Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Maurice, Clément, Arsène, Rat naît le 23 août 1897 à Biaches (Somme), fils de Georges, dit Arthur, Rat, 31 ans, journalier, et d’Adèle Bélaire, son épouse, 26 ans, journalière agricole, domiciliés au 67 rue de Péronne. Il a deux frères, Fernand, né en 1892, Alexandre, né en 1893, et deux sœurs, Marguerite, née en 1894, Clémentine, née en 1903.

Après le début de la Première Guerre mondiale, Maurice Rat est réfugié à Rougnat (Creuse), où il commence à travailler comme mécanicien. Pour l’époque, c’est un homme relativement grand : 1 m 73.

Le 8 janvier 1916, il est mobilisé comme soldat de 2e classe au 45e régiment d’infanterie, rejoignant son unité deux jours plus tard. Le 11 octobre, il passe au 62e R.I. Le 21 octobre, il est affecté aux armées du Nord-Est. Le 14 avril 1917, il est évacué pour grippe et admis à l’hôpital temporaire n° 16 à Compiègne (Oise) ; la caserne de Royallieu ! Il en sort le 10 mai. Après une période de convalescence, il réintègre son unité le 3 juin 1917. Le 23 mai 1918, il est cité à l’ordre de la 18e division d’infanterie : « Fantassin d’élite d’une grande bravoure. Son char ayant été entouré et pris par les Allemands au cours de l’attaque du 18 avril […], a fait l’impossible pour le délivrer. N’ayant pu y réussir, a rejoint un autre char où il ne restait qu’un seul homme d’élite ». Il reçoit la Croix de guerre. Le 8 août 1918, il est nommé caporal. Le 16 février 1919, il passe au 5e régiment de tirailleurs algériens. Le 16 mars suivant, il est nommé sergent. Le 5 septembre, il est envoyé en congé illimité de démobilisation et se retire au 155, rue de Flandre à Paris, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 24 janvier 1920, Maurice Rat se marie avec Charlotte Mallet, née le 7 septembre 1901 à Paris 10e. En février suivant, ils habitent au 65, rue du Vivier à Aubervilliers [1] (Seine / Seine-Saint-Denis).

Ils ont un fils, Marcel, né en 1921. En mai de cette année, la famille est domiciliée au 53, rue des Cités à Aubervilliers.

En novembre 1931 et jusqu’à son arrestation, Maurice Rat est domicilié au 22, impasse du Pont-Blanc à Aubervilliers, du côté du canal de Saint-Denis.

Maurice Rat est chauffeur de générateur à l’usine des goudrons de la Société du Gaz de Paris, dite de La Villette et située entre les rues Curial, de Cambrai et le passage Wattieaux (Paris 19e).

Usine de la Villette de la Société du Gaz de Paris dans les années 1920. Carte postale.

Usine de la Villette de la Société du Gaz de Paris dans les années 1920.
Carte postale.

En mai 1935, il est candidat (non élu) aux élections municipales à Aubervilliers sur la liste du Parti communiste dirigée par Charles Tillon (l’élection de celui-ci étant invalidée, faute d’être domicilié dans la commune).

La police connaît Maurice Rat comme participant aux réunions syndicales.

Celui-ci est l’ami de Corentin Cariou, secrétaire général puis secrétaire adjoint du Syndicat CGTU du Gaz de Paris, et de Charles Guénard, ouvrier tourneur, militant communiste d’Aubervilliers [2].

Après la déclaration de guerre, Maurice Rat est d’abord maintenu en affectation spéciale sur son poste de travail, considéré comme utile à la Défense nationale. Puis il est mobilisé dans l’aviation à La Rochelle d’avril à août 1940 (à vérifier…).

Le 6 novembre 1940, sous l’Occupation, la direction des Renseignements généraux de la préfecture de police se voit demander « tous renseignements sur le nommé » Maurice Rat. Selon le rapport rendu le 26 novembre, celui-ci dénigre la nouvelle direction collaborationniste du Syndicat dans son entreprise, encourageant les employés à ne pas lui verser de cotisation. Par contre, lui-même organiserait des collectes afin d’apporter un secours aux familles des militants déjà emprisonnés ou internés, et collecterait également les cotisations de la cellule clandestine des Goudrons pour le Parti communiste illégal. De plus, il diffuserait des tracts et des mots d’ordre. Toutefois, il s’abstient de prendre part aux discussions directement politiques, étant « représenté comme un homme intelligent n’agissant qu’avec prudence ». On peut se demander si une partie de ces informations ne provient pas de l’encadrement de l’entreprise… Au final, la police française le considère comme un « meneur communiste actif, principal animateur de la propagande communiste auprès du personnel de la Compagnie du Gaz ».

Le 6 décembre 1940, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1939. Le jour même, Maurice Rat est appréhendé à son domicile par des agents du commissariat de la circonscription d’Aubervilliers lors d’une vague d’arrestations visant 69 hommes dans le département de la Seine ; un autre gazier et futur “45000”, Hilaire Sartorio, est arrêté et interné le même jour pour les mêmes motifs. D’abord rassemblés à la caserne des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, ceux-ci sont aussitôt conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé deux mois plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes ou syndicalistes avant-guerre.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 6 septembre 1941, Maurice Rat est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 22 mai 1942, Maurice Rat fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet , Maurice Rat est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46033, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Maurice Rat est alors enregistré comme conducteur de véhicule (Kraftwagenführer) ; s’agit-il d’une mauvaise interprétation du mot « chauffeur » ? Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Maurice Rat.

Il meurt à Auschwitz le 21 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2]. La cause très probablement mensongère indiquée pour sa mort est « arrêt du cœur par entérite » – diarrhée (Herzschwäche bei Darmkatarrh).

Le 1er décembre 1942, Charlotte Rat écrit au préfet de police afin d’obtenir des nouvelles de son mari, qu’elle sait parti de Compiègne depuis cinq mois, « s’il vit ou en bonne santé » (sic). Le 13 décembre, le chef du 1er bureau du cabinet du préfet transmet une note au commissaire de police de la circonscription d’Aubervilliers afin que celui-ci fasse « connaître à cette requérante que mes services ne sont pas en mesure de lui fournir les renseignements demandés ». Sans doute convoquée au commissariat, Charlotte Rat appose sa signature sur cette note le 21 décembre, attestant ainsi qu’elle en a reçu communication.

Le 3 mai 1946, la direction du bureau national des recherches du ministère des  Anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) établi un certificat attestant que Maurice Rat, déporté politique, n’a pas été rapatrié.

Le 19 juin 1947, le service des victimes civiles de la direction départementale de la Seine des ACVG écrit au préfet de police pour lui demander les causes et les circonstances de l’arrestation et de la déportation de Maurice Rat, afin de répondre à une demande de pension présentée par sa veuve. Le rapport établi par la police judiciaire le 17 juillet indique : « Depuis [son transfert au camp de Rouillé], on perd sa trace. Il a dû être ensuite déporté en Allemagne. Mais aucune preuve ni aucun témoignage n’a pu le confirmer. Sa famille n’a jamais eu de ses nouvelles. Sa femme (…), n’a jamais su l’endroit où son mari avait été déporté. Personne ne lui a jamais donné de nouvelles de celui-ci, et elle ne connaît pas de personnes susceptibles de fournir la moindre indication au sujet de sa déportation ».

Le 15 avril 1955, le directeur interdépartemental des ACVG écrit au préfet de police pour donner suite à une demande de carte de déporté (résistant ou politique ?) présentée par Charlotte Rat. Le résultat de l’enquête administrative demandée aux RG et produite le 21 juillet suivant peut alors préciser que Maurice Rat « a été déporté à Auschwitz, en mai 1942 », confondant avec la date du transfert de Rouillé à Compiègne.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Maurice Rat (J.O. du 19-02-97).

Notes :

[1] Aubervilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Corentin Cariou : entré au conseil municipal de Paris comme représentant du quartier du Pont-de-Flandre (19e arr.) à l’occasion de l’élection partielle du 27 mars 1938, interné au cours de sa mobilisation en décembre 1939, évadé au cours de la Débâcle, arrêté de nouveau le 5 octobre 1940 et conduit au centre d’internement administratif d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), puis transféré à la maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines), au centre de séjour surveillé de Châteaubriant (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique), remis aux autorités d’occupation à leur demande et transféré le 9 février 1942 au Frontstalag 122 de Compiègne, fusillé comme otage de représailles le 7 mars suivant. Dans le 19e arrondissement, à proximité de l’usine de la Villette où il avait travaillé, la station de métro et l’avenue Pont de Flandre ont reçu son nom après la Libération. Charles Guénard : succombera aux balles tirées par la police lors de la manifestation du 28 mai 1952, organisée contre la venue en France du général Rigdway, commandant des forces de l’OTAN pendant la guerre de Corée.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant de Maurice Rat, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) et non en juillet 1942 à Compiègne (Oise) » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 384 et 418.
- Archives départementales de la Somme, Amiens, site internet du conseil général, archives en ligne, table décennale 1893-1902 de Biaches (16,17 – vue 67/71); registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Péronne, classe 1917 (1R1128), n° 644 (trois vues).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, communistes fonctionnaires internés… (BA 2214), liste des fonctionnaires internés administrativement le 6 décembre 1940, par application de la loi du 3-09-1940 ; liste des internés communistes (BA 2397) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1487-24968) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 511-13552).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 153.
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, dossier individuel (1W149).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 986 (23384/1942).
- Sur l’industrialisation du village, puis quartier, de La Villette : https://paris-atlas-historique.fr/58.html

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.