Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Louis, Stervinou naît le 15 juin 1905 à Landeleau (Finistère – 29), fils de Henri Stervinou, 39 ans, cultivateur, et de Marguerite Goavec, 29 ans, son épouse, domiciliés au lieu-dit Stang.

En 1927, il habite au 5 rue de Villejuif (devenue avenue Stéphen Pichon) à Paris 13e. Il est déclaré comme infirmier de l’Assistance publique.

Le 21 août 1929, âgé de 24 ans, Jean-Louis Stervinou épouse Marie M., 31 ans, infirmière, veuve, habitant à la même adresse. Un des deux témoins est infirmier au 83 boulevard de L’Hôpital. Le père de Jean-Louis, veuf, est alors domicilié route d’Achères à Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines), toujours cultivateur. Suite à l’ordonnance de non conciliation du 3 janvier 1936, ce premier mariage est dissous par jugement de divorce “prononcé de plano” le 3 décembre suivant par le Tribunal civil de la Seine.

Le 19 août 1939 à Landeleau, Jean-Louis Stervinou se marie avec Jeanne Rachel Rigal. Ils auront un enfant.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 78, quai de la Rapée, près du pont d’Austerlitz (Paris 12e).

Jean Stervinou est agent des services hospitaliers à la Salpêtrière, infirmier boulevard de l’Hôpital (Paris 13e).

Cour d’honneur de l’« hospice » de la Salpêtrière dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Cour d’honneur de l’« hospice » de la Salpêtrière dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Selon sa déclaration ultérieure à la police, il ne serait pas membre du Parti communiste avant-guerre, mais sympathisant et cotisant à ce titre (?).

À la fin de l’automne 1940, un cadre du parti communiste clandestin vient trouver Jean Stervinou chez lui pour lui dire qu’il faut recommencer à « travailler ». Celui-ci accepte. Une quinzaine de plus tard, une femme vient lui apporter un paquet d’une cinquantaine de tracts qu’il diffuse sur son lieu de travail, non pas de la main à la main, mais en les plaçant sur les rebords des fenêtres ou dans « des endroits facilement accessibles à ceux qui pouvaient être intéressés ». Par deux fois, la femme revient chez lui avec un paquet contenant une centaine de tracts qu’il distribue de la même manière. Puis cette femme est remplacée par un jeune homme qui lui apporte des exemplaires de L’Humanité clandestine et de La Vie du 13e.

En février 1941, trois inspecteurs de la brigade spéciale des Renseignements généraux exercent une série de surveillances et de filatures au cours desquelles leur attention est attirée par les allées et venues de Robert Th., 20 ans, vu à plusieurs reprises transportant des paquets et soupçonné d’effectuer la liaison entre différents éléments de l’ex-parti communiste. Le 26 février, peu avant à 21 heures, ils l’interpellent alors qui vient de sortir de l’immeuble du 78, quai de la Rapée où il a déposé un paquet cylindrique emballé. Interrogé, le jeune garçon déclare l’avoir remis à Jean Stervinou, de la même manière qu’il lui a remis un cabas rempli six jours plus tôt.

Le lendemain, 27 février, Jean Stervinou est arrêté à son domicile. Au cours de la perquisition, les inspecteurs découvrent 324 exemplaires de La Voix de Paris, n° 2 de janvier 1941, deux brochures intitulées « À bas les mesures racistes prises contre les petits et moyens commerçants juifs » et un document ronéotypé donnant des instructions et conseils aux militants chargés de la propagande. Jean Stervinou rédige et signe une déclaration selon laquelle il remet « spontanément » ces documents aux policiers : s’agit-il d’une procédure équivalant à des aveux ?

Considérant que l’activité de Robert Th. et Jean Stervinou « avait pour but la diffusion des mots d’ordre de la 3e internationale communiste ou d’organismes s’y rattachant, par la distribution […] de tracts et de brochures communistes », le commissaire André Cougoule, chef de la brigade spéciale, officier de police judiciaire, les inculpe d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 et les fait conduire au Dépôt, à disposition du procureur de la République.

Le 6 mars, la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine condamne Jean Stervinou à dix mois d’emprisonnement et Robert Th. [1], à six mois.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Jean Stervinou est successivement écroué à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne), puis à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au cours du mois de novembre, en « exécution de la note préfectorale » du 14 novembre 1940, le directeur de la prison transmet au bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise onze notices de détenus de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours du mois suivant. Le 22 novembre, le préfet de Seine-et-Oise transmet le dossier au préfet de police de Paris, direction des services de Renseignements généraux.

À l’expiration de sa peine, le 19 décembre, Jean Stervinou n’est pas libéré ; il est probablement maintenu en prison avec un statut de “détenu administratif”, comme Christophe Le Meur.

Le 13 février 1942, Jean Stervinou est dans un groupe de vingt-quatre « militants communistes » – composé pour moitié de futurs “45000” – transférés au dépôt de la préfecture de police de Paris (au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité). Le 26 mars, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, officialisant la situation.

Le 16 avril, Jean Stervinou fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il est enregistré sous le matricule n° 93.

Le 10 mai 1942, il fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Stervinou est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46122, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Stervinou.

II meurt à Auschwitz le 30 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2].

Il est déclaré “Mort pour la France” et homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-08-2003).

Après la guerre, son nom est inscrit sur une stèle commémorative située dans la cour Saint-Louis de la Salpétrière, dédiée « à ses déportés, internés résistants et patriotes morts pour la France » pendant la guerre 1939-1945 (derrière l’entrée du 47 boulevard de l’Hôpital).

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Jean Stervinou est inscrit parmi le personnel hospitalier,
premier nom dans la colonne de droite. © Mémoire Vive.

Notes :

[1] Robert Th. : un nommé Robert Th., membre d’un comité clandestin au sein du Front national du camp du Ljubelj, rescapé, est cité deux fois dans De Mauthausen au Ljubelj (Loibl-Pass), de Janko Tišler et Christian Tessier, éditions de L’Harmattan, 2005 ; s’agit-il du même homme ?

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France… Dans lesannées qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Jean Stervinou, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) et non le 6 juillet 1942 à Compiègne (Oise) » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 381 et 419.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant :Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Comité du 13e arrondissement de l’ANACR, La résistance dans le treizième arrondissement de Paris, imprimé par l’École Estienne en 1977, page 89.
- Archives nationales : correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes (BB18 7042).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux ; bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise (1W69).
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossiers de la BS1 (GB 52), n° 162, « Affaire Stervinou – Th. », 27-02-1941.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1181 (33718/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.