Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Adrien Thomas naît le 5 novembre 1908 au 4, rue Belgrand (? – près de l’hôpital Tenon), à Paris 20e, fils d’Étienne Thomas, 25 ans, serrurier, et de Jeanne Berthe Poupet, 19 ans, son épouse, domiciliés au 25, rue du Borrégo.

En 1928, habitant chez ses parents au 8, passage Saint-Pierre-Amelot à Paris 20e, Adrien Thomas commence à travailler comme métreur vérificateur. Il est titulaire d’un permis de conduire.

Le 21 octobre 1929, il est incorporé au 155e régiment d’artillerie portée (groupement de DCA) afin d’y accomplir son service militaire. Quinze jours plus tard, le 5 novembre, la commission de réforme de Strasbourg le classe “service auxiliaire” pour taille insuffisante (1,51 m). Le 12 octobre 1930, il est “renvoyé dans ses foyers”, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 25 juillet 1931 à Paris 19e, Adrien Thomas épouse Marie Quetlas, née le 6 juin 1913 à Paris 14e, employée de bureau, habitant chez sa mère, veuve, au 6, rue de la Solidarité.

En août suivant, le couple est domicilié à Paris 11e (au 15, rue Popincourt ?). Il aura trois enfants, âgés respectivement de 6, 4 et 3 ans en mai 1941.

À partir de juin 1932 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée dans les HBM (habitations à bon marché) du 7, rue de l’Égalité à Joinville-le-Pont [1] (Val-de-Marne – 94).

Joinville-le-Pont, rue de l’Egalité. Carte postale oblitérée en 1934, coll. Mémoire Vive.

Joinville-le-Pont, rue de l’Égalité. Carte postale oblitérée en 1934, coll. Mémoire Vive.

Avant-guerre, Adrien Thomas est devenu agent hospitalier à l’hôpital Tenon, à Paris 20e.

Entrée de l’Hôpital Tenon, vue depuis le square E. Vaillant. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Entrée de l’Hôpital Tenon, vue depuis le square E. Vaillant.
Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Pendant un temps, il est adhérent du parti communiste.

Du 29 septembre au 7 octobre 1938, il effectue une période de réserve au 401e DCA.

Le 24 août 1939, à la veille de la guerre, il est mobilisé au 407e RADCA, puis passe au 40e groupe d’artillerie mobile. Le 23 novembre, il est renvoyé dans ses foyers.

Sous l’occupation, la police le considère comme un « communiste notoire, agent actif de la propagande clandestine ».

Le 5 octobre 1940, Adrien Thomas est appréhendé (détenteur de tracts ?) par la police française lors de la grande rafle organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain à l’encontre des responsables communistes de la région parisienne avant guerre (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant.

Après avoir été regroupés en différents lieux, ceux-ci sont rapidement placés en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 22 octobre, Adrien Thomas écrit au président de la Commission de vérification, à Paris (conformément à l’article 3 du décret du 29 novembre 1939).

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.

Le 9 janvier 1941, Adrien Thomas écrit au préfet de la Seine (voulait-il s’adresser au préfet de police ?) afin de solliciter un secours pour son épouse « qui est sans travail et, d’après la mairie de Joinville-le-Pont, n’a droit ni au chômage ni à aucune allocation ». Il se demande « avec angoisse ce qu’ils vont devenir » si elle et leurs enfants « ne peuvent plus se procurer à manger ». Si aucune aide ne peut leur être apportée, il propose sa propre libération, « auquel cas je pourrais reprendre immédiatement mon travail qui me permettrait d’assurer leur existence. »

Le 6 mars, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » d’Adrien Thomas, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné est un « communiste certain dont l’internement n’a modifié en rien les opinions », ajoutant à sa charge : « lettres censurées », c’est-à-dire courriers entrants ou sortants qui n’ont pas été transmis à leur destinataire par l’administration du CSS à cause de leur contenu politique.

Le 7 mai, Marie Thomas écrit au préfet de Seine-et-Oise afin de solliciter une autorisation de rendre visite à son mari. Elle souhaite « ce bon de visite pour un dimanche, car la personne pouvant [lui garder ses]enfants travaille toute la semaine et n’a donc que son dimanche de libre ». Le 12 mai, la préfecture départementale renvoie cette demande au préfet de police de Paris – direction des Renseignements généraux – qui a ordonné l’internement du détenu (la suite donnée est inconnue…).

Le 6 septembre, Adrien Thomas fait partie d’un groupe de 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 20 septembre arrive au camp pour Adrien Thomas un colis très détérioré que Marie, son épouse a posté à Joinville-le-Pont le 9 septembre à destination d’Aincourt.

Le 9 février 1942, Adrien Thomas est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet , Adrien Thomas est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46143 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Adrien Thomas est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 23.

Le 23 juillet, Adrien Thomas est admis au Block 20 de l’hôpital d’Auschwitz. Il en sort le 1er août.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après les registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [2]).

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Joinville-le-Pont, situé dans le cimetière communal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 1-09-2000).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 388 et 421.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 20e arrondissement, registre des naissances, année 1908 (20N 266), acte n° 3879 (vue 4/15) ; état civil du 19e, registre des mariages, année 1931 (19M 332), acte n° 1132 (vue 21/31).
- Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1928, 4e bureau de la Seine (D4R1 2831), n° 4521.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1483-82774).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, révision trimestrielle (1 W 74), 1w76, dossier individuel (1w156).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109 W 75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1245 (31837/1972).
- Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, copie de la page 271 d’un registre du Block 20.
- Site Mémorial GenWeb, 94-Joinville-le-Pont, relevé de Bernard Laudet (2000-2002).
- Blog de Benoît Willot.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-09-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Joinville-le-Pont : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés montent dans des camions qui les conduisent à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.