Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Zéphirin, André, “Marcel”, Toillon naît le 24 mai 1898 à Chaux (Territoire de Belfort), chez ses parents, Joseph Toillon, 35 ans, journalier, et Stéphanie Rémy, son épouse, 31 ans. Les témoins pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil sont deux cultivateurs.

Par la suite, la famille s’installe à Lure (Haute-Saône – 70). Marcel Toillon commence à travailler comme employé de chemin de fer.

Le 14 avril 1917, à Vesoul (70), il s’engage volontairement pour quatre ans au 121e régiment d’artillerie lourde comme 2e canonnier. Le 15 avril 1918, il passe au 109e R.A.L. Le 10 janvier 1920, il passe au 1er groupe d’aérostation à Angers. Mais, le 23 mars suivant, la commission de réforme d’Angers l’ajourne pour « anémie et faiblesse générale ». Le 21 octobre, la même commission le classe “service auxiliaire” avec invalidité inférieure à 10 % pour « anémie et troubles digestifs semblant de rattacher à de l’hyperchlorydrie » (excès d’acidité dans l’estomac). Deux jours plus tard, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Lure, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 21 juin 1921, l’armée le classe dans l’affectation spéciale comme employé permanent de la Compagnie des chemins de fer de l’Est ; pointeur-releveur à la gare de Gray, située sur la commune d’Arc-lès-Gray (70), et au centre d’un petit réseau régional en étoile partagé entre le réseau de l’Est et celui de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM).

La gare de Gray indiquée sur une carte du réseau PLM ; les gares situées dans les prolongements sur le réseau de l’Est ne sont pas indiquées…

La gare de Gray indiquée sur une carte du réseau PLM ;
les gares situées dans les prolongements sur le réseau de l’Est ne sont pas indiquées…

Le 18 février 1926, à Arc-lès-Gray, commune au bord de la Saône, Zéphirin, Marcel, Toillon se marie avec Jeanne, Marie, Paule, Truchot.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 42, Grande-Rue (ou rue Grande ?) à Gray (70), commune limitrophe de la précédente sur la rive opposée de la rivière.

    Gray. Le pont suspendu sur la Saône et, de l’autre côté, la gare. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Gray. Le pont suspendu sur la Saône et, de l’autre côté, la gare située à Arc-lès-Gray.
Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Le 9 avril 1940, le général commandant la 7e Région le raye de l’affectation spéciale par mesure disciplinaire, probablement au motif de son engagement politique antérieur. Le 9 avril 1940, il est affecté au dépôt d’infanterie n° 74.

Le 22 juin 1941, Marcel Toillon est arrêté à l’initiative des autorités d’occupation, parmi vingt-trois militants communistes et syndicalistes de la Haute-Saône [1] (dont les sept futurs “45000” du département et Georges Cogniot) ; n° 21 sur la liste, son nom étant orthographié « Tollion ». Il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Toillon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Marcel Toillon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46150 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Toillon.

Il meurt à Auschwitz le 25 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Après-guerre, le nom de Marcel Toillon est inscrit sur une plaque apposée sur une façade de la gare d’Arc-lès-Gray, laquelle semble avoir disparu après que la gare ait été fermée au trafic ferroviaire des voyageurs en 1970, et bien que le bâtiment conservé serve encore de point d’arrêt pour un service d’autocars régionaux.

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total (bilan au 31 juillet), 1300 hommes environ y seront internés à la suite de cette action. Effectuant un tri a posteriori, les Allemands en libéreront plusieurs dizaines. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 421.
- Archives départementales du territoire de Belfort (AD 90), site internet du conseil général, archives en ligne : registre d’état civil NMD de Chaux 1870-1900 (1 E 23), naissances de l’année 1898, acte n° 6 (vue 276/502).
- État civil de la mairie de Chaux (90).
- Archives départementales de Côte-d’Or : cote 1630 W, article 252 : « arrestations par les autorités allemandes, correspondances ».
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1248 (24870/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 17-11-2023)

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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.