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Droits réservés.

Alphonse, Maximin, Rousseau naît le 15 février 1889 à Neuville(-de-Poitou ; Vienne – 86), fils de Jean, Baptiste Rousseau 49 ans, cultivateur, et d’Honorine Sornin, son épouse, 39 ans, domiciliés au village de Furigny, situé à l’entrée de Neuville depuis Cissé. Il a, au moins, un frère et une sœur, plus âgés. Au recensement de 1911, la famille n’habite plus Furigny.

Le 5 octobre 1910, Alphonse Rousseau est appelé pour accomplir son service militaire comme soldat de 2e classe au 23e régiment d’infanterie. Le 25 septembre 1911, il est nommé caporal. Il est envoyé en congé de démobilisation le 27 septembre 1912, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 4 octobre 1913 à Neuville, Alphonse Rousseau épouse Marie Fouqueteau, également fille d’agriculteur, née le 30 mai 1890 à Furigny (décédée le 6 mars 1979 à Châtellerault). Ils ont une fille : Madeleine, née le 16 novembre 1914.

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Neuville-de-Poitou. La mairie et l’église.
Carte postale écrite en 1921. Coll. Mémoire Vive.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation du 1er août 1914, Alphonse Rousseau rejoint le régiment d’infanterie de Châtellerault dès le 3 août. Le 8 septembre 1914, à la Fère-Champenoise, il est grièvement blessé par balle à la cuisse gauche (plaie perforante).

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Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 18 juin 1915, il est détaché à la Manufacture d’armes de Châtellerault. Le 17 septembre suivant, la commission de réforme de cette ville le classe « service auxiliaire ». En décembre 1919, la commission de réforme de Poitiers le proposera pour une pension permanente d’invalidité de 15 %  pour « séquelle de fracture ouverte du fémur gauche au tiers inférieur consolidé avec pied en bonne position, raccourcissement de 3 cm, cal gros et irrégulier, liberté des articulations… ».

En juillet 1919, il demeure au Sanital (secteur de Châtellerault).

Au moment de son arrestation, et au moins depuis 1930, Alphonse Rousseau est domicilié au 16, rue de la Tranchée à Châtellerault (86).

Il tient un commerce de bois et de charbon.

« Très ferme dans ses convictions » selon Émile Lecointre, il est secrétaire de la section du PCF de Châtellerault. En 1925, il se présente comme candidat aux élections municipales de Châtellerault. Il est également dirigeant du syndicat CGT des commerçants, puis secrétaire de l’Union locale CGT.

Alphonse Rousseau reste un militant dans l’illégalité, après l’interdiction du Parti communiste puis sous l’occupation, mais ne se fait pas remarquer par la police. Selon une attestation ultérieure d’Albert Marit, Alphonse Rousseau intègre le 6e groupe de l’O.S. de Châtellerault  à la mi-octobre 1940, participant dès lors à la propagande anti allemande par l’impression de tracts ronéotypés et la diffusion de journaux clandestins. En avril 1941, nommé chef de groupe, il contribue au recrutement ainsi qu’à la constitution de dépôts d’armes, d’explosifs et de matériels divers. À l’occasion du 1er mai, il participe à l’organisation de la manifestation lancée contre l’occupant par la distribution de tracts et l’inscription de mots d’ordre sur la voie publique et les monuments de Châtellerault.

Le 23 juin 1941, des Feldgendarmes et des policiers français l’arrêtent à Châtellerault, en même temps qu’Aristide Pouillous et Alfred Quinqueneau. Selon Maurice Rideau, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne ; 28 sont conduits au camp de la Chauvinerie, près de Poitiers, 14 seront des “45000” [1].

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Poitiers. La caserne de la Chauvinerie, sur le coteau de la Roche.
Carte postale éditée dans les années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Le 12 juillet, Alphonse Rousseau est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager, où il est enregistré sous le matricule n° 1189.

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Portrait d’Alphonse Rousseau à Royallieu.
Dessin d’Alfred Quinqueneau.
Droits réservés.

Il écrit régulièrement à sa famille et celle-ci peut lui rendre au moins une visite dans ce camp.

Après son arrestation son épouse et sa fille continuent à faire fonctionner son commerce de bois et charbon.

Entre le 29 avril et la fin juin 1942, Alphonse Rousseau est sélectionné avec plus d’un millier d’otages communistes et une cinquantaine d’otages juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (suivant un ordre direct d’Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises ; le train s’ébranle à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Alphonse Rousseau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46077, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Alphonse Rousseau est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier).

Il meurt à Birkenau le 17 octobre 1942, d’après les registres du camp.

En octobre 1943, étant sans aucun renseignement sur lui depuis quinze mois, sa fille Madeleine adresse une demande d’information à François de Brinon, ambassadeur, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés. Elle et sa mère ont appris que d’autres déportés “45000” de Châtellerault ont donné de leurs nouvelles depuis le camp d’Auschwitz en Haute-Silésie, « après un silence d’un an exactement », et que certains, transférés ensuite à Orianenbourg (au KL Sachsenhausen), ont pu correspondre avec leurs familles et en recevoir des colis. « Nous ne nous expliquons pas pourquoi, seuls, nous sommes l’objet d’une telle rigueur ». Le 29 octobre, les services de la délégation spéciale pour l’administration, sise place Beauvau, à Paris, transmettent la question au préfet de la Vienne.  Le 15 novembre, le sous-préfet de Châtellerault émet un avis favorable à une intervention auprès des autorités allemandes. Celles-ci répondent à la préfecture que « la libération de l’intéressé ne peut être envisagée actuellement » (formule administrative systématique) ; information transmise par le secrétaire général à la délégation spéciale le 6 décembre. N’ayant pas encore reçu de réponse, Mademoiselle Rousseau envoie une lettre de relance le 9 décembre. Le 28 décembre, la délégation spéciale répond : « Une démarche a été faite en sa faveur auprès des autorités compétentes, lesquelles m’ont fait répondre que la libération de M. Alphonse Rousseau ne pouvait pas être envisagée actuellement. Je continue toutefois à accorder toute mon attention au cas de l’intéressé et ne manquerai pas de renouveler mes démarches en sa faveur, au moment qui me paraîtra le plus opportun. » Un mois plus tard, Madeleine Rousseau insiste : « Nous craignons que ce silence dissimule pour nous une réalité plus cruelle. N’existe-t-il aucune démarche que je puisse tenter pour essayer d’obtenir un éclaircissement à ce sujet ? Si cela est en votre pouvoir, voudriez-vous, Monsieur, avoir la bonté de me conseiller un service, français ou allemand, auquel je puisse utilement m’adresser, ou, si cela vous semble préférable, un avocat, spécialement accrédité auprès des autorités allemandes, à qui je puisse confier notre situation (il s’agit seulement de renseignements et non d’une libération pour laquelle je m’en remets à l’avis de la délégation spéciale) ? »

Dès le 10 octobre 1944, Madeleine Rousseau, au nom de sa mère, envoie une demande de renseignements au Ministère des prisonniers, déportés et réfugiés, allant par ailleurs jusqu’à préconiser : « Ne pourrait-on diffuser par radio un appel informant l’Allemagne qu’elle est responsable de la vie de milliers d’hommes actuellement détenus par elle et que, au cas où elle se livrerait à des exécutions massives dans les camps ou dans les prisons, des représailles seraient exercées sur la personne des Allemands détenus en France ? » Le 23 novembre, le ministère répond qu’il ne possède aucune information sur la situation particulière de Charles Limousin, mais lui envoie une documentation sur le camp d’Auschwitz.

Le 15 décembre 1944, le Comité charbonnier de la Vienne crée une fiche de renseignements au nom d’Alphonse Rousseau à la demande de son épouse.

Le 16 octobre 1945, la secrétaire générale de la Fédération nationale des centres d’entraide des internés et déportés politiques, sise au 10 rue Leroux, à Paris, écrit à Madame Rousseau : « Jusqu’à présent, il nous avait été difficile de recueillir des témoignages précis sur la disparition de votre mari. Nous avons écrit aux 108 rapatriés de ce convoi et nous avons pu obtenir les premiers témoignages confirmant malheureusement le décès de Monsieur Rousseau. Ce sont M. Montégut [de Châtellerault] M. Ripa [de Paris] M. Rideau [de Paris] M. Lecocq [du Trait, en Seine-Maritime]. Je pense qu’il n’est pas nécessaire que vous écriviez vous-même à d’autres déportés, et nous vous tiendrons au courant des témoignages qui pourraient rentrer. »

Le 9 janvier 1946, Maurice Rideau, rescapé du convoi, rédige une attestation par laquelle il déclare qu’Alphonse Rousseau est décédé « en septembre 1942 » ; il fait authentifier sa signature à la mairie de Châtellerault le jour même. Le 19 janvier, c’est au tour de Raymond Montégut, de signer une attestation mentionnant la même date, authentifiée à la mairie deux jours plus tard).

Le 17 avril 1946, à la suite de démarches renouvelées de Madame veuve Rousseau en janvier et mars, notamment « pour régulariser [sa] situation commerciale », un officier d’état-civil du Ministère des Anciens combattants et Victimes de la guerre établit un acte de décès au nom d’Alphonse Rousseau « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, conformément aux dispositions de l’ordonnance n° 452561 du 30 octobre 1945 (article 3) insérée au Journal Officiel du 31 octobre 1945 », fixant la date « le septembre (quinze) » et le lieu « à Birkenau », « Mort pour la France ». Le 26 avril, la transcription sur le registre de la mairie de Châtellerault porte la date du 15 septembre1942.

Après la guerre, le Conseil municipal de Châtellerault donne le nom d’Alphonse Rousseau à une rue de la ville. Celui-ci est également inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie en « Hommage aux victimes de la guerre 1939-1945 de la commune ».

Par arrêté du secrétaire d’État aux Forces armées (Guerre) en date du 7 décembre 1949, Alphonse Rousseau est homologué dans la Résistance intérieure française (RIF) au grade d’adjudant pour une prise de rang à partir du 1er juin 1941.

Le 15 mai 1952, Marie Rousseau remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de déporté résistant au nom de son mari auprès du ministère des ACVG. Le 6 novembre 1951, la commission départementale d’attribution du ministère siégeant à Poitiers émet un avis favorable. Mais, le 30 septembre 1953, la commission nationale émet un avis défavorable, suivie le 28 décembre par un rejet du ministère qui délivre un titre de déporté politique, ne prenant en compte qu’une période d’internement du 23 juin 1941 au 5 juillet 1942 ; « Il résulte du dossier que l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 & R.287 du Code des Pensions ». Le 12 janvier 1954, sa veuve reçoit la carte n° 1.109.08612.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-01-1999).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 379 et 419.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Témoignages de Maurice Rideau (20/10/1971), Michel Bloch, historien (2/1973), Raymond Montégut, et Raymond Jamain, de la FNDIRP (1989) – Discours d’inauguration de la rue Alphonse-Rousseau, par Émile Lecointre (article du 23 fév. 1989).
- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 40, page 376.
- Raymond Montégut (45892), « Arbeit macht Frei », Éditions du Paroi (imprimeur), juin 1973, Recloses, Ury (77), pages 53 à 55, 89.
- Archives départementales de la Vienne, site internet, archives en ligne, état civil de Neuville-de-Poitou, registre des naissances de l’année 1889 (cote 5 MI 0452 1883-1892, vue 71/103) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de Châtellerault, classe 1909, numéros de 1185 à 1499, matricule 1385 (vue 263-264/397).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite – du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 – la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; tome 3, page 1031 (36259/1942), prénom orthographié « Alfons ».
- Direction des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier d’Alphonse Rousseau (21 P 533 515) consulté par Ginette Petiot (message 10-2015).
- Site Mémorial GenWeb, 86-Châtellerault, relevé de Monique Ingé (2006).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-12-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.