Louis Thiéry naît le 24 mai 1908 à Noncourt-sur-le-Rongeant (Haute-Marne – 52), fils d’Isidore Thiéry, vigneron, 45 ans, et d’Henriette Ancina, 21 ans, sa deuxième épouse, domiciliés rue Basse. Son père, veuf depuis 1901, a déjà eu cinq filles de son premier mariage. Louis a quatre frères et sœurs du “deuxième lit” : Germaine, née le 13 janvier 1911, Marcel, né le 2 août 1913, Madeleine, née le 12 décembre 1917, et René, né le 5 octobre 1923, tou.te.s à Noncourt.

En 1926, habitant toujours chez ses parents, Louis Thiéry est ouvrier à la fonderie Ferry-Capitain de Bussy, commune de Vecqueville (52).

Vecqueville près de Joinville. L’usine de Bussy  dans un méandre de la Marne.  Carte postale éditée après guerre. Coll. Mémoire Vive.

Vecqueville près de Joinville. L’usine de Bussy
dans un méandre de la Marne.
Carte postale éditée après guerre. Coll. Mémoire Vive.

Le 13 août 1932, à Donjeux (52), Louis Thiéry épouse Élisabeth Haulet, née en 1913 dans ce village, couturière, qui vit chez son grand-père maternel, Charles Dumontier, 78 ans, ancien patron ferblantier, avec sa propre mère, Jeanne-Charlotte, 44 ans, veuve de son père, Louis Eugène Haulet, fantassin tué dès le 25 août 1914 au combat de Courbesseaux (Meurthe-et-Moselle).

Après ce mariage et jusqu’à l’arrestation de Louis Thiéry, la famille s’installe chez le grand-père d’Élisabeth, à Donjeux, route de Doulaincourt (départementale n° 67) ; en 1936, sa mère, Jeanne-Charlotte, vit toujours avec eux.

Donjeux. Carte postale des années 1950. Coll. Mémoire Vive.

Donjeux. Carte postale des années 1950. Coll. Mémoire Vive.

Louis et Élisabeth Thiéry ont deux enfants : Josette, née le 22 juin 1933 à Donjeux, et Max, né le 20 août 1938.

Louis Thiéry est alors mouleur à la fonderie de Bussy ; usine dans laquelle travaillent également Louis Bedet, Georges Collin, Edmond Gentil et Bernard Hacquin. Il est possible qu’Alfred Dufays, de Joinville, y travaille également pendant une période, car Louis Thiéry le connaît.

Son lieu de travail étant distant de 14 kilomètres, il s’y rend sur sa moto, une 500 culbutée Magnat-Debon (Terrot).

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…peut-être ce modèle, vu dans le catalogue M.-Debon de 1932.
(emprunt au site http://terrot.dijon.free.fr)

Louis Thiéry est adhérent à la CGT.

Militant communiste, il est membre du bureau de la cellule du PCF de Joinville.

Dans son entreprise, il participe activement à la grève nationale de novembre 1938, lancée pour défendre les acquis du Front populaire.

Le 8 avril 1940, Louis Thiéry est arrêté sur son lieu de travail par la police française ; peut-être dénoncé par le directeur de la fonderie.

Le 8 mai, lors de la “débâcle”, il est transféré à la citadelle de Besançon (Doubs).

Le 3 octobre, Louis Thiéry s’évade et franchit la ligne de démarcation près de Dôle (Jura). Il reste deux jours à Lons-le-Saunier.

Dans la matinée du 10 octobre, il traverse à pied un bras de la Marne passant dans le village, pour rejoindre son domicile à Donjeux. Mais il est repéré et dénoncé par une voisine dont la maison a été réquisitionnée pour y installer le siège de la Kommandantur. Le jour-même, vers 12 h 30, Louis Thiéry est arrêté à son domicile par la police allemande. Quelque temps plus tard, des soldats allemands viennent détruire sa moto, qui a été signalée par le maire de la commune.

Conduit à la Maison d’arrêt de Chaumont, Louis Thiéry est jugé vers le 18 novembre 1941 et condamné à deux mois de prison. À l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré (son statut de détenu dans cette période reste à préciser…).

Le 27 juin – avec une soixantaine de militants communistes et syndicalistes interpellés les jours précédents dans la Haute-Marne [1] (dont 15 futurs “45000”) et rassemblés à Chaumont – il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule 635.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

La dernière lettre (Kriegsgefangenenpost) que son épouse lui poste le 4 juillet 1942, alors qu’il se trouve au bâtiment A8, infirmerie F (française ?), revient avec la mention « retour à l’envoyeur ». Ses proches n’auront plus de nouvelles, ne sauront pas où il se trouve…

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Thiéry est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Louis Thiéry est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46141 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée par comparaison avec un portrait civil).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Louis Thiéry.

Il meurt à Auschwitz le 20 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2], qui indique « angine avec faiblesse corporelle générale » (Darmkatarrh bei Körperschwäche) pour cause mensongère de sa mort.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Donjeux.

Mesdames Thiéry et Dufays, veuves, continueront à se fréquenter après la guerre.

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Louis Thiéry, c’est le 15 octobre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 127 et 128, 366 et 421.
- Max Thiéry, son fils, membre du bureau de la section de Haute-Marne de l’Association des Orphelins de Déportés, Fusillés, Massacrés, victimes de la barbarie nazie : lettre et réponse à un questionnaire, 2-02-2008.
- Club Mémoires 52, Déportés et internés de Haute-Marne, Bettancourt-la-Ferrée, avril 2005, p. 51.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1245.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de S à Z (26 p 843), acte n° 22913/1942.
- Raymond Jacquot, site internet Mémorial GenWeb, 2002.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.