Plusieurs détenus passés par les camps et prisons françaises ont porté ces nom et prénom. Celui qui disparaît à Auschwitz est…

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Jean, Baptiste, Émile, Porte,  naît le 4 mai 1901 à Saint-Étienne (Loire), fils de Pierre Porte, 46 ans, passementier (?) et d’Antoinette Thibault, son épouse, 44 ans, passementière (?). Pendant un temps, ses parents habitent au 18, rue du Vernay, à Saint-Étienne.

Le 22 février 1921, la cour d’assise de la Loire le condamne à deux ans d’emprisonnement pour vol qualifié.

Jean Porte est absent à sa convocation au conseil de révision ; probablement détenu…

Le 5 avril 1921, il manque à l’appel lors de son appel à l’activité pour accomplir son service militaire. Le 1er décembre 1922, à sa sortie de prison, il est dirigé sous escorte sur le 5e régiment d’infanterie légère d’Afrique (« bat’ d’Af ») qui intègre, entre autres, des individus reconnus coupables de crimes et condamnés seulement à l’emprisonnement par des tribunaux correctionnels. Le 19 décembre, Jean Porte est en Tunisie (à Gabès ?) ; la suite de son parcours pendant la guerre reste à préciser… Le 18 décembre 1924, il est envoyé en congé de démobilisation, le certificat de bonne conduite lui est refusé.

Le tribunal correctionnel de Saint-Étienne le condamne à plusieurs reprises : le 23 novembre 1926, à trois mois d’emprisonnement pour vol et port d’arme prohibée ; le 4 mars 1927, à trois mois et un jour d’emprisonnement pour les mêmes motifs. En décembre suivant, Jean Porte est domicilié au 12, rue du Mont, à Saint-Étienne. Le 15 janvier 1929, le tribunal correctionnel de Saint-Étienne le condamne à deux mois d’emprisonnement pour coups et blessures, et port d’arme prohibée.

Le 10 octobre 1930 à Saint-Étienne, Jean Porte se marie avec Marguerite Place.

Le 17 février 1933, la cour d’assise de la Loire le condamne à quatre ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction de séjour pour « meurtres avec excuse de la provocation ».

Le 4 février 1938, la 14e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à trois mois de prison pour violences à particuliers et à agents, et infraction à une interdiction de séjour commises le 26 décembre précédent. Le 27 décembre 1938, la 11e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à quatre mois d’emprisonnement pour port d’arme prohibée, bris de clôture et interdiction de séjour commis deux jours plus tôt.

Le 7 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire au centre mobilisateur d’infanterie n° 132 et aussitôt affecté au dépôt d’infanterie n° 172 bis, stationné au camp militaire de Livron à Caylus (Tarn-et-Garonne) et  destiné à former des bataillons d’infanterie légère (13e IL) composés de punis de droit commun ayant purgé leur peine ou les terminant dans les prisons centrales de France. Le 22 septembre, la commission de réforme de Caylus classe Jean Porte au service auxiliaire pour « légère amyotrophie de l’épaule gauche » (suite inconnue, démobilisation ?…).

Sur l’acte de décès du camp d’Auschwitz, Jean Porte est déclaré comme ayant une adresse à Paris 10e.

Le 5 mai 1942, il fait partie des 14 internés administratifs de la police judiciaire (dont au moins onze futurs “45000”) qui sont conduits avec 37 communistes à la gare du Nord, « à la disposition des autorités allemandes et dirigés sur Compiègne par le train de 5h50 » pour être internés au camp de Royallieu (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Jean Porte fait partie des quelques hommes du convoi déportés comme “associaux”.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Porte est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46002 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Porte.

Il meurt à Auschwitz le 18 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1].

Il est homologué comme “Déporté politique”.

Notes :

[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Jean Porte, c’est effectivement le 6 juillet 1942 à Compiègne qui a été initialement retenu pour certifier son décès, par jugement déclaratif du 21 février 1966. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts. La date correspondant à l’acte de décès d’Auschwitz a été homologuée par l’arrêté du 19 septembre 2012 (JORF n° 0267 du 16 novembre 2012).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 373 et 417.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central) – Mairie du 18e.
- Archives municipales de Saint-Étienne, site internet, archives en ligne : registre des naissances janvier-juin 1901 (2 E 131), acte n° 1248 (vue 136/192).
- Archives départementales de la Loire, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Saint-Étienne, année 1901, (3NUMEC1/2E 131), 6 mai, acte n° 1248 (vue 135/ 369) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1921, de 2001 à 2421 (47NUM-1R1786), n° 2003 (vue 6/554).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, internés aux camps de Vaujours… – Tourelles (BA 1837).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 959 (21153/1942) ; seul le prénom « Jean » est inscrit.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.