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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Paul, Pierre, Casimir, Noyer naît le 25 janvier 1894 à Paris 20e, chez ses parents, Pierre Noyer, 47 ans, et Marie Jarrous, son épouse, 35 ans, charbonniers, domiciliés au 65, rue de Ménilmontant.

Le 1er décembre 1899, son père – âgé de 52 ans – décède prématurément à leur domicile.

Lors du conseil de révision, Paul Noyer habite avec sa mère. Il est boucher.

Après la déclenchement de la Première Guerre mondiale, il est incorporé à compter du 1er septembre 1914 comme canonnier de 2e classe, rejoignant quinze jours plus tard le 40e régiment d’artillerie au camp de Châlons. Le 20 février 1915, il rejoint les armées avec cette unité. Le 27 mai 1916, près de Verdun, il est blessé au bras droit (“plaie en séton” : blessure constituée de deux orifices dans la peau, faite par un projectile). Il rejoint les armées le 11 novembre suivant. Le 7 décembre, il passe au 5e régiment d’artillerie à pied. Le 9 septembre 1919, envoyé en congé illimité de démobilisation, il retourne chez sa mère.

Le 4 mars 1922 à Paris 19e, il se marie avec Émilie Mathis, dite Lily, sténo-dactylo. Ils ont deux enfants : Marcel, né en 1924, et Paule, née le 31 juillet 1935.

Début 1929, ils emménagent au 37 avenue Maurice-Berteaux à Bezons (Seine-et-Oise / Essonne – 91) [1].

Début février 1935, ils s’installent au 5 boulevard des Ormes ou avenue des Ormes (La villa), à Draveil (91).

Paul Noyer est garçon boucher sur les marchés, puis chauffeur, puis terrassier.

C’est un militant communiste, secrétaire de cellule à Draveil.

Le 28 septembre 1938, lors la crise internationale des Sudètes au cours de laquelle Hitler déclare vouloir annexer cette région germanophone de Tchécoslovaquie, Paul Noyer est rappelé à l’activité militaire au 401e régiment de D.C.A. Les accords de Munich étant signés, il rentre chez lui le 3 octobre suivant.

Le 7 décembre 1939, il est arrêté « pour reconstitution de ligue dissoute » (après l’interdiction du Parti communiste) avec Fernand Julian et Maurice Bruneteau, il est écroué en détention préventive à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Lors de l’exode (mai-juin 1940), il fait partie des détenus transférés au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Le 5 décembre 1940, le tribunal militaire de Périgueux (Dordogne), le condamne à six mois de prison pour détention d’armes et de munitions de guerre sans autorisation. Sa peine ayant été couverte par la détention préventive, il est libéré.

Dans le cadre de la lutte clandestine – dans laquelle son épouse et son fils sont également engagés -, il est hébergé au 5 ou au 23, rue Pasteur à Ivry-sur-Seine [2] (Seine / Val-de-Marne) par un militant communiste, Raffret (employé communal, chauffeur à la Mairie d’Ivry). Il travaille alors comme terrassier chez Campenon Bernard, entreprise de travaux publics, sur un chantier installant des canalisations reliant les égouts de Paris à la station d’épuration d’Achères.

Le 17 mai 1941, Mounette Dutilleul, agent de liaison de la direction clandestine du PCF (notamment de Benoît Frachon), est arrêtée sous la fausse identité de Jeanne Dessart en possession d’un cabas dans lequel se trouvent divers documents dont les biographies de vingt-sept militants communistes proposés pour des responsabilités au niveau de la cellule ou de la section, dont celle de Paul Noyer, accompagnée d’un rapport dans lequel lui-même rend compte de son activité depuis le début de la guerre (la bio est au nom de « Charles Boyer » ?). Dix-huit d’entre eux sont arrêtés.

Le 28 mai 1941, Paul Noyer est de nouveau arrêté par les services du commissariat de police de la circonscription d’Asnières pour distribution de tracts d’inspiration communiste et inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, puis il passe aux mains des Brigades spéciales de la préfecture de police dans le cadre de “l’affaire Catelas”.

Vingt-trois personnes sont écrouées à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) sous l’inculpation d’infraction au décret du 26 septembre 1939. Le procès doit avoir lieu devant le Tribunal de première instance de la Seine qui mène l’instruction.

Mais, après le coup de feu du colonel Fabien du 21 août, l’occupant exige en représailles l’exécution par l’État français de six communistes. Cette pression accélère la mise en place de juridictions spéciales précédemment envisagées : le 28 août, trois militants sont guillotinés après un simulacre de procès devant la Section spéciale qui vient d’être créée. Mais cette justice n’est pas considérée comme assez répressive.

Le 7 septembre 1941 est créé un Tribunal d’État devant lequel le gouvernement Pétain prévoit d’abord de déférer Gabriel Péri. Puis – parallèlement à deux autres procès : affaires Guyot et Woog – il donne la priorité à l’ « affaire Catelas et autres ». Les vingt-trois prévenus sont jugés entre le samedi 20 et le dimanche 21 septembre à midi. Alors que le motif d’inculpation est le même pour tous – avec des dossiers très peu fournis – les peines vont d’un extrême à l’autre. Excepté pour Jean Catelas, dont la décision de mise à mort résulte d’une volonté politique contre un membre du Comité central du PCF (il est guillotiné le 24 septembre), la répartition des peines attribuées semble avoir surtout pour objectif de construire l’image d’une justice demeurée impartiale : un homme est condamné à six ans de travaux forcés, d’autres – hommes et femmes – sont condamnés à des peines de travaux forcés ou de prison, six sont relaxés mais maintenus en internement administratif. Un seul est acquitté, faute de preuve : Paul Noyer. Mais il est maintenu à la disposition de l’autorité administrative.

Les Renseignements généraux le considère comme un « militant communiste notoire (participant) à l’action communiste clandestine » et, le 23 septembre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture de police de Paris (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).

Le 9 octobre, il est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin, Paul Noyer est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée (suivant un ordre de Hitler) en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée d’occupation.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Paul Noyer est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45931 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Paul Noyer.Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3].

(aucun des quatorze “45000” ivryens n’est revenu)

L’épouse de Paul – Émilie – a été arrêtée le 31 août 1943 par la Brigade spéciale, pour impression et diffusion de tracts appelant à la lutte contre l’envahisseur. Jugée par la Section spéciale, elle est condamnée à 18 mois de prison et 1200 F d’amende. Lors de sa détention préventive à la Petite Roquette, elle devient responsable politique d’un atelier de détenues à la suite de Françoise Mahé (Annick) et se lie d’amitié avec France Hamelin. Puis elle est transférée à la Maison centrale de Rennes (Ille-et-Vilaine). Elle est ensuite internée au camp allemand du Fort de Romainville (commune des Lilas, Seine / Seine-Saint-Denis).

Après son arrestation, leur fils Marcel, 18 ans, peut se débrouiller seul et prendre en charge sa sœur Paule, âgée de 8 ans. La petite fille est ensuite recueillie par Fernand et Margot Julian, puis, plus tard, par France Hamelin. Celle-ci, internée administrative à la caserne des Tourelles s’évade de l’hôpital Tenon (Paris 20e) avec son bébé qui vient de naître (8 avril 1944) grâce à Marcel Noyer.

Entrée de l’Hôpital Tenon, vue depuis le square E. Vaillant. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Entrée de l’Hôpital Tenon, vue depuis le square E. Vaillant.
Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Déportée depuis Paris (gare de l’Est), Émilie Noyer arrive à Sarrebruck (camp de Neue Bremm) le 30 mai 1944.

Elle est ensuite transférée au KL [4] Ravensbrück (matr. 42206). Puis elle est affectée au Kommando de travail forcé de Leipzig, dépendant du KL Buchenwald.

Libérée, elle est rapatriée le 21 mai 1945.

Paul Noyer est homologué dans la Résistance Intérieure Française pour son activité de résistant au sein du Front national [5], avec le grade fictif de sergent.

Son nom est inscrit sur le monument « Aux morts de la guerre 1939-1945 et théâtres d’opérations extérieures » à Draveil, dans le cimetière de Sénart.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-08-1995).

Notes :

[1] Draveil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Ivry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.).

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration).

[5] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

Sources :

- Marcel Noyer, son fils, entretien téléphonique (23-02-2007) ; Marcel Noyer est décédé le 10 juillet 2014 à Argenteuil.
- Martine Garcin, site internet http://perso.wanadoo.fr/aujourdhui/…
- Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, dossier individuel rassemblé par Michèle Rault, conservatrice, à partir de différentes sources.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 20e arrondissement à la date du 27-01-1894 (V4E 10671), acte n°362 (vue 7/31) ; registre matricule du recrutement militaire, classe 1914, 1er bureau, n° 3053 (D4R1 1780).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (une adresse : 83, rue de Seine à Alfortville).
- Roger Bourderon, La Négociation, été 1940, : crise au PCF, Éditions Syllepse, février 2001, pages 150 à 194 (surtout p. 152 et 153, 162, 182).
- France Hamelin, Femmes dans la nuit, l’internement à la Petite Roquette et au camp des Tourelles, 1939-1944, Éd. Renaudot et Cie, 1988, pages 154, 162 et 163, 344 à 346).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection Mémoires, 2005, pages 150 et 153, 388 et 415.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 w 690-24811).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 874 (31835/1942).
Mémorial GenWeb, relevé initial de Christian Dusaussoy (10-2009).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.