julio au Grand-Quevilly (Seine-Maritime [1] – 76), au sud-ouest de l’agglomération de Rouen, dans la boucle de la Seine.

Louis Jouvin est agent technique aux PTT.

Il est membre du Parti Communiste français et du bureau départemental de la CGT de Seine-Maritime.

Yvonne, qui milite également au Parti communiste, travaille dans le café-épicerie de Jeanne et Michel Bouchard, à Grand-Quevilly ; ils sont amis..

Le couple est également proche de la famille de Marcel Ledret : Pierre Jouvin joue avec leurs garçons, Madame Ledret fera traduire les lettres de Louis Jouvin arrivant d’Auschitz à l’été 1943.

Mobilisé le 1er septembre 1939, Louis Jouvin est affecté à un régiment d’artillerie basé dans le Nord, où il ne fait que creuser des tranchées. Mal nourri, privé de permissions, il écrit chaque jour à sa épouse qui lui répond au même rythme. En mars-avril 1940, il est envoyé « à l’arrière » au sein une « équipe agricole » conservant le statut militaire. Il travaille comme valet de ferme dans l’exploitation de Villededon, à Saintry-sur-Seine, près de Corbeil-Essonne (91). On lui refuse toujours une permission pour lui permettre d’aller voir sa famille.

Fin mai-début juin 1940, les soldats doivent quitter brusquement la ferme pour rejoindre « l’enfer de Dunkerque ». Louis Jouvin réussit à en réchapper et à embarquer pour l’Angleterre, d’où il envoie quatre cartes postales à Yvonne entre le 5 et le 6 juin. Quatre jours plus tard, il est rapatrié en France, où les rares rescapés de son régiment sont envoyés « se reformer » à Nîmes, après des marches harassantes. Finalement, démobilisé, il rejoint les siens à la fin de l’été.

Sous l’occupation, Louis Jouvin participe à des distributions de tracts et de presse clandestine ; il réalise des sabotages de circuits téléphoniques

Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Louis Jouvin…

Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1941, il est arrêté chez lui par la police française, lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue [2] .

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Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Louis Jouvin est conduit à la caserne Hatry de Rouen, puis transféré le 28 octobre 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

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Un coin du camp de Royallieu. Dessin de Louis Jouvin.
Collection Catherine Voranger. Droits réservés.

Enregistré sous le matricule 2099, il est assigné au bâtiment A2, chambre 8, puis au bât. A3, ch. 10.

Le 17 juin 1942, Yvonne, son épouse, est autorisée à lui rendre une visitedans ce camp, après avoir longtemps hésité à faire cette demande. Elle arrive à Compiègne la veille, avec ses enfants (au moins Jean-Louis), et tous parviennent à se voir à travers les planches de l’enceinte. À l’occasion de cette rencontre, Louis lui remet – sur un fragment de page de cahier – une liste de commissions à effectuer concernant l’envoi de colis pour les camarades de Seine-Maritime détenus avec lui : Michel (probablement Michel Bouchard), Émile (probablement Émile Billoquet), Vallet (probablement Albert Vallet), Ferdinand Thiault, Gustave Jonquais, Gérard (probablement Gérard Marti, de Oissel), Briand (probablement Louis Briand), Maurice Guyot, Marcel Nadaud, André (peut-être André Bréançon, de Petit-Quevilly), Marcel (certainement, Marcel Ledret), Jean Valentin ; Charles Godot, de Rouen, et Louis Gangloff, de Villerupt, acceptant de servir de prête-noms pour recevoir des colis destinés à leurs camarades. Précédemment, après avoir transmis sa demande de visite, Yvonne avait écrit à Louis : « …J’aurai tant de plaisir à te voir et à t’embrasser, tant pis si c’est court, je t’aurai vu. J’ai été voir Mme Person. Elle m’a dit avoir vu des copains qui lui ont dit bonjour, mais elle ne les connaît pas. Mais moi je vous connais bien et cela me fera plaisir de les apercevoir tous. Je pourrai le dire aux femmes et elles seront contentes, car si peu nous fait tant plaisir… »

Louis Jouvin réalise plusieurs petits objets découpés dans du linoléum et gravés de dessins sur le thème du camp.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Jouvin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

La famille de Louis Jouvin recevra l’avis imprimé daté du 15 juillet et envoyé par l’administration militaire de Royallieu pour l’informer qu’il a été transféré dans un autre camp et qu’elle sera prévenue ultérieurement de sa nouvelle adresse.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Louis Jouvin est enregistré au camp souche d’Auschwitz(Auschwitz-I) sous le numéro 45697, ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard. Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Louis Jouvin est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est affecté au Kommando des couvreurs (Dachdeckerkommando).

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

En janvier 1943, Yvonne Jouvin échappe à une arrestation par la police française. Le Parti communiste clandestin l’envoi à l’abri dans la Somme, grâce à des cheminots de Dieppe. Là, sous différents pseudonymes dont celui de « Claire », elle devient agent de liaison dans un réseau de résistance.

En juillet, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz, essentiellement des “45000”, reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis. La première lettre de Louis Jouvin est datée du 3 juillet, écrite en allemand par un camarade (neuf autres ont été conservées).

À la mi-août, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Louis Jouvin est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [4] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL [5] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont assignés au Block 66.

Début octobre 1945, il est parmi les huit “45000” transférés avec d’autres détenus à Kochendorf (Kommando de Natzweiler-Struthof), dans le massif du Neckar, une ancienne mine de sel aménagée en usine souterraine pour la construction des V2.

Fin mars 1945, le même groupe est dans une colonne de détenus évacués à marche forcée jusqu’à Augsbourg, puis en train jusqu’à Dachau, où ils arrivent le 8 avril. Le camp est libéré par l’armée américaine le 29 avril 1945. Louis Jouvin écrit aussitôt deux lettres à sa famille.

Il est rapatrié en France le 18 mai.

Après la Libération, son fils Pierre s’est engagé au sein du 1er bataillon du 67e régiment d’Infanterie et a participé à la libération de Dunkerque le 9 mai 1945, lendemain de la capitulation allemande. Il n’est démobilisé qu’en octobre 1945.

Le 13 mai 1945, avant même son retour, Louis Jouvin est présenté en tête de la liste d’Unité républicaine, patriotique et antifasciste au scrutin de ballottage des élections municipales à Grand-Quevilly. Il est élu maire de sa commune et Adrien Fontaine, deuxième sur la liste, conseiller municipal.

Louis Jouvin est décoré de la Croix de guerre 1939-1945 et de la médaille de la Déportation.

Il milite à la FNDIRP, dont il est, pendant un temps, membre du bureau départemental.

Avec Lucien Ducastel, Louis Jouvin et Germaine Pican, de la région rouennaise, il organise la première rencontre des “45000” et des “31000” qui se tient le 26 juin 1960, puis la commémoration à Rouen du 20e anniversaire de la libération d’Auschwitz

Louis Jouvin décède le 7 février 1995.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 348 et 349, 358, 375 et 408.
- Catherine Voranger, sa petit-fille, copies de documents transmis à M.-V. ; messages (09-2012, 02-2013).
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Questionnaire rempli par Louis Jouvin (20 octobre 1987) – Attestation du Front national de lutte pour l’indépendance de la France (22/10/1968) – Lettre de G. Gourdon à Roger Abada (45157), 8 août 1988 – Mémorial de Sachsenhausen.
- Archives départementales du Calvados, archives en ligne ; état civil de Caen, registre des naissances de l’année 1907, acte n° 988 (vue 257/287).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-05-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Notes

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste).

Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire “A”, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941.

44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes”, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[4] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Legal (45767),Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775),Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826),Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel(45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

[5] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.