Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Albert, Daniel, Ernest, Vallette naît le 3 janvier 1905 à Blosseville[-sur-Mer] (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), chez ses parents, Daniel Vallette, 26 ans, maréchal-ferrand, et Marie Gand, 20 ans.

Le 23 janvier 1928, à Eslettes (76), Albert Vallette se marie avec Madeleine Lemonnier.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 12, rue Léon-Malandin, à Malaunay (76).

Il est ouvrier à L’Oyonnithe, usine produisant des matières plastiques et du celluloïd à Monville.

Il est adhérent à la CGT et au Parti communiste.

Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Albert Vallette…

Le 21 octobre suivant, à 6 heures du matin, celui-ci est arrêté à son domicile par le commissaire Madelaine, appuyé par des gendarmes français, lors de la grande rafle des militants de Rouen et sa région [2].

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Il est d’abord conduit à la caserne Hatry de Rouen, puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Albert Vallette demande à Marcel Nouvian, qui rédige un message pour le jeter sur la voie, de faire prévenir son épouse que lui-même est également déporté.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert Vallette est enregistré à Auschwitz ; peut-être sous le numéro 46169, selon les listes reconstituées. La photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Vallette est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Il meurt au Revier [4] de Birkenau le 19 septembre 1942, d’après les registres du camp. Ce jour-là et le précédent, 146 des “45000” sont portés décédés ; probablement lors d’une “sélection” des malades et des inaptes “au travail”.

Le 20 juin 1945, Henri Peiffer (déporté 45956) qui le connaissait très bien et avec lequel il avait été interné dans la même chambre à Compiègne, écrit à son épouse : « Il est certain qu’il a eu une otite purulente. Il me l’explique plusieurs fois, il aurait fallu une intervention chirurgicale. Mais, hélas, il n’y avait ni médicaments ni chirurgien pour faire cette opération ; il fut mis dans le bloc des contagieux, d’où, vers le courant des jours qui vont du 8 au 15 décembre 1942, il fut emporté vers les fours crématoires, son décès étant intervenu vers ce moment que j’indique ! Madame, c’est tout ce que je puis vous dire au sujet de votre regretté époux. […] Votre mari est décédé à Birkenau près d’Auschwitz. »
Le 29 juin 1951, le ministère des anciens Combattants et victimes de guerre informe Madeleine Vallette de la décision d’attribuer le titre de Déporté Résistant à son marie.

Albert Vallette est déclaré “Mort pour la France”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-06-2001).

Son nom figure sur le monument aux Morts de Malaunay, et sa photo est apposée dans le carré militaire du cimetière de la commune, avec celle de Roland Duru, jeune militant communiste fusillé le 25 avril 1942 au Mont-Valérien.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955, afin de situer sa position en aval sur le cours du fleuve.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste).

Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire “A”, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tousles hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941.

44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[4] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemandHäftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 376 et 422.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Seine-Maritime (1999), citant : Liste établie par la CGT, p. 10 – Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre (2/1973) – Archives communales de Malaunay – Questionnaire rempli par J. Denise, un neveu (10/6/1992).
- Alain Alexandre et Stéphane Cauchois, Résistance(s), Rouen, sa région, la vallée du Cailly entre histoire et mémoire, 1940-1944, éditions L’écho des vagues, avril 2015, pages 23 et de 26 à 28.
- Alain Alexandre, messages de rectification et de complément (02-2019).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département, cabinet du préfet 1940-1946 (cote à vérifier, 51 W …, recherches conduites avec Catherine Voranger.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1272 (31744/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-08-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.