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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Édouard, André, Louis, Roguet naît le 2 août 1891 à Romorantin (Loir-et-Cher – 41), chez ses parents, Édouard Roguet, 25 ans, ouvrier (tisseur en drap) aux Tissages Normant et libre penseur, et de Marie-Louise Feuillet, 25 ans, confectionneuse, son épouse. Les témoins pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil sont deux sabotiers.

André Roguet est élève du collège (?) de Romorantin puis, après avoir obtenu son Certificat d’études, travaille comme rattacheur à la même usine que son père (textile ; chez Normant ?) ; il se déclare également comme cardeur en laine.

À dix-huit ans, il part travailler à Paris où il devient ouvrier paveur, habitant dans le 18e arrondissement.

Il adhère au Parti socialiste ainsi qu’à la CGT.

D’abord classé comme soutien indispensable de famille fin août 1912, André Roguet est incorporé comme soldat de 2e classe au  113e régiment d’infanterie afin d’y accomplir son service militaire. Le 9 novembre 1913, il est nommé soldat de 1ère classe. Le décret de mobilisation générale est promulgué le 1er août 1914. Le 5 août le 113e R.I. part « en campagne ». Le 14 septembre, André Roguet est évacué. Le 22 janvier 1915, il repart au front. Un mois plus tard, le 22 février, en forêt d’Argonne (entre Ardennes, Marne et Meuse) – dans le ravin des Meurissons ? -, il est porté disparu. Fait prisonnier, il est interné à Giessen, en Allemagne. Le 29 décembre 1918, il est rapatrié. Le 14 février 1919, il passe à la 5e section de commis et ouvrier d’administration (C.O.A.). Le 16 août suivant, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire à Romorantin, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 26 avril 1919, à Romorantin, Édouard, André, Roguet épouse Marie Rose Couvret, née le 25 juillet 1900, dans cette ville ; ils auront deux fils, Robert et Claude.

Il travaille comme gardien au camp de l’armée de l’Air de Pruniers à Romorantin (?), puis retourne (?) comme ouvrier tisseur (cordier ?) aux Établissements Normant où il reste jusqu’en 1938.

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Carte postale. Collection Mémoire Vive.
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Romorantin. Manufacture Hayem et Normant.
Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Au moment de son arrestation, il est domicilié rue du Progrès à Romorantin : plus tard, son épouse habitera rue des Champs-Ragots (peut-être avec le père d’Édouard).

Responsable, dans les année 1930, du syndicat de son entreprise, André Roguet assure les secrétariats du syndicat CGTU du Textile de Romorantin et de l’Union locale CGTU.

Membre de la section socialiste locale à Romorantin, il se prononce en faveur de l’adhésion à la IIIe Internationale. Sa section rallie la section française de l’internationale communiste (SFIC) à l’unanimité. En 1923, après le départ de Giraudet, André Roguet prend la tête de la section communiste. En 1926, il fait partie du comité fédéral du Loir-et-Cher ainsi que du comité régional du PC. En 1930, la cellule de Romorantin, dont il est alors secrétaire, compterait 35 à 40 cotisants et 100 sympathisants environ. Il est alors signalé comme destinataire de journaux antimilitaristes tels que Le Conscrit ou Le Libéré.

En 1932, secrétaire du rayon de Romorantin, qui regroupe sept cellules et 150 adhérents, et secrétaire trésorier de la cellule des adultes de Romorantin groupant trente adhérents, André Roguet se présente aux élections législatives dans la circonscription de Romorantin, où il obtient 340 voix sur 16 302 votants au 1er tour, 85 au second tour. Candidat aux élections municipales partielles d’avril 1933, il recueille 257 voix sur 1524 suffrages exprimés.

Le 12 février 1934 il est l’organisateur des manifestations antifascistes à Romorantin. En 1935, il est l’animateur de la grève des établissements Normant, où il a su maintenir un noyau syndical CGTU important, et est un des signataires des accords avec la direction. Cette même année, il brigue encore en vain un siège de conseiller municipal.

En mars 1936, délégué au congrès de réunification syndicale de Toulouse, André Roguet est élu, à son retour, secrétaire du syndicat CGT de l’usine Normant et trésorier de l’Union locale, assurant cette dernière fonction jusqu’en 1940. En juin 1936, il organise la lutte revendicative dans son établissement puis signe en octobre un contrat collectif avec la direction.

En avril 1937, il devient secrétaire du syndicat CGT des ouvriers et ouvrières en drap de Romorantin et le demeure jusqu’en avril 1938. En juin 1937, il est délégué au congrès de la Fédération du Textile à Paris.

Candidat au conseil général en octobre 1937 pour le canton de Romorantin, il obtient 254 voix au 1er tour sur 3 789 suffrages exprimés, puis se désiste pour le socialiste Beaugrand.

Le 20 avril 1938, il entre à l’entrepôt de matériel de l’armée de l’Air de Pruniers, et devient secrétaire CGT des ouvriers de l’entrepôt de l’Air, membre du bureau et trésorier de l’Union locale de Romorantin.

Le 23 mai 1940, ne voulant pas se désolidariser de l’action du Parti communiste, André Roguet est licencié du camp de Pruniers. Il est également radié du conseil des Prud’hommes.

En juin 1940, son domicile est perquisitionné, puis il est arrêté comme communiste, emprisonné à Chaon (Loir-et-Cher) puis à Nantua (Ain). Il s’évade et revient à Romorantin en septembre 1940. Il travaille quelque temps aux services municipaux de la ville, comme manœuvre, puis dans deux entreprises romorantinaises. Juste avant son arrestation, il travaille au camp de Pruniers (déclaré comme paveur).

Il s’efforce de reconstituer clandestinement le PC avec Bernard Paumier (le jeune frère de celui-ci, Clotaire, sera arrêté à sa place et déporté lui aussi à Auschwitz). En décembre 1940, André Roguet appartient à la nouvelle direction régionale clandestine du parti et contribue, plus tard, à jeter les bases à Romorantin des premiers groupes armés de FTP.

Le 30 avril 1942, à Romorantin, cinq résistants communistes sont découverts par des soldats allemands alors qu’ils distribuent des tracts à hauteur du 42 rue des Limousins. Armés, ils ne se laissent pas arrêter et blessent les soldats dont un sous-officier qui succombe à ses blessures. Les mesures de représailles prévoient l’exécution immédiate de dix communistes, Juifs et de proches des auteurs présumés. Vingt autres personnes doivent être exécutées si au bout de huit jours les « malfaiteurs » ne sont pas arrêtés. Des rafles ont lieu afin de pouvoir « transférer d’autres personnes vers l’Est, dans les camps de travaux forcés. » Un barrage est érigé autour de la ville.

Le lendemain 1er mai, dans la nuit, André Roguet est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie et la gendarmerie française ; il est pris comme otage avec quatre autres Romorantinais et un habitant de Pruniers qui seront déportés avec lui. Après avoir été conduit à la Maison d’arrêt d’Orléans, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 16 juillet, sa famille reçoit l’avis imprimé envoyé par l’administration militaire de Royallieu pour l’informer qu’il a été transféré dans un autre camp et qu’elle sera prévenue ultérieurement de sa nouvelle adresse.

Le 8 juillet 1942, André Roguet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46065, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté André Roguet.

Il meurt à Auschwitz le 24 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1].

Le préfet du Loir-et-Cher et le maire de Romorantin tentent en vain d’obtenir la libération des « otages de Romorantin ». Ce n’est que le 20 décembre 1943 qu’ils apprennent que Moïse Bodin, Octave Hervault, Gustave Crochet, Daniel Pesson, Isidore Petat et Edouard Roguet ont été « transférés vers un camp en Allemagne ».

Le 4 octobre 1945, la mairie de Romorantin considère André Roguet comme « présumé mort à Ausswick ».

André Roguet est décoré, à titre posthume, de la Médaille de la Résistance, de la Médaille militaire et de la Croix de guerre avec palme.

Son nom est inscrit sur les Monuments aux morts de Romorantin-Lantenay, situés quai de l’île Marin et dans le vieux cimetière.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-05-1998).

Ses deux fils deviennent militants communistes : l’un deux, Robert, est secrétaire de la Fédération communiste du Loir-et-Cher de 1950 à 1957.

Le 28 janvier  2015, La Nouvelle République du Loir-et-Cher, à la rubrique de Romorantin-Lanthenay, publie un article dans lequel Claude Roguet, interviewé et photographié à l’occasion de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz, témoigne du destin de son père.

Sources :

- Thérèse Burel, notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Arch. Dép. Loir-et-Cher, série M, élections – Le Solognot, puis Le Populaire de Loir-et-Cher – L’Avant-garde – Le Travailleur – L. Jardel et R. Casas, La Résistance en Loir-et-Cher, Librairie de la Loire – Rens. fournis par R. Roguet, K. Loustau et G. Larcade.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 364 et 419.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : XLIII-89 (télégramme non daté du Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), signé par Carl Heinrich von Stülpnagel.
- Archives communales de Romorantin (acte de décès, correspondance du maire et du préfet, listes…).
- Archives départementales du Loir-et-Cher (AD 41) : fiche d’arrestation d’André Roguet, dossier 889 (1375 W 64), fichier alphabétique des déportés du CRSGM (56 J 5) ; site internet du conseil général, archives en ligne ; registres des naissances de Romorantin 1884-1896 (1 MIEC 194 R6), année 1891, acte n° 86 (vue 368/622) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Blois, classe 1911 (2 MI 48/R115), matricule 575 (vue 122/731).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1011 (24554/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 41-Romorantin, relevés de Sandrine-Fleur Curtil (2002) et Éric Reimond (08-2006).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 17-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant André Roguet, c’est le mois de novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès.

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.