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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Gaston, Armand, Pierre, Ruan naît le 16 avril 1889 à Paris 15e, chez ses parents, Armand Ruan, 27 ans, employé (représentant) de commerce, et Marie Célina Patu, son épouse, 27 ans, domiciliés au 11, rue Pérignon. Il aura un frère, Maurice Jacques Louis, né le 11 décembre 1890.

Pendant un temps, il habite chez ses parents, au 29, rue des Peupliers, à Alfortville [1] (Seine / Val-de-Marne – 94). Il est ajusteur-mécanicien, puis outilleur ajusteur (dans quelle entreprise ?).

Le 1er octobre 1910, il est incorporé comme cavalier de 2e classe au 5e régiment de chasseurs. Le 24 septembre, il passe à la 5e compagnie de cavaliers de remonte. Un an plus tard, le 25 septembre 1912, il est envoyé en disponibilité, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 21 mars 1914 à la mairie de Maisons-Alfort [1] (94) – commune voisine d’Alfortville -, Gaston Ruan épouse Marie-Louise Dufouilloux, 20 ans, née le 19 novembre 1894 à Magnac-Laval (Haute-Vienne), elle aussi métallurgiste. Son frère, Maurice Ruan, est témoin à ce mariage.

Début juillet, les jeunes mariés habitent au 4, rue Eugène-Renault à Maisons-Alfort.

Le 3 août 1914, Gaston Ruan est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale et rejoint le 19e escadron du train (des équipages) à Paris.

Le 25 février 1915, son frère Maurice, soldat de 2e classe au 106e régiment d’infanterie, est tué au cours des premières offensives françaises pour reprendre la crête des Éparges (Meuse).

Dans cette période, le couple a deux enfants : Raymonde, née en 1915 à Paris,  et Alphonse, né le 14 juin 1917 chez ses parents.

Gaston Ruan est démobilisé le 1er avril 1919.

À une date restant à préciser, il adhère au Parti communiste.

Le 3 mai 1925, il se présente, sans succès, aux élections municipales sur la liste du Bloc Ouvrier et Paysan.

Le 15 juillet 1926, sa mère décède à Alfortville.

En 1927, la famille est venue habiter chez Armand Ruan, alors veuf, au 30, quai d’Alfortville, à Alfortville.

Lors du scrutin du 12 mai 1929, Gaston y est élu conseiller municipal sur la liste conduite par Marcel Capron, et réélu dans les mêmes conditions le 5 mai 1935.

La mairie d’Alfortville, après la guerre. Carte postale, collection Mémoire Vive.

La mairie d’Alfortville, après la guerre.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 23 juin 1932, son père décède à Alfortville.

Le 3 juillet 1935, Gaston Ruan entre à la ville d’Ivry-sur-Seine [1] (94) comme enquêteur administratif à titre temporaire (titularisé le 30 mars 1937). Il adhère au Syndicat unitaire des employés et ouvriers des communes de la Seine. Sa fille est alors dactylo à la mairie d’Alfortville.

Le 29 avril 1940, il est suspendu de ses fonctions à Ivry par la Commission spéciale pour n’avoir pas rompu « tout lien de solidarité avec les activités interdites par la loi ». Le 1er mars, le conseil de préfecture de la Seine le déchoit de son mandat électoral à Alfortville pour n’avoir pas « répudié catégoriquement toute adhésion au parti communiste… ».

Gaston Ruan est actif dans la clandestinité, participant à la diffusion de tracts et à la rédaction d’affiches et de journaux interdits.

Le 25 juillet, il est – avec Henri Hannhart et Gilbert Lasséchère… – l’un des principaux organisateurs de la manifestation visant à reprendre la mairie d’Alfortville. Le même jour une action identique est menée à la mairie de Maisons-Alfort.

À la suite de cette action, les trois hommes sont arrêtés par des agents du commissariat de la circonscription de Charenton. Ils sont conduits au commissariat du 12e arrondissement parisien, où ils sont regroupés avec six ex-élus communistes de Maisons-Alfort, puis passent la nuit au dépôt de la préfecture de police (au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité). Enfin, ils sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), pour « attroupement de rue et manifestation non approuvée par les autorités allemandes ».

Le 4 octobre, les neuf hommes sont relâchés, à l’initiative semble-t-il de l’administration militaire allemande pour laquelle « vu la fragilité de (leur) cas, rien ne peut être retenu contre (eux) », et après qu’ils aient signé un engagement à « ne pas faire de propagande contre les autorités occupantes ».

Mais, le 7 octobre, le commissaire de Charenton en appelle au directeur des Renseignements généraux afin que les neuf hommes soient de nouveau arrêtés : « Il est à peu près certain que tous ces militants vont reprendre une activité. Leur arrestation paraît s’imposer. »

Le 10 octobre suivant, les mêmes sont appréhendés par des inspecteurs de Charenton et conduits à la Conciergerie où la passent la nuit. Internés administrativement par arrêtés du préfet de police, en application du décret-loi du 18 novembre 1939 et de la loi du 4 septembre 1940, tous sont conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), ouvert cinq jours plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt. Gaston Ruan partage une chambre avec Henri Hannhart, Fernand Saguet et trois autres militants d’Alfortville ou Maisons-Alfort.

Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante.

Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante.

Le 4 décembre, Gaston Ruan et ses deux camarades font partie de la centaine d’internés « choisis parmi les plus dangereux » transférés, par mesure préventive ou disciplinaire (?), à la Maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye [2], près de Saumur (Maine-et-Loire) ; leur transport s’effectue en car et sous escorte. Les détenus sont enfermés dans une grande salle commune de la Centrale. Ils apprennent que 70 communistes purgent une peine dans le secteur carcéral, parmi lesquels une vingtaine de jeunes.

    Fontevraud, l’ancien réfectoire des moines.     Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

Fontevraud, l’ancien réfectoire des moines.
Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

Le 20 janvier 1941, sans être informés de leur destination, la même centaine d’internés est conduite à la gare de Saumur où les attendent deux wagons de voyageurs à destination de Paris-Austerlitz. À leur arrivée, ils sont conduits à la gare de l’Est. Ils y rejoignent 69 autres militants communistes en attente de transfert.

Le train les amène à la gare de Clairvaux (Aube) d’où ils sont conduits – par rotation de vingt détenus dans un unique fourgon cellulaire – à la Maison centrale de Clairvaux. Une fois arrivés, la direction les contraint à échanger leurs vêtements civils contre la tenue carcérale, dont un tour de cou bleu (“cravate”) et un béret. Ceux qui refusent sont enfermés une nuit en cellule (“mitard”), tandis que la plupart sont assignés à des dortoirs. Rejoints par d’autres, ils sont bientôt 300 internés politiques.

Le 14 mai, 90 d’entre eux sont transférés au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique), parmi lesquels plusieurs seront fusillés le 22 octobre. Gaston Ruan et ses deux camarades font partie de ceux qui restent à Clairvaux, et qui doivent bientôt partager les locaux qui leur sont assignés avec quelques “indésirables” (internés de “droit commun”).

Le 26 septembre, les trois hommes sont parmi les 85 internés de Clairvaux transférés, en train via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, Gaston Ruan et ses deux camarades font partie d’un groupe de 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht(Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Gaston Ruan est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée (suivant un ordre de Hitler) en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée d’occupation.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Gaston Ruan est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46084, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Gaston Ruan se déclare alors protestant (Evangelist). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Gaston Ruan.

Il meurt à Auschwitz le 22 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3].Son épouse, Marie-Louise, reprend le flambeau à la Libération : elle fait partie du conseil municipal provisoire d’Alfortville (arrêté du 4 novembre 1944), conserve son siège en 1945 et devient deuxième adjointe au maire.  Elle est encore élue sur la liste du PCF aux scrutins des 9 décembre 1951 et 21 avril 1953.

Le nom de Gaston Ruan est inscrit, parmi les déportés, sur la plaque dédiée « À la mémoire des employés de la ville d’Ivry-sur-Seine morts pour la France, 1939-1940 », apposée sur un pilier du hall de la mairie.

Son nom est également inscrit sur la plaque commémorative placée au sol devant le monument aux Morts d’Alfortville, dans le square de la mairie : « Hommage aux habitants d’Alfortville fusillés ou mort en déportation ».

Notes :

[1] Maisons-AlfortAlfortville et Ivry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Fontevraud-L’Abbaye, souvent orthographié Fontevrault-L’Abbaye au 19e siècle.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite au Journal Officiel : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir lesdocuments administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Gaston Ruan, c’est le 15 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès (a.n. 19-10-46, 5956). Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claude Pennetier, notice dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 1990-1997 CD-Rom (citant : Arch. dép. Seine, DM3 ; vers. 10451/76/1 et 10441/64/2 – Arch. PPo. 101 – Arch. com. Ivry-sur-Seine – Arch. ministère des AC).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 357, 387 et 419.
- Henri Hannhart, Un épisode des années 40, Matricule : F 45652 (les intérêts de certains ont fait le malheur des autres), trois cahiers dactylographiés par son fils Claude ; notamment une liste, page 23.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 15e arrondissement à la date du 17-04-1889 (V4E 7148), acte n° 991 (vue 6/31).
- Archives municipales d’Alfortville.
- Archives de Paris : registre des matricules militaires, recrutement de la Seine, classe 1909, 4e bureau, volume 3001-3500 (D4R1 1539), Ruan Gaston, Armand…, matricule 3049.
- Archives municipales d’Ivry-sur-Seine : dossier d’employé communal consulté par Michèle Rault, conservatrice.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; carton “PC” n°VII, A.S. du 20 décembre 1940 sur le CSS d’Aincourt ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1437-12541).
- Musée de la Résistance Nationale, Champigny-sur-Marne : fichier du commissariat de circonscription d’Ivry-sur-Seine sur les militants communistes du secteur.
- Archives départementales des Yvelines (78), Montigny-le-Bretonneux : cabinet du préfet de Seine-et-Oise sous l’Occupation et centre de séjour surveillé d’Aincourt ; notice individuelle (1W151).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1037 (24280/1942).
- Mémorial GenWeb, site internet, relevé de Stéphane Protois (2015).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.