Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

René, Pierre, Talbot naît le 5 novembre 1905 au hameau de Sainte-Gertrude à Maulévrier (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), fils de Pierre-Albert Talbot, 25 ans, et de Françoise Lanée, son épouse, 25 ans, tous deux domestiques demeurant ensemble à Tourny (Eure). René a – au moins – un frère, Robert, né le 19 avril 1910.

Le 20 février 1917, le père – précédemment réformé n° 2 pour tuberculose pulmonaire – est dispensé de la visite du conseil de révision comme père de cinq enfants

Le 5 novembre 1927, à Barentin (76), René Talbot, alors contremaître d’usine, se marie avec Léonne Marie Alphonsine Duschesne, née le 2 janvier 1904 à Autretot, ouvrière d’usine. Tous deux sont alors domiciliés au 10, rue du Jute, chez les parents de Léone. Ils ont deux enfants : un garçon né vers 1926  et une fille née vers 1935 (respectivement âgés de 15 et de 6 ans en décembre 1941).

Au moment de son arrestation, René Talbot est domicilié rue du Maréchal Galliéni, au Trait (76), en bord de Seine, 25 km à l’ouest de Rouen (un document indique rue Petites-Nantes).

René Talbot est ouvrier métallurgiste, ajusteur aux Ateliers et chantiers de la Seine-Maritime (ACSM), chantier naval du Trait, comme son frère Robert. Et, comme celui-ci, René Talbot est membre de la CGT et du Parti communiste avant 1939. Néanmoins, il n’a aucune activité de propagande et quitte peut être l’organisation avant la déclaration de guerre.

Mobilisé comme sergent en septembre 1939, il est fait prisonnier de guerre et envoyé en Allemagne. Mais il est libéré le 5 avril 1941 à la demande de la direction du chantier naval, où il reprend son emploi.

Le 20 ou 21 octobre 1941, en pleine nuit, René Talbot est arrêté par la police française à son domicile, très brutalement ; comme otage selon la mairie du Trait, ou pour distribution de tracts anti-allemands selon sa fille.

À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 2041, il est assigné pendant un temps au bâtiment A 2 (ou 12 ?).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le 11 mars 1942, son frère Robert est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie pour possession d’un fusil de chasse caché dans sa cave et conduit au Palais de Justice de Rouen ; il aurait été dénoncé, les soldats allemands ayant fouillé directement à l’endroit où se trouvait l’arme (aucune munition n’est trouvée lors de la perquisition…).

Entre fin avril et fin juin 1942, René Talbot est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, René Talbot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46125, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, René Talbot est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4.

Il meurt le 4 août 1942 à Auschwitz, d’après plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp ; quatre semaines après l’arrivée de son convoi. Malade, il aurait été achevé à coups de crosse dans un caniveau, selon un rescapé.

René Talbot est déclaré “Mort pour la France” en 1963. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-10-1999).

Son frère, Robert Talbot, condamné pour détention d’arme par un tribunal militaire allemand siégeant en zone occupée, a été envoyé, sur ordre du Commandement militaire de Paris, purger sa peine de détention sur le territoire du Reich. Le 19 avril 1943, il a été déporté vers la prison (Gefängnis) de Kaiserslautern, transféré ensuite à celle de Bayreuth, puis vers les travaux forcés (Zuchthaus) de Rheinbach et de Siegburg. Il a été libéré dans cette dernière prison le 10 avril 1945.

Un des beaux-frères de René Talbot semble avoir été aussi victime de la répression.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le camp de Royallieu, sous contrôle militaire allemand, a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 376 et 421.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Seine-Maritime, réalisée à Rouen en 2000, citant : Témoignage de son épouse, 3/5/1992 – Questionnaire rempli par sa fille, Madame Sauzereau, 6/6/1992 – Témoignage d René Demerseman, du Trait, 9/1990 – Mairie du Trait (26/5/1992).
- Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?).
- Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en ligne : registre d’état civil de Maulévrier-Sainte-Gertrude, année 1905 (4E 16287), acte n° 30 (vue 18/30).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Rob à Z (51 W 421), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1236 (18740/1942).
- Concernant Robert Talbot : Thomas Fontaine, Laurent Thiery, in Livre-Mémorial de la FMD, tome 1, pages 845 et 846, 850, I.96. Les départs des prisons de zone occupée vers celles du Reich, en avril 1943.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 6-05-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.