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Jean, Émmanuel, THOMAS naît le 21 juin 1920 au Mans (Sarthe), fils de Jean, Marie, Thomas, 27 ans, facteur aux écritures aux Chemins de fer de l’État, et de Catherine Rosalie, 29 ans, tous deux natifs de Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine). Jean a un frère cadet, Alain.

Appelé à effectuer son service militaire au 70e régiment d’Infanterie de Vitré en octobre 1913, leur futur père est parti au front dès le 4 août 1914. Deux semaines plus tard, à Tamines, en Belgique, alors que l’armée allemande, qui avançait vers Charleroi pour contrôler le sud de la Belgique, s’opposait violemment à l’armée française, retranchée en rive droite de Sambre, il a été grièvement blessé à la jambe droite par balle. Le 21 octobre suivant, il a été compté disparu à Ransart, au sud-ouest d’Arras (Pas-de-Calais), fait prisonnier de guerre par les Allemands, qui l’ont libéré le 2 décembre 1915 (il a été hospitalisé le 7 décembre). Le 4 octobre 1916, il a été cité à l’ordre de son régiment, recevant la Croix de guerre avec étoile de bronze. Le 25 janvier 1917, il a été classé au service auxiliaire par la commission de réforme de Rennes, pour paralysie sciatique de la jambe droite et du pied. Le 11 août suivant, il a été transféré au 10e escadron du train des équipages, puis le 18 mars 1918, au 14e escadron du train. Il a été démobilisé en septembre 1919.

Jean, Marie, et Catherine se sont mariés le 14 janvier 1920 à Rennes (Ille-et-Vilaine).

À partir de 1923, Jean Thomas père est domicilié au 23, rue de Docteur-Heulin (ancienne rue Trézel), à Paris 17e ; son épouse et ses enfants résidant en province.

En juin 1929, la famille emménage au premier étage d’un immeuble au 8, rue des Tilleuls à Boulogne-Billancourt [1] (Hauts-de-Seine – 92).

Jean Thomas fils fréquente l’école communale de la rue Fessard, à Boulogne, jusqu’à l’obtention de son certificat d’études primaires, à 14 ans.

Puis il entre en apprentissage aux ateliers SNCF de la Folie à Nanterre (92), où il travaille comme chaudronnier jusqu’à son arrestation.

Il habite alors chez ses parents et prend le train quotidiennement pour se rendre à son travail. Célibataire (il a 20 ans), il est fiancé à Georgette.

Militant communiste, son père est membre de la cellule 108 du 7e rayon de la région Paris-ville, et adhérent au syndicat CGTU des cheminots de Paris rive-droite (il fait l’objet d’une note de police dès octobre 1928). Jean est membre des Jeunesses communistes et de la CGT, il est le secrétaire des Amis de l’URSS pour son atelier. Le 25 novembre 1938, à la gare Saint-Lazare, il est appréhendé pour avoir crié : « Daladier démission. Thorez au pouvoir. »

Le 10 avril 1940, la direction de la SNCF signale le père – alors commis de 1re classe à la gare Saint-Lazare – et le fils comme militants communistes, alors que le PCF a été interdit en septembre 1939.

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Paris. Le dépôt SNCF des Batignolles (réseau Ouest) en 1965.
Une loco 040 TA en manœuvre. Photo © Siegenthaler.
Collection Mémoire Vive.

Avec son père, il reste actif au sein du Parti communiste clandestin, distribuant des tracts, aidant ses amis à trouver du travail et leur fournissant de fausses identités.

Le 30 novembre 1940, dans l’après-midi, cherchant une machine à ronéotyper, les policiers en civil du commissariat de circonscription de Boulogne-Billancourt interpellent toute la famille Thomas à son domicile, y compris la fiancée de Jean qui y était de passage. Tous sont conduits à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e. Fautes de charge, les deux femmes sont relaxées le lendemain. Lors de l’arrestation, de nombreux tracts ayant été trouvés sur Jean, à son domicile et dans le vestiaire de son atelier, celui-ci est Interrogé sur leur origine, mais refuse de fournir aucune indication. Les deux hommes sont mis à disposition du procureur de la République, inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (interdiction de l’activité et de la propagande en lien avec la IIIe Internationale). Le père de famille, Jean, Marie, Thomas, est officiellement arrêté le 3 décembre (et, probablement, Jean, Emmanuel, aussi).

Le 7 décembre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine les condamne chacun à six mois d’emprisonnement. Le 27 janvier 1941, la cour d’appel de Paris confirme la condamnation du père, qui reste écroué à la Santé, et relaxe le fils. Mais, dès le lendemain 28 janvier, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif de Jean Thomas, qui est « gardé par la Préfecture », restant écroué à la Santé, 3e division, cellule 69. Le 25 février, il écrit au préfet de la Seine [sic] pour solliciter sa « mise en liberté immédiate », protestant « contre ce crime de séquestration illégale ».

Deux jours plus tard, le 27 février, il fait partie d’un groupe de 48 internés administratifs – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube – 10) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.

Révoqué de la SNCF depuis le 6 mars, son père fait retraite au lieu-dit La Rivière à Plélan-le-Grand après sa libération, entre août et novembre 1941. Le 17 avril, il a signé un engagement sur l’honneur de ne plus se livrer à une activité communiste illégale. Il trouve ensuite un emploi à la société Marce, comme chef d’équipe pour la surveillance des wagons en cours de chargement à la gare des Batignolles.

Le 23 septembre, J.-P. Ingrand, préfet délégué du ministre de l’Intérieur dans les Territoires occupés (à Paris), demande au préfet de l’Aube de retirer de Clairvaux les internés administratifs qui y sont « hébergés » (sic !) ; ordre rapidement exécuté.

Le 26 septembre 1941, Jean Thomas est parmi la centaine d’internés de Clairvaux (Aude – 10) transférés – en train, via Paris – au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne – 86).

Le 15 janvier 1942, la SNCF le licencie pour « menées antinationales ».
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 148 détenus (pour la plupart déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Thomas est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46144 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Jean Thomas est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est affecté à la Schlosserei (serrurerie) – le 15 avril 1943, il est inscrit comme chaudronnier sur la liste des détenus de ce Kommando -, puis à la DAW (Deutsche AusrüstungsWerke, société SS, usine d’armement entre autres).

En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), Jean Thomas reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage duBlock 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

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Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres
partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Au Block 11, Jean Thomas a l’idée « d’orner » le matricule tatoué sur son bras et celui de ses camarades, entourant les chiffres de motifs fleuris.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, les “politiques” français sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Jean Thomas se retrouve au Kommando “béton-colonne”, où il est gravement blessé à la main.

Le 27 février 1944 Jean Thomas est, avec Armand Saglier, dans un petit groupe de 11 détenus transférés au KL Sachsenhausen. Ils sont affectés au Kommando de Lieberose, puis à celui de Falkenhager : « un vieux théâtre désaffecté » et une usine souterraine. Jean Thomas y sabote sa production.

L’évacuation de Sachsenhausen débute le 21 avril 1945. Après une longue marche en direction de la baie de Lübeck, Jean Thomas et Armand Saglier sont libérés à Schwerin par les Américains. Jean Thomas est rapatrié le 25 mai.

Après une période de convalescence, il est réintégré à la SNCF.

Militant de la FNDIRP, il mène un combat constant pour la défense des droits de ses camarades et pérenniser la mémoire de la Déportation.

Il décède le 26 décembre 1998, demandant à être incinéré.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 359, 381 et 421.
- Bulletin de Mémoire Vive, n° 10, novembre 1999, page 8.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 175.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; cabinet du préfet de police, dossier individuel (1w0121) ; cartons “occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2374) : liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-06-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Boulogne-Billancourt : créée sous le nom de Boulogne-sur-Seine en 1790, la commune prend le nom de Boulogne-Billancourt en 1926, le rattachement de Billancourt datant de 1859. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).