Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Hippolyte, Marie, François, Perrau (parfois orthographié Perreau) naît le 19 février 1890 à Bordeaux (Gironde), fils de François Perrau, courtier en vins, et de Catherine Gibert, son épouse.

Le 19 août 1908, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), Hippolyte Perrau, âgé de 18 ans, s’engage volontairement pour trois ans comme soldat de 2e classe au 49e régiment d’infanterie. Le 9 janvier 1910, il passe à la 18e section de secrétaires d’état-major. Il est démobilisé le 19 août 1911, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Fin janvier 1912, Hippolyte Perrau habite au 96, avenue des Pavillons aux Pavillons-sous-Bois (Seine / Seine-Saint-Denis). Fin mars, il demeure au 34, rue du Vert-Bois, à Paris 3e. Pendant un temps, Hippolyte Perrau travaille comme employé de commerce (courtier en vins).

Fin juillet 1914, il est domicilié au 34, rue du Roi-de-Sicile, à Paris 4e.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, Hippolyte Perrau rejoint son unité deux jours plus tard.

Néanmoins, le 8 septembre suivant, à la mairie du 4e arrondissement, il se marie avec Henriette Berguedieu, née le 20 décembre 1893 à Bordeaux, lingère, avec qui il vit déjà. Ce mariage amène la légitimation du fils d’Henriette, Emmanuel, né le 31 décembre 1913 à Paris 14e.

Le 1er mars 1915, Hippolyte Perrau passe à la 18e section d’infirmiers. Le 6 août suivant, il passe au 144e régiment d’infanterie. Le 17 juillet 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation par le dépôt du 18e régiment du génie et se retire à Villenave-d’Ornon, au sud de l’agglomération de Bordeaux, probablement chez ses parents.

Le premier fils d’Hippolyte et Henriette Perrau, André, naît le 20 novembre 1919 à la  clinique obstétricale Tarnier, au 89 rue d’Assas (Paris 6e)

À partir de 1920 et jusqu’au moment de son arrestation, Hippolyte Perrau est domicilié au 18, rue du Temple à Paris 4e

Le 23 mai 1923, Henriette donne naissance à leur fils Jacques.

Électricien T.S.F. (radio) – peut-être pendant un temps à Levallois-Perret – Hippolyte Perrau est au chômage. En 1935, il est secrétaire de la Ligue des droits de l’Homme du 4e arrondissement. En 1938, il adhère au Parti communiste et est membre de “Radio-liberté”. Il tient à plusieurs reprises la permanence d’Albert Rigal,  député communiste du quatrième arrondissement et lui aussi natif de Bordeaux.

Toute sa famille est militante : sa femme est également au Parti communiste et ses deux fils sont appréhendés le 28 août 1939 pour vente de journaux communistes sur la voie publique.

De septembre 1939 à octobre 1940, Hippolyte Perrau est mobilisé comme “affecté spécial” au service électrique de la Compagnie Parisienne du Métropolitain (CMP, future RATP).

En octobre 1940, la police effectue une perquisition à son domicile, mais ne découvre que des brochures et documents communistes d’avant-guerre.

Le 28 juin 1941, Hippolyte Perrau est arrêté à son domicile à la demande du commissaire de police du quartier Saint-Merri qui le soupçonne « de se livrer à la propagande communiste clandestine ». Il est conduit à l’Hôtel Matignon où il rejoint d’autres militants ouvriers. Le préfet de police de Paris a signé les arrêtés ordonnant leur internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939, mais les opérations sont menées en concertation avec l’armée allemande. En effet, pendant quelques jours, des militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans ces conditions sont conduits à l’hôtel Matignon, puis aussitôt livrés aux « autorités d’occupation » qui les rassemblent au Fort de Romainville (HL 122), sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis). En transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

Dans les jours qui suivent (le 27 juin, le 1er juillet…) ils sont conduits à la gare du Bourget où des trains les transportent à Compiègne (Oise) [1]. Hippolyte Perrau fait probablement partie de ces hommes transférés au camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [2].

Le 25 décembre 1941, son fils cadet Jacques, âgé de 18 ans, décède à l’hôpital Paul-Doumer de Labruyère (Oise).

Entre fin avril et fin juin 1942, Hippolyte Perrau est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Hippolyte Perrau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45965 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Hippolyte Perrau est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Il est assigné au Block 22a.

Deux jours plus tard, le 15 juillet, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus, en même temps que Joseph Kermen, de Paris 20e.
Hippolyte Perrau meurt à l’hôpital d’Auschwitz-I le 20 juillet 1942, d’après les registres du camp ; moins de deux semaines après l’arrivée de son convoi.

Déclaré “Mort pour la France”, il est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-11-1991).

Notes :

[1] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :

Jean Lyraud (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du XIe arrondissement. Un crochet à l’hôtel Matignon, qui abrite alors la police de Pétain, puis c’est le transport jusqu’aux portes du Fort de Romainville où les prisonniers sont remis aux autorités allemandes. Avec ses compagnons, jean Lyraud passe la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »

Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »

Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[2] L’ “ Aktion Theoderich ” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich,plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 416.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
- Archives départementales de Gironde (AD 33), site internet du conseil général, archives en ligne : registre des matricules militaires, bureau de Bordeaux, classe 1910, matricules de 3501 à 4000 (1 R 1438), matricule 3674 (vue 252/692).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 4e arrondissement, registre des mariages, année 1914 (4M 247), acte n° 903 (vue 15/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 1339-70632).
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 919 (16043/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), registre du Block 20 de l’hôpital, page 029-262.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.